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Les gros mots que nous connaissons sont-ils considérés comme du Nivoul pé ?
Je vous demande cela car je connais plusieurs personnes (des rabbins aussi) qui ne sont pas dérangés d'en dire. Est-ce du laxisme, ou bien ont-ils raison ?
Ça dépend de ce que vous appelez ici des gros mots.
Si l’on distingue entre un vocabulaire vulgaire et un vocabulaire grossier, ce dernier n’est pas à considérer comme Nivoul Pé, même s’il convient, dans l’absolu, de l’éviter.
Ce que l’on appelle Nivoul Pé concerne essentiellement des termes liés aux Arayot et tout discours salace.
Il se trouve que certains gros mots y sont liés alors que la majorité de ceux qui les utilisent ne savent pas ce que ces mots signifient exactement à l’origine et qu’ils renvoient à des notions de Arayot.
On pourrait se demander dans quelle mesure cela s’appelle encore du Nivoul Pé si celui qui prononce ces mots ignore leur sens et imagine qu’il ne s’agit que de mots familiers/grossiers (mais non vulgaires).
D’un autre côté,
Rav Kook (Moussar Avikha §III, 4 -p.73) considère que ce n’est pas qu’en matière de Arayot que la notion de Nivoul Pé s’applique, selon lui, toute parole entrainant vers une mauvaise Mida (comme l’orgueil, l’obséquiosité, etc.) est qualifiée de Nivoul Pé.
Il me semble cependant que ce n’est pas l’opinion majoritaire et (j’espère que) les terribles conséquences du Nivoul Pé (cf.
Shabbat 33a) ne s’appliqueront effectivement pas pour un simple gros mot.
[Il est aussi dit, là-bas, que celui qui écoute et accepte le Nivoul Pé, ne s’en sortira pas indemne. כל המנבל פיו אפילו חותמין עליו גזר דין של שבעים שנה לטובה הופכין עליו לרעה. אמר רבה בר שילא אמר רב חסדא כל המנבל את פיו מעמיקין לו גיהנם... רב נחמן בר יצחק אמר אף שומע ושותק. ]
Quoi qu’il en soit, les mots grossiers doivent aussi être évités.
Le contrevenant ne peut être qualifié de Menavel Piv, certes, mais il faut aussi veiller à la Nekiout Halashon (cf.
Psa’him daf 3).
Il ne s’agit pas d’imposer l’exclusivité du langage châtié, chacun peut parler comme il l’entend, mais il convient de respecter une certaine retenue et ne pas faire usage des termes considérés grossiers (même s’il ne s’agit pas de Nivoul Pé) ni ne tenir de propos discourtois.
Le cynique qui refuse de s’y plier
(par orgueil, ou par bêtise, ou par révolte, ou par cynisme tout court) et qui ressent constamment le besoin d’insérer dans son discours quelques vocables populaciers, afin de se rassurer et se donner une contenance ou le sentiment qu’il marque l’esprit de son interlocuteur, reste le premier perdant et la victime essentielle de sa faiblesse qui lui impose de mépriser ces conventions sociales.
Mais comme il n’en a pas conscience, il prend plaisir à glisser « religieusement » quelques termes triviaux et plébéiens dans sa conversation.
La grossièreté est utilisée par certains pour s’affranchir des conventions sociales de politesse et se donner un sentiment de liberté voire de puissance, mais en réalité ils se rabaissent, du moins aux yeux de ceux qui ne sont pas atteints par le syndrome des soixante-huitards bloqués dans leur révolte. Et comme disait l’autre,
la politesse est à l'esprit ce que la grâce est au visage…
Vous remarquerez que les personnes qui ne surveillent pas leur langage, ne sont jamais parfaitement bienveillantes et attentionnées vis-à-vis d’autrui.
La brutalité de leur vocabulaire reflète la brutalité de leurs rapports avec les autres, celui qui est vraiment bon et qui aime les gens, ne se résout pas facilement à parler trivialement.
Le
Imrei ‘Haim (de Vijnitz) disait que l’expression orale de l’homme ressemble aux effluves qui émanent et s’échappent de la casserole, sans ouvrir la casserole on peut savoir ce qui s’y cuit. A la façon de parler d’une personne, on peut savoir ce qui se passe « à l’intérieur » de lui.
Vous écrivez qu’il y a des rabbins grossiers. Hélas.
Qui suis-je pour le leur reprocher ?
Toutefois, vous me demandez mon avis, alors j’y vais : C’est une dérive relativement récente, il y a encore un siècle, ou même jusqu’en 1968, il eut été très difficilement imaginable qu’un rabbin puisse être grossier, le lien avec les Midot étant tellement évident qu’on y voyait une contradiction flagrante.
Que voulez-vous que je vous dise ? Que c’est bien ? certainement pas.
Si vous les connaissez, vous remarquerez probablement que leur bonté est assez limitée, que leur bienveillance et leur compassion envers les autres ne sont pas des plus développées
(et qu’ils auront tendance même parfois à s’énerver).
Ils peuvent faire du ‘Hessed bien sûr, ils peuvent aider beaucoup de gens dans plusieurs domaines, mais généralement, au fond d’eux, ils n’éprouvent pas un grand respect envers les autres.
Et, précisément, lorsqu’ils parlent à une personne qu’ils respectent vraiment, il n’y a subitement plus un gros mot dans leur discussion.
Ça veut tout dire…
L’esprit soixante-huitard peut vouloir faire croire qu’il n’y a aucun problème au Nivoul Pé ni à la grossièreté, mais si l’on analyse avec franchise les Midot de ceux qui prônent ces idées, on a vite fait de constater qu’il est bien rare que ces gens éprouvent un réel respect pour autrui
(je veux dire pour les personnes à qui ils s’adressent de la sorte, lorsqu’ils s’adresseront à une personne qu’ils respectent réellement, ils surveilleront bien plus leur langage).
Je n’ai pas tenté une étude comparative, mais il me semble probable que cette dérive (du rabbin grossier) soit essentiellement un fléau français.
Je ne connais pas de rabbin (digne de ce titre) aux Etats-Unis ou en Angleterre qui soit grossier.
C’est lié, je pense, à l’esprit soixante-huitard.
Ce phénomène sociétal a aussi (et essentiellement) des points positifs ; les rabbins français sont souvent plus réfléchis, philosophes et profonds
(comparés aux rabbins des autres pays qui sont généralement plus superficiels) dans leur réflexion théologique.
[Hélas, concernant l’analyse précise, « Lamdanique » et scientifique du Limoud, les français sont à la traîne par rapport aux rabbins israéliens, américains ou anglais. On ne peut pas dire qu’il y ait des Talmidei ‘Hakhamim comme il se doit en France, il n’y en a que très très peu, ils sont rarissimes.]
Il faut tout de même souligner qu’un rabbin grossier n’est pas nécessairement à condamner totalement.
C’est souvent un peu malgré lui, de par son éducation, ou de peur de paraître benêt et bigot aux yeux de ses amis.
Cette « ambiance mai 68 » peut amener à assimiler ceux qui surveillent leur langage à des hypocrites ringards et coincés.
Certains rabbins grossiers sont malgré tout, en parallèle, gentils et bons.
Nous avons tous nos « points faibles », nul n’est parfait et j’ai du mal à m’accorder avec les Rabanim qui prônent la mise au ban des rabbins grossiers et qui assurent qu’ils sont concernés par ce que disent les Sages «
si le Rav ressemble à un ange, apprend la Torah de sa bouche, sinon, n’apprend pas la Torah de sa bouche »
(‘Haguiga 15b et Moed Katan 17a).
Je pense qu'il faut nuancer et distinguer le grossier du vulgaire et se concentrer surtout sur sa Yirat Shamayim, si elle est pure, sa grossièreté n'est parfois qu'un défaut mineur (en France).
(Mais bien entendu, celui qui est dérangé par la grossièreté du rabbin n'a pas à étudier auprès d'un Rav grossier.)
Pour conclure, je dirais que la grossièreté d’un rabbin le déshonore, mais n’allez pas le lui dire, il vous insulterait et mépriserait votre position. Généralement ces rabbins grossiers ne comprennent pas ou ne perçoivent pas le lien entre la grossièreté et les Midot, car c’est souvent un problème de Midot.