Citation:
Dans quelle guemarrah on voit le din qu’il est interdit de dire à celui qui voyage lekh bécha-lom mais qu’il faut dire lekh lécha-lom ?
C’est dans
Moed Katan (29a) et
Brakhot (64a).
Par contre il ne s’agit pas d’un «
interdit », c’est seulement une sorte de superstition licite, autorisée par la Halakha, mais pas imposée.
C-à-d que celui qui ne fait pas attention à ça, ne risque rien.
La crainte ne concerne que ceux qui y souscrivent.
C’est ce que dit le
Nimoukei Yossef (fin de Moed Katan, 18b) : ויש בני אדם שמנחשין ומשימין דבר בלבם וכנגדן דברו חכמים, אבל למי שאינו מקפיד אין הדבר מזיק כלום
Nous trouvons la même chose dans les
‘Hidoushei HaRan (Moed Katan 29a) au nom du
ר"א (Rav Avraham ? = le Raavad ? ou le Ibn Ezra ?...).
Il semblerait que ce soit aussi la position de
Rabbi Yehouda ‘Hassid (Sefer ‘Hassidim §459).
[Voir encore
Psa’him (110b) à propos des Zougot, néanmoins, voir aussi
Rashbam (ad loc sv. Kol dekapid). Mais voir encore
‘Havot Yaïr (§197) sur le din de Katlanit, idem dans
Shout Nefesh ‘Haya (E’’h §1) et dans
Shout ‘Hatam Sofer (E’’H 1, §23) et
(‘helek VI, §70), et voir
Shout ‘Hatam Sofer (o’’h §168) sur Taanit ‘Halom,
Shout ‘Hatam Sofer (E’’H 1, §116) à propos des noms équivalents du gendre et du beau-père, idem dans
Shout Ezrat Cohen (E’’H §7) et
Igrot Moshé (E’’H 1,§4).]
Etrangement, le
Mishna Broura (§110, sk.17) rapporte cela comme s'il était halakhiquement prohibé de dire « Lekh Beshalom ». Idem Pour le
Maguen Avraham (§110, sk.9) mais ce dernier est plus accoutumé à rapporter différentes habitudes même si elles ne sont pas retenues halakhiquement.
[Le
Torah Tmima (Bereshit 15,15,8) écrit que le
Maguen Avraham est le seul à rapporter ce « din », mais il omet le
Rif et le
Rosh (fin de Moed Katan) , ainsi que le
Behag (hil. Aveilout -éd. Mekitsei Nirdamim, p.444, et nouvelle éd. p.254) . Le
Rambam (hil. Avel §4,4) rapporte la seconde partie
(qu’on dit au mort Lekh Beshalom), voir aussi le
Beit Yossef (Y’’D §276), et le
Darkhei Moshé (Y’’D §403).
De tels oublis, voilà qui est fort étrange de la part du
Torah Tmima. Peut-être s’est-il laissé entrainer par le
Rav Yeshaya Pik Berlin (Omer Hashikh’ha Brakhot 64a) qui semble dire que les Poskim n’ont pas mentionné cette halakha. C'est effectivement le cas du
Shoul'han Aroukh, mais nous en avons toute de même des mentions dans d'autres ouvrages halakhiques.]
Pour ce qui est du
Maguen Avraham et du
Mishna Broura, on peut peut-être expliquer qu’ils ne sont pas en désaccord de fond avec le
Nimoukei Yossef (et Ran, et Sefer ‘Hassidim) mais qu’ils disent simplement qu’il est halakhiquement demandé d’y faire attention lorsqu’on souhaite bon voyage à autrui, afin de ne pas le froisser/l’inquiéter dans le cas où il serait superstitieux
(et si l’on sait que notre ami n’y attache aucune importance, on pourrait lui dire Lekh Beshalom). Mais pas qu’ils nous enjoindraient par cette halakha à nous montrer nous-mêmes superstitieux sur ce point.
Certains A'haronim
(Ahalekh Baamitékha §8,13) cités par le
Piskei Tshouvot (§110,9, note 76) y voient une obligation et écrivent qu'il convient aussi d'y faire attention -dans la mesure du possible- même si l'on se sépare de son ami dans une autre langue.
(il faudrait veiller à ne pas dire ce qui correspondrait à Beshalom mais à Leshalom.)
Ne possédant pas ce livre
(Ahalekh Baamitékha de Rav Betsalel Stern), je ne sais pas sur quoi il s’appuie, mais il est vrai qu’étant donné que la Gmara apporte comme « preuve » le fait que Yitro ait dit à Moshé Lekh Leshalom et que ça lui a été bénéfique
(alors que David a dit Lekh Beshalom à Avshalom qui a fini "pendu" et en est mort), il semble probable que Yitro ne discutait pas avec Moshé en hébreu et que ce n’est qu’une retranscription de ce qu’il lui a dit. Nous voyons donc que l’avantage de « Lekh Leshalom » ne se restreint pas exclusivement au souhait prononcé en hébreu.
Ces Poskim ne sont pas les seuls à y voir une halakha dans son sens le plus strict, nous trouvons différentes questions (cf.
Torah Tmima Bereshit 15,15,8) posées par des A'haronim (voir par exp.
Tiféret Israel Rosh Hahana II,9, Boaz 1, et tant d’autres) sur des psoukim (comme ושבתי בשלום אל בית אבי et d'autres), indiquant que nous serions sommés de craindre cette superstition ce qui est pourtant contredit par le
Nimoukei Yossef (op cit). Le
Torah Tmima (Bereshit 15,15,8) au contraire, fort de nombreux versets et textes du Talmud qui indiquent l’utilisation de « Beshalom », prouve que le
Nimoukei Yossef a raison et que cette idée n’est pas contraignante.
Il y en a aussi qui s'étonnent de la lettre du
Baal Hatanya, adressée au
Kedoushat Lévi, dans laquelle il écrit יצאתי בשלום
(à propos de sa sortie du 19 Kislev). (on aurait pu dire qu’il n’y a rien à craindre rétroactivement, une fois que c’est passé et qu’il raconte son histoire, mais d’autres développements ont vu le jour autour de cette question.
Voir à ce sujet le
Shout Min'hat Its'hak (III, §6).
Le
Ktonet Passim (Padva) (fin de Moed Katan, 1858 daf 6a) apporte une preuve au
Nimoukei Yossef qu’il ne s’agit pas d’une halakha contraignante et qu’on peut librement choisir de ne pas en tenir compte, à partir de la souguia dans
Taanit (9b) où Rava dit à ses élèves ליזלו רבנן בשלמא.
La même preuve a été apportée par
Rav Reouven Margulies dans son
Nefesh ‘Haya (Milouim §110) et dans son
Mekor ‘Hessed (§459,1) .
Je souligne d’emblée que ce n’est pas
Rava mais
Rav Papa qui dit cela.
Et je ne suis pas totalement convaincu par cette preuve. Dans le texte en question on nous dit que 3 élèves étudiaient chez Rava et depuis que ce dernier décéda, ils allèrent étudier chez Rav Papa. Lorsque leur nouveau Rav disait une Svara qui ne leur plaisait pas vraiment, ils se faisaient des signes
(comme des clins d’œil) moqueurs entre eux, mais Rav Papa l’avait remarqué et en était vexé. Rav Papa vit un passouk (ואכחד את שלשת הרעים בירח אחד)
(Zekharia 11,8) en rêve prémonitoire, lui faisant comprendre qu’ils allaient être punis min hashamayim
(mourir)
[NDLR: peut-être que le passouk lui a été présenté en rêve agrémenté d’un Al Tikrei « Haroïm » éla « Haraïm » puisqu’il est écrit ‘hasser sans le vav.]
Le lendemain, après le cours, Rav Papa leur dit au revoir en disant ליזלו רבנן בשלמא
(et non לשלמא, quoique certains textes -dont le Ein Yaakov - comportent une version corrigée « Lishlama »).
A partir de là, le
Rav Padva et le
Rav Margulies nous disent qu’on voit bien que Rav Papa n’a pas respecté la recommandation des ‘Hazal de le dire avec un Lamed et non avec un Beit, c’est leur preuve pour le
Nimoukei Yossef qu’il ne s’agit pas d’une recommandation obligatoire, mais d’une suggestion pour ceux qui y voient un mauvais Siman.
J’aurais plutôt compris que la Gmara, au contraire, voulait nous dire que Rav Papa était parfaitement au courant de la recommandation de
Moed Katan (29a) et
Brakhot (64a) et que c’est justement une sorte de malédiction qu’il lança à leur encontre, puisqu’il savait qu’ils allaient mourir
(et la preuve tombe totalement à l'eau).
Le
Maharsha explique qu’en leur disant ליזלו רבנן בשלמא , Rav Papa leur disait de rentrer chez eux et de ne plus revenir dans sa Yeshiva (il les renvoyait) afin que le rêve (qui dit qu’ils seront anéantis, qu’ils disparaitront, ואכחיד) s’accomplisse en cela.
Le
Sfat Emet semble avoir compris du
Maharsha que son intention était de dire que Rav Papa souhaitait qu’ils soient anéantis en rentrant chez eux, car il s’étonne des dires du
Maharsha et trouve étrange de dire que Rav Papa souhaiterait ainsi leur punition. Le
Sfat Emet préfère donc expliquer qu’il leur disait ליזלו רבנן, pour leur dire d’aller étudier dans une autre Yeshiva. (Je pense que c’était aussi l’intention du
Maharsha, contrairement à ce qu’en a compris le
Sfat Emet, mais bon...)
Puis, le
Sfat Emet ajoute, que selon la version qui porte בשלמא et non לשלמא, force nous est de reconnaitre que Rav Papa souhaitait leur punition comme l’écrit le
Maharsha.
Donc le
Maharsha, selon la lecture du
Sfat Emet, expliquerait la Gmara de cette manière et cela repousse totalement la preuve du
Ktonet Passim et du
Nefesh ‘Haya.