Sur la question du symbolisme et du sens profond des songes de Joseph, voici ce qu’en écrit le rabbin Elie MUNK dans sa Voix de la Thora (Vol. 1, p. 383) :
« Ce verset (Berèchith 37, 3) inaugure la série des rêves qui jouèrent un rôle si éminent dans l’existence de Joseph, et, par voie de conséquence, dans l’histoire du peuple juif. Joseph sombra dans le malheur à cause de ses rêves, remarquent nos Sages du Midrach, et il dut également sa prodigieuse ascension à des rêves, qui furent ceux des deux officiers égyptiens détenus en prison et ceux du roi Pharaon. En mettant ainsi les rêves en relief, l’Ecriture semble vouloir attirer notre attention sur l’éminente valeur des facteurs irrationnels, tels que le rêve, dans l’existence humaine. Toute la vie d’un homme peut être dominée par ce facteur et son influe peut se répercuter jusque sur les destinées historiques de toute une nation. Nous nous rendons compte, grâce à cet exemple, que les réalités d’ordre social, économique ou politiques ne sont pas seules à déterminer la marche de l’histoire; il existe des facteurs d’un ordre tout différent qui interviennent avec non moins de force dans nos vies, et parmi eux se situe le facteur irrationnel du rêve. Bien plus, dans le conflit historique qui opposa, durant toute sa vie, Joseph, le rêveur, à ses frères, les réalistes, ce fut finalement le ba‘al ha-‘halomoth, le rêveur qui l’emporta.
Certes, les rêves de Joseph aussi bien que ceux des officiers égyptiens et de Pharaon contiennent des révélations d’événements futurs qui ne peuvent émaner que d’une source transcendante, et cette constatation soulève à nouveau le vieux problème des rapports entre la prédestination et le libre arbitre. Quelle est, dans l’histoire de Joseph et de ses frères, la part de la responsabilité des acteurs eux-mêmes en regard du fait que l’évolution était déterminée par avance ? Des penseurs tels qu’Isaac Arama (Aqéda chap. 28), Malbim (qui entre en polémique avec lui), Rabbi J. L. Bloch (Chiourei da‘ath) tentent de répondre à la question et proposent différentes théories. Rabbi Jacob ben Achèr déclare que les rêves de Joseph ne faisaient que refléter les pensées qui l’animaient durant la journée et qu’ils engageaient, par conséquent, sa seule responsabilité. (Pérouch ha-Tour).
Mais c’est à la thèse de Maïmonide qu’on aura toujours recours, en dernière analyse. Il stIpule que cet éternel problème n’est pas à résoudre par les critères de notre pensée, fondamentalement différente de la pensée divine. L’enchevêtrement de l’action humaine et de l’action providentielle est, en effet, tel que nul être vivant ne peut en déceler le mystérieux mécanisme (Hilkhoth techouva 5, 5). Au chapitre 48 du Guide des Egarés (tome 2), Maïmonide semble cependant vouloir défendre la thèse que Dieu lui-même dirigea le libre-arbitre des fils de Jacob, de manière à leur faire accomplir, à leur insu, un grand acte qui était dans le plan de sa providence. »
Quant à la signification à donner au rôle joué par le soleil dans les rêves de Joseph, je citerai le commentaire suivant du Da‘ath Zeqènim (ad Berèchith 37, 9) : Lorsque Josué arrêta la course du soleil à Guiv‘on (Josué 10, 12), il lui déclara: « N’es-tu pas le serviteur de Joseph pour t’être prosterné devant lui ? Or, je suis un de ses descendants ! [Donc, prosterne-toi et obéis-moi aujourd’hui] ! »