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Que penser de Yehouda David Julius Eisenstein ?

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yoho
Messages: 7
Bonjour Rav Wattenberg,

En parcourant un peu Hebrewbooks et en tombant sur le Otzar Havikou'him, je me suis intéressé un peu plus largement à l'œuvre de son auteur : יהודה דוד אייזענשטיין Yehouda David (Julius) Eisenstein, dit le Ba'al ha-Otzarot. J'ai été séduit par l'ampleur de son travail, sa concision dans l'écriture, et les références ramenées. Sans parler de la beauté des frontispices ;)

Après une rapide recherche sur Wikipedia, j'en ai appris un peu plus sur sa vie et son œuvre, qui est impressionnante, mais j'aimerais avoir quelques éléments un peu plus percutants, notamment sur le regard que lui portent les Rabbanim: Quels étaient ses rapports avec les Rabbanim de sa génération ?

Il se décrivait comme Harédi, militait pour le respect du Chabbat et de la pureté familiale, et côtoyait apparemment des Guedolim, Rav Kook, par exemple. Quel regard portent les Rabbanim sur son oeuvre ?

Je suis étonné de n'avoir vu, sauf erreur de ma part, de Haskamot dans les quelques livres que j'ai feuilleté en livre. Est-ce normal ?

Était-il un chercheur ? Un Talmid Hakham ? Les deux ?

A-t-il été מוסמך לרבנות ? Et si oui, par qui ?

N'hésitez pas, Rav, si vous avez d'autres éléments biographiques ou hashkafique, ou autres, sur R' Yehouda David Eisenstein.

Vous remerciant par avance pour votre réponse.

Kol Touv.
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6640
Citation:
En parcourant un peu Hebrewbooks et en tombant sur le Otzar Havikou'him, je me suis intéressé un peu plus largement à l'œuvre de son auteur : יהודה דוד אייזענשטיין Yehouda David (Julius) Eisenstein, dit le Ba'al ha-Otzarot. J'ai été séduit par l'ampleur de son travail, sa concision dans l'écriture, et les références ramenées. Sans parler de la beauté des frontispices ;)

Après une rapide recherche sur Wikipedia, j'en ai appris un peu plus sur sa vie et son œuvre, qui est impressionnante, mais j'aimerais avoir quelques éléments un peu plus percutants, notamment sur le regard que lui portent les Rabbanim: Quels étaient ses rapports avec les Rabbanim de sa génération ?
Il se décrivait comme Harédi, militait pour le respect du Chabbat et de la pureté familiale, et côtoyait apparemment des Guedolim, Rav Kook, par exemple. Quel regard portent les Rabbanim sur son oeuvre ?

Je suis étonné de n'avoir vu, sauf erreur de ma part, de Haskamot dans les quelques livres que j'ai feuilleté en livre. Est-ce normal ?
Était-il un chercheur ? Un Talmid Hakham ? Les deux ?
A-t-il été מוסמך לרבנות ? Et si oui, par qui ?
N'hésitez pas, Rav, si vous avez d'autres éléments biographiques ou hashkafique, ou autres, sur R' Yehouda David Eisenstein.


Il est décédé le jour de Matan Torah à Shavouot (2ème jour, 7 sivan) en 1956, âgé de 101 ans.
Il est né en Pologne (à Mezeritz) en 1854 (le 12 novembre) et a rejoint les Etats-Unis en 1872 (Otsar Zikhronotay p.7).

Il était descendant de Rashi et de plusieurs Rishonim français par son père, et descendant de Rishonim espagnols par sa mère (Otsar Zikhronotay p.7).
Sa longévité (assez exceptionnelle pour cette époque) a entrainé qu’il a perdu quelques enfants de son vivant.

[La mortalité infantile sévissait, une de ses filles est décédée à 3 ans de maladie. Une autre est décédée plus tard, à 31 ans. Par contre un de ses fils (né en 1878) est aussi mort du vivant du père, mais à un âge avancé tout de même, il avait ~74 ans (1878-1952 et selon d’autres sources 66 ans 1878-1944).
Toutefois, plusieurs de ses enfants ont eux aussi bénéficié d’une longévité assez remarquable pour l’époque ; Un fils à 86 ans, un autre à 89 ans et un à 90 ans, une fille à 87 ans, une autre à 94 ans et une à 96 ans.
Il a eu en tout 9 enfants, 6 d’entre eux ont vécu entre 86 et 96 ans chacun.
Son fils aîné décédé à 86 ans a eu 2 fils décédés eux-mêmes respectivement à 92 et 94 ans. C’est que ce doit être héréditaire 😊.]

Il a participé à la grande encyclopédie "juive" The Jewish Encyclopedia [voir dans Otsar Zikhronotay (p.382-384) la liste de des articles qu'il a écrits pour cette encyclopédie], mais l’a critiquée pour des imprécisions, notamment pour ce qui touche à la halakha.
Du coup, il s’est dit qu’il allait écrire une encyclopédie respectueuse de la Halakha, c’est ainsi qu’il a commencé son Otsar Israel (en 10 tomes), terminé le 5 septembre 1913 (Otsar Zikhronotay p.128).

A l’origine, il n’était pas « écrivain », il s’est lancé dans l’écriture après des déboires dans son commerce, et y a vu rétrospectivement une Hashga’ha Pratit pour le lancer dans l’écriture de ses sfarim (cf. Otsar Zikhronotay p.53).
Je remercie moi aussi cette Hashga’ha Pratit grâce à laquelle nous avons ces riches Sfarim de Rav Eisentstein.



Rav Eisenstein n’a pas -à ma connaissance- été Nismakh (= il n’a pas reçu de Smikha), il n’était pas non plus rabbin ni dirigeant de communauté, et on ne peut pas vraiment le voir comme un Talmid ‘Hakham de premier plan.
Je dois préciser qu’en matière de connaissances (même purement juives), il dépasse de très loin la quasi-totalité des Rabanim de nos jours, il était d’une Bekiout épatante, il a lu énormément de Sfarim, c’est vraiment difficile à imaginer.
Mais un Talmid ‘Hakham, avec ou sans Smikha, ne se mesure pas exclusivement à l’aune de ses connaissances talmudiques, il y a la profondeur de compréhension qui est indispensable.
Rav Eisenstein était quand même un Talmid ‘Hakham, bien entendu, mais disons qu’il n’était pas à considérer comme un Possek ou un Manhig ou un « Rav » (avec un Kamats).

Ses Sfarim sont épatants, mais il leur manque la précision « scientifique », il écrit comme un journaliste très bien renseigné, mais dans le style du journalisme. Cela donne des Sfarim accessibles au grand public certes, mais on ne peut pas s’y fier « les yeux fermés ».
Il va par exemple réadapter des citations afin d’en clarifier ou simplifier l’expression (Rav Baroukh Epstein aussi se le permettait et c’est bien dommage) et il va surtout insérer sa compréhension de ce qui est dit dans un texte, même lorsqu’il le comprend imparfaitement.

Néanmoins, Rav Eisenstein était un Talmid ‘Hakham honnête, gentil, bon, droit, ordonné et savant.
Il était parfaitement pratiquant et soucieux du maintien de la pratique, j’ai mentionné dans mes notes sur le Safa Leneemanim (Varsovie 2021, p.158) ce qu’il écrit (Otsar Zikhronotay p.180) à propos des habitants d’un Kibouts en Israël en espérant qu’ils fassent Tshouva et en misant sur le fait qu’ils parlent l’hébreu pour les ramener à la Torah.

Son chef-d’œuvre est bien sûr le Otsar Israel (qu’il n’a pas écrit seul), mais il a d’autres titres notables à son palmarès, dont le Otsar Midrashim, le Otsar Vikoukhim, le Otsar Dinim Ouminhaguim, Otsar Piroushim sur la Hagada de pessa’h, Otsar Massaot et Otsar Zikhronotay.
A part pour Otsar Israel, Otsar Dinim Ouminhaguim et Otsar Zikhronotay, il s’agit surtout d’anthologies, dans les autres livres (comme Otsar Drashot, Otsar Droushim Niv’harim, Otsar Maamarei Tanakh, Otsar Maamarei ‘Hazal, Otsar Massaot, Otsar Vikou’him) peu du texte est concrètement de sa plume, voilà pourquoi il ne nécessitent pas vraiment de Haskamot.

Quant aux 3 autres (Otsar Israel, Otsar Dinim Ouminhaguim et Otsar Zikhronotay), vous écrivez ne pas avoir vu de Haskamot sur ses livres, pourtant il y en a.
Voyez au début du Otsar Israel (R. ‘Haim Hirschenzohn, R. ‘Haim Berlin, le Ridbaz, R. Eliezer Deutsch, R. Its’hak Yaakov Reines,…).
Le Otsar Dinim Ouminhaguim est essentiellement repris des entrées correspondantes du Otsar Israel, et le Otsar Zikhronotay est une autobiographie…

Il a d'autres écrits, moins conséquents, ils sont listés dans son Otsar Zikhronotay (p.367).

Certains ont critiqué son Otsar Israel, voir Yeroushaténou (IV, p.325) (mais voir aussi Yeroushaténou III, p.269).

Rav Méir Mazouz fait partie des défenseurs du Otsar Israel (Alon Bayit Neeman n°52, Trouma 5777, p.2 note 12).

Et nombreux sont ceux qui citent le Otsar Israel sans y voir de problème, parmi eux :
Afarkasta Deania (I, §201, p. 444)
‘Helkat Yaakov (Breisch) (II, Y’’D §190,5) (II, Y’’D §203,4)
Yaskil Avdi (VI, E’’H §92)
Mishpetei Ouziel (I, o’’h §2)
Menah’em Meshiv (Kirschenbaum) (II, §41,52)
‘Hemdat Tsvi (Welner) (I, §24,28)
(et voir aussi dans (II, §11,1) où il s’étonne sur une information qui défie la chronologie dans le Otsar Israel)
Le Tsits Eliezer (VIII, §8) cite le Otsar Israel et se base dessus.
Rav Yossef Messas le cite de nombreuses fois et semblait bien l’apprécier.

Le Beit Mordekhaï (Fogelman) (I, §44) cite le Otsar Israel et cite le Otsar Dinim Ouminhaguim dans (§17).

Le Rivevot Ephraïm (VII, §258,30) cite le Otsar Dinim Ouminhaguim.

Le Shout Na’halat Lévi (II, §1, p.4) rapporte plusieurs Gdolim qui utilisaient ce sefer, mais quelques-uns qui l’ont critiqué aussi.

Voir aussi Ein Its’hak (I, p.506) et Shoul’han Hamaarekhet (I, p.116), c-à-d Rav Its’hak Yossef, qui mentionne que Rav Méir Mazouz prend la défense de ce sefer (Otsar Israel) et aussi que Rav Yossef Messas le citait, mais RIY indique plusieurs oppositions, dont son père ROY et le Igrot Moshé.

En réalité son père qui s’est opposé ne l’a fait que contre le Tsits Eliezer qui s’appuyait sur le Otsar Israel, et ROY lui a répondu qu’il est étonné de voir qu’il (le Tsits Eliezer) fasse confiance au Otsar Israel pour aller à l’encontre des Poskim.
Mais sans cela, s’il ne s’agit pas de s’opposer aux Poskim, ROY ne voyait pas de problème à lire le Otsar Israel et s’en inspirer, puisqu’il l’a lui-même fait et il s’appuie dessus aussi en tant que Smakh supplémentaire dans Yabia Omer (III, Y’’D §9,1).

Quant à ce qu’il (RIY dans Shoul’han Hamaarekhet) rapporte du Rav Moshé Feinstein qui aurait critiqué les Sfarim du Rav Eisenstein, il me semble qu’il est allé un peu vite en besogne ; il ne suffit pas de lire ce qui semble être une opposition, il faut comprendre le sujet et vérifier ce qui y est dit exactement.
Il s’agit du Igrot Moshé (o’’h III, §15) qui écrit que « ce qui est écrit dans le Otsar Dinim Ouminhaguim qu’il est interdit de faire des images et formes pour représenter la Emouna, n’a pas de source ».
Le sujet est à propos de dessiner un Maguen David, par exemple sur la Parokhet ou le Méil. RMF écrit qu’il n’y a aucun souci s’il y a un Maguen David sur le manteau du Sefer Torah.
Si on regarde le Otsar Dinim Ouminhaguim (p.203) on voit que Rav Eisenstein n’interdit pas de dessiner un Maguen David, mais il mentionne qu’il y a en Erets Israel des Yeréim (~des ultraorthodoxes) qui l’interdisent. Mais Rav Eisenstein ne leur donne pas raison, il ne fait que mentionner cette idée. Ainsi, RMF ne s’opposait pas au Rav Eisenstein mais à cette idée des Yeréim israéliens mentionnée par Rav Eisenstein.
(Plus encore, d’autres auteurs respectables ont aussi fait mention de cette position extrême voulant interdire le Maguen David.)

Rav Sofer dans Otsar Yishakha (§23, p.101) et dans Tov Lehodot (III, §6, p.47) écrit qu’il ne possède pas le Otsar Israel et ne souhaite pas le posséder (et ajoute « Veday Lamévin… ») !
ספר אוצר ישראל אין לי וגם איני רוצה שיהיה לי וד"ל

[« Day Lamévin » signifie que cette information « suffit à celui qui comprend » (=pour comprendre qu’il ne faut pas souhaiter posséder ce livre).
Pour ma part, je ne dois pas être un Mévin, car je suis bien content de posséder un Otsar Israel qui est Sefer très intéressant.
J’avais fait des démarches pour acquérir ce Sefer en passant par un intermédiaire. Ce dernier m’avait fait la remarque qu’il ne lui semblait pas « simple » sur le plan Halakhique de posséder ce sefer qui cite des opinions non conformes… Je n’ai rien dit et ne lui en veux pas, il ignorait assurément tous les Gdolim qui le possédaient et le lisaient.
Quelques années avant (en 1997), j’avais eu une mésaventure avec une autre personne qui devait être mon Shalia’h pour m’acheter le Meguilat Sefer du Yaabets et ne l’a pas fait finalement en raison d’une remarque d’un Rav qui estimait que ce Sefer était à proscrire. (Je précise qu’on était avant l’ère d’internet/Hebrewbooks qui met à disposition énormément de Sfarim téléchargeables en PDF.)]


Le Yabia Omer (VIII, E’’H §11,3) écrit qu’il ne convient pas de se reposer sur le Otsar Israel (pour contrer des Poskim), mais qu’il n’est pas interdit de le lire.
Voir aussi Yabia Omer (III, Y’’D §9,1) qui lui-même cite et utilise le Otsar Israel.


Beaucoup attaquent aussi le Otsar Israel pour des citations de textes de non-juifs et de Kofrim.
C’est le cas du Shout Shevet Miyehouda (Ben David) (1,p.269 note 3) qui critique et s’oppose au Otsar Israel (et à d’autres Sfarim) pour cette raison.
Rav Mazouz (op cit) dit que citer des opinions de Kofrim pour les contredire n’est pas répréhensible.

Rav Eisenstein lui-même répond à une partie de ses détracteurs à la fin de son Otsar Zikhronotay (p.370).

J’ajouterais encore qu’il ne faut pas oublier que Rav Eisenstein travaillait "comme un journaliste", il a vécu avant l’ère du « copier-coller » mais il en a été un des précurseurs.
Ceux qui s’offusquent qu’il puisse citer des opinions peu recommandables se trompent en considérant ses livres comme des manuels de Halakha pratique sur lesquels le lecteur devrait pouvoir se reposer totalement et agir en fonction.

Rav ‘Haïm Kanievsky aimait son Otsar Midrashim, il y a même une édition (Mishor) avec les annotations de RHK.
Toutefois, dans plusieurs de ces remarques il écrit qu’il convient d’effacer telle ligne ou tel paragraphe, et les éditeurs (Mishor) l’ont publié tel quel, en ajoutant en fin d’ouvrage les notes de RHK qui indiquent qu’il faut effacer tel ou tel passage.
On trouvera effectivement dans le Otsar Midrashim des choses bien farfelues (comme des mentions de Bouddha… p.333).

Bref, ce Rav Eisenstein était un homme Yeré Shamayim et un grand Baki qui a beaucoup œuvré pour la Torah en produisant des livres importants, Ashrav VeAshrei ‘Helko, et halvay qu'on ait plus de juifs comme lui !

Ses Sfarim ont été appréciés et utilisées par plusieurs Gdolei Israel, certains lui ont même écrit des lettres d’approbations.
Interdire ses ouvrages ne me semble pas intelligent, il faut juste avoir en tête que ce n’est pas un Rambam ni un Shoul’han Aroukh et qu’il ne convient pas d’avaler tout ce qu’on y trouve écrit [cela parait difficile à demander à ceux qui ont la maturité d’un enfant de 7 ans].

Je ne peux pas me relire maintenant, et c'est bien dommage, vu la taille de mon message, je crains les fautes. Veuillez les excuser.
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