Citation:
Je suis ashkénaze et je fréquente une synagogue séfarade.
Le samedi matin après l’office nous faisons le Kiddoush et avant la bérah'a du vin le rabbin dit les mots sabry marannane et l’assistance répond « léhayime !».
Dans l’usage ashkénaze on ne fait pas d'interruption, mais étant donné que je prie parmi les séfarades et même si je garde mon siddour ashkénaze est ce que je peux quand même répondre léhayime pour ne pas me distinguer de la communauté, ou bien il ne faut pas répondre car ça serait une interruption dans le Kiddoush ?
Il n’y a pas de problème d’interruption en répondant Le’haïm tant que vous ne répondez pas pendant la Brakha sur le vin, car il faut s’en acquitter.
Par contre, le
Rabbi de Munkacz (Nimoukei Ora’h ‘Haim §289, sk.2) rapporte que son père (le
Darkhei Tshouva) interdisait de dire
Le’haïm lors du Kidoush du Shabbat matin.
Avant d’aller plus loin, constatons déjà qu’il y avait donc, parmi les Ashkenazim, certains qui disaient
Le’haïm.
(On pourrait tenter de distinguer un Le’haïm juste avant la Brakha d’un Le’haïm qui viendrait après avoir bu, mais ce distinguo semble insuffisant et incorrect aussi.)
Et ce depuis bien longtemps, puisque nous en retrouvons trace dans le
Daat Zkénim Mibaalei Hatosfot (qui étaient ashkenazes)
(Parshat Shmini, Vayikra 10,9).
La raison pour laquelle le
Darkhei Tshouva l’interdit, c’est parce que cette habitude n’avait cours que pour le Kidoush diurne, personne ne disait
le’haïm au kidoush vespéral, ainsi, le
Darkhei Tshouva y voyait un mépris du Kidoush du samedi car dire le’haïm ne serait adapté qu’à une boisson entre amis qui n’est pas une boisson de Mitsva, car, comme l’explique le
Tikounei Zohar (§24, daf 69a), cette habitude nous vient du fait que ‘Hava aurait donné à Adam du vin (selon l’opinion Guefen Haya -
Bereshit Raba 19,5), donc comme ce vin a entrainé la mort (à eux deux et au monde par la suite) on se souhaite Le’haïm [Voyez aussi ce que j’ai écrit ici :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=27991#27991 ].
Mais dans le cadre d’une Mitsva, la règle dit que l’on est protégé par la Mitsva (
Shomer Mitsva Lo Yéda Davar Ra -bien qu'interprétée autrement par le 'Hayei Adam en fin de §68). Il en résulte que dire Le’haïm le jour et non le vendredi soir, indique un certain Zilzoul du Kidoush du samedi qui n’est que Miderabanan. Voilà pourquoi il interdisait de dire Le’haïm.
On pourrait donc se dire que pour les Sfaradim qui disent Le’haïm le vendredi soir aussi, il n’y a pas (tellement) de problème (-a priori il subsiste un problème même le vendredi soir, puisque c’est une boisson de Mitsva, l’argument ajouté que le kidoush du jour serait encore plus méprisé si on ne dit pas le’haïm le soir, n’est qu’un argument en plus. Le
Darkhei Tshouva ne connaissait pas de Sfaradim).
Seulement, pour vous qui êtes Ashkenaze et ne dites pas Le’haïm le soir, il y aurait donc le problème dénoncé par le
Darkhei Tshouva.
Le
Nimoukei Ora’h ‘Haim lui-même souligne que la Gmara
(Shabbat 67b) nous raconte que R. Akiva, au repas de mariage de son fils, disait sur chaque verre
(« 'hamra ve'hayei lefoum rabanan », qui revient à notre) Le’haïm, et pourtant c’est une Seoudat Mitsva et R. Akiva ne s’est pas dit qu’on est protégé par la Mitsva… Et il répond qu’il y a une différence, car dans le Kidoush, la Mitsva c’est le verre lui-même.
(C’est un ‘Hilouk, mais je ne le trouve pas tellement Me’halek, car finalement, tant qu’il est dans la Seoudat Mitsva il devrait être protégé…)
Ce même interdit figure aussi dans les
Minhaguei Komarno (§238), ne pas dire
Le’haïm ni au kidoush du soir ni à celui du jour.
Tout ceci reste assez étrange, car les ‘Hazal dans le
Midrash Tan’houma (Pekoudei §2) disent clairement que l’on dit Le’haïm lors du Kidoush et de la Havdala…
Rav Zuker (Shir ‘Hadash sur Psa’him, Aba Shaoul, Bnei Brak 2011, p.364, §26) était d’ailleurs étonné du Minhag Ashkenaze de ne pas dire Le’haïm comme les Sfaradim au kidoush, étant donné que cela figure dans le Midrash.
J’ai vu dans le
Brakha Le’haïm (Braun, seconde édition, Jér. 1954, §30, p.25) que
R. Israel Weltz (le Divrei Israel) lui a raconté avoir rencontré le
Munkaczer Rebbe après la parution de son
Nimoukei Ora’h ‘Haïm, et lui a montré le
Midrash Tan’houma (Pekoudei §2) qui dit clairement qu’on dit Le’haïm au Kidoush et à la Havdala. Le
Rabbi de Munkacz en a été très étonné, et a promis qu’il corrigerait cela dans un futur Sefer en mentionnant ce Midrash qui lui a été indiqué par le
Rav Weltz et en l'y remerciant.
Mais il est décédé quelques années après, sans avoir pu apporter cette correction. (7 années séparent l’édition du
Nimoukei Ora’h ‘Haïm en 1930 du décès du Rav en 1937.)
Ce témoignage du
Rav Weltz est puissant. Néanmoins, le
Nimoukei Ora’h ‘Haim a été réédité en 2014 à New York, et aucune correction n’y apparait, ni aucune mention de ce témoignage (qui leur était peut-être inconnu ?).
En conclusion, nous avons plusieurs rabbins ‘hassidiques qui n’aimaient pas trop ce Le’haïm car ils y voyaient un mépris du Kidoush qui serait dévalué et destitué de son rang de Mitsva.
Je trouve le raisonnement assez peu déterminant, car au lieu d’interpréter ce Le’haïm comme un souhait et une prière qui viendrait donc montrer qu’on ne tient pas compte de l’aspect mitsva qui est sensé protéger, je dirais qu’il faut comprendre ce « Le’haïm » comme une affirmation (et non un souhait).
C-à-d que l’on proclame que ce verre sera Le’haïm, pour la vie, car il n’y a pas de danger à boire un verre de Kidoush puisque c’est une Mitsva !
En tout état de cause, c’est un fait, le
Midrash Tan’houma (op cit) dit bien qu’on dit Le’haïm lors du Kidoush, dès lors, le
Rabbi de Munkacz, son père le
Darkhei Tshouva, ainsi que le
Rabbi de Komarno, sont contredits par le
Midrash, et j’imagine que s’ils l’avaient su, ils seraient revenus sur leur position (et concernant un des trois, nous avons même le témoignage du
Divrei Israel qui le confirme).
C’est pourquoi, sans aller jusqu’à la position de
Rav Zuker, sans imposer aux Ashkenazim de dire Le’haïm, je dirais qu’il n’y a aucun problème à dire Le ‘haïm quand vous êtes au Kidoush parmi les Sfaradim.