Ce motsae shabbat j'avais enregistré la question en pensant y répondre dès que possible. À ce moment il n'y avait aucune réponse sur le site. Plus tard j'ai rédigé ma réponse mais sans vérifier avant une seconde fois si j'avais été devancé.
Et maintenant je vois (après rédaction) que Rav Klapisch m'a devancé.
Mais mon message allant dans le même sens que le sien, étant déjà rédigé, je le poste tout de même:
Il n'y a aucun ISSOUR à dormir le jour de Rosh Ashana.
On mentionne un Yeroushalmi qui dirait que celui qui dort à RH («en début d’année») endormirait son « Mazal ». (il existe des divergences d'opinions concernant le second jour de Rosh Ashana).
Il convient de noter au passage que ce Yeroushalmi (supposé être dans masse’het Rosh Ashana) demeure bizarrement introuvable même aux meilleurs lecteurs de Yeroushalmi. (cf. Maarats ‘Hayes Meguila 12a)
Il est cité dans différents sfarim et dans les classiques de la Ala'ha comme le Rama dans Darkei Moshe (O’’H §583), le Gaon de Vilna (ad loc) , le Taz (ad loc) , le Mishna Broura (ad loc) ou le Shla (masse’het RH, Thora Or 210) mais ne se retrouve pas dans le Yeroushalmi dont nous disposons
(ce qui est fort étrange de la part du Gaon de Vilna qui le cite fièrement alors que tout indique qu'il disposait du même Yeroushalmi que nous).
Le Arizal, l'un des rabbins les plus difficilement contestable en matière de somnolence du mazal, a dit qu'après 'Hatsot ayom (-vers 13h44 cette année à Paris), la prière et la sonnerie du shofar, il n'y a plus de problème à dormir (Maguen Avraham §583, sk.6 et Mishna Broura §583, sk.9).
Néanmoins le Maté Ephraim (Elef Lamaté §598, sk.1), sans le contredire clairement, explique que ceci ne concerne que le Arizal en personne qui, durant son sommeil accomplissait de grandes choses, mais nous autres qui nous contentons de rêver ne pouvons guère nous permettre de piquer un roupillon en plein jour de jugement.
Je trouve cette logique très étrange.
Si nous disposions seulement d'un témoignage que le Arizal dormait, je pourrais comprendre le Maté Ephraim, mais en dehors de dormir (l'après-midi de RH) le Arizal a aussi DIT qu'après 'hatsot il n'y a plus de problème à dormir CAR l'ange est déjà éveillé par nos prières et notre sonnerie du shofar.
Dès lors je ne parviens pas vraiment à suivre l'argument du Maté Ephraim.
Je me suis laissé dire –en tant que limoud z'hout pour essayer de comprendre- qu'il aurait été motivé à écrire cela par une volonté d'encourager ses semblables à mettre à profit la journée de RH en y réservant un bon moment d'étude, ce qui est assurément très appréciable et recommandable.
Rien d’étonnant donc de constater que majoritairement, les A’haronim citent (et retiennent) le Arizal ,
voyez le Yaabets dans son Sidour (lois de Rosh Ashana §9),
le Arou’h Ashoul’han (O’’H §583, 4),
le Kaf A’haim (§583, sk.36) tout en précisant qu'il n'y a pas non plus de MITSVA de dormir.
Le Shoul’han Arou’h Arav Baal Atania (§583, 8) après avoir mentionné que l'on a l’habitude de ne pas dormir, écrit que certains ont l'habitude de dormir l'après-midi, et le Kitsour SA (Ganzfried) (§129, 20) écrit que celui qui sent sa tête lourde peut dormir un peu avant Min’ha.
C'est aussi ce qu'écrivent le ‘Hayei Adam et le Ben Ish ‘Haï (I, Nitsavim §11)
En bref, il y a un plus à éviter de dormir même après ‘hatsot, mais il ne faut pas en faire un plat.
Cependant, je tiens à préciser quatre points parmi ce que j'ai répondu à l'oral à ceux qui m’ont demandé ce que je pensais de cette ala’ha :
1) L'idée d’éviter de dormir ne doit pas être comprise en dehors de son contexte ; étant jugés ce jour-là, il est préférable d’étudier ou de lire des tehilim ou de s'adonner à d'honorables occupations plutôt que de rejoindre les bras de Morphée.
Mais trainailler à ne rien faire ou se retenir de dormir à l'aide d'allumettes pour se tenir les yeux ouverts est absurde.
Il vaut mieux dormir afin d'avoir la force de prier convenablement à min’ha.
Être « yoshev batel » me semble tout autant nocif pour le mazal, voire bien plus -même si des mots du Maguen Avraham (§583, sk. 6), du Ma’hatsit Ashekel (ad loc) et du Mishna Broura (§583, sk.9) il semble ressortir que c'est seulement « comparable ».
2) Lorsqu'on parle de ne pas dormir (toute la journée ou jusqu’à ‘hatsot ayom) il est évident que cela concerne en premier lieu le début de la journée, c-à-d le matin dès l’aube –Alot asha’har- il faut donc se lever AVANT l'aube (pour info cette année à Paris vers 5h54 ou au plus tard 6h15).
C’est évident et ne nécessite pas de source autre que le bon sens mais j'indiquerais tout de même le Ben Ish ‘Haï (I, Nitsavim §11) , le Elef Amaguen (§584, sk.1) , le Kountras A’haron du Shearim Ametsouyanim baala’ha (§129, 20) et le Kaf A’haim (§583, 39) qui l’écrivent explicitement.
Les plus « meikilim » (Tshouvot Veanagot I, §339 et d'autres) tolèrent de se lever AVANT le lever du soleil (anets) (vers 7h30 à Paris cette année) mais il est totalement ridicule de s'inquiéter de dormir l'après-midi sans se préoccuper de s'éveiller le matin avant l'aube (ou le lever du soleil) !
Bref, l'idée de ne pas dormir à RH est avant tout de ne pas dormir après l'aube, pour ce qui est de l'après-midi, c'est un plus assez « ‘houmratique ».
Donc avant de se battre sur dormir ou non l'après-midi, il convient de se lever AVANT 6h du matin.
3)Et là il s’agit d’un ‘hidoush personnel (qui me semble évident mais ne le sera peut-être pas pour tout le monde) qui vient « alléger » un peu le deuxième point:
Quand nous trouvons dans les poskim cette rigueur imposant de se lever impérativement avant l'aube ou le lever du soleil, il convient de remettre cette loi dans son contexte d’origine.
A l’époque où ils écrivaient cela, les gens avaient l'habitude de se lever tous les jours avant l'aube (ou le soleil).
On ne vivait pas avec l'électricité, allumer une chandelle est moins pratique qu'une ampoule et éclaire nettement moins.
Les gens vivaient beaucoup plus avec le soleil que nous. Ils se couchaient beaucoup plus tôt que nous et se levaient aussi plus tôt.
On raconte beaucoup d'histoires sur certains rabanim qui se levaient tous les jours à 2h ou 3h du matin pour commencer à étudier, mais il ne faut pas être dupe, pour se lever à 2h du matin, encore faut-il se coucher AVANT 2h du matin !
Ainsi, dans une société ou tout le monde se lève au plus tard avec le soleil (et généralement avec le coq), le fait de dormir après l'aube ou le lever du soleil correspondrait à / se traduirait de nos jours par / se lever à 10h du matin !
Dans ce cas, bien sûr, c’est mauvais pour le mazal.
Mais se lever de nos jours à 7h du matin n'a rien de terrible, donc je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se torturer pour se lever plus tôt.
Ce n’est pas pour rien que des milliers de rabanim depuis le XXème siècle n'ont pas été pointilleux sur ce point.
Craignant d’être âprement critiqué et traité de réformateur pour cette vue innovante, je m'apprêtais à écrire que cela n'engage que moi, mais trouvant cette protection assez peu efficace j’ai cherché un petit peu dans les sfarim et B’’H j’ai trouvé !
J'ai été devancé en cela (certainement par des milliers de rabanim, mais au moins par un d’eux avec une source « écrite »,) par Rav Elyashiv z’’l qui pensait que de nos jours il n'est pas impératif du tout de se lever avant l'aube « ein al zé kpeida KLAL » (cite dans Kountras Il’hot ‘hodesh Tishrei p.14 et dans Ashrei Aïsh –de mon ami lerav Feinhandler- Ora’h ‘haim III, §XIV, 11).
Donc cela n'engage que moi ET le rav Elyashiv : )
4) Et là c’est vraiment douloureux :
Je tiens à exprimer mon désarroi devant le niveau des préoccupations de la communauté juive française (soucieuse de la ala’ha) en général.
Depuis que je suis arrivé en France, une des questions qui m'a été le plus souvent posée c'est « s’il est encore possible de lire des tehilim vu l’heure ».
Les juifs parisiens (et de certaines autres villes aussi) accordent un intérêt démesuré à des petits détails mystiquo-ala’hiques de moindre importance face à des ala’hot ‘hamourot qu'ils n'hésitent pas à piétiner sans vergogne par ignorance.
La place qu'occupe tout ce qui est mystique dans la vie du juif français moyen est affolante.
Je ne viens pas mener la guerre à tout mysticisme mais il ne faut pas perdre de vue les mitsvot de notre Thora (min athora ou miderabanan, tout ce que cite le shoul’han arou’h) et s'assurer de les accomplir convenablement en premier lieu.
Nous pouvons trouver des personnes qui n'ont jamais lu les lois du Shabbat intégralement ne serait-ce qu'une seule fois mais qui connaissent par cœur les moindres détails des segoulot du Ben Ish ‘Haï ou encore toutes les précisions sur lire ou ne pas lire de la Thora Shebi’htav la nuit.
C’est triste, douloureux, ridicule, absurde, dommage et dangereux pour l’avenir du judaïsme.
Cette remarque ne s'adresse pas à l'auteur de cette question, ni à quelqu'un en particulier, c'est juste que j'ai le sentiment qu'il ne faut pas taire ce genre de remarques de nos jours.
Et comme j'ai entendu de nombreuses personnes durant ce Rosh Ashana (et un peu avant) dont la préoccupation essentielle tournait autour de la sieste durant la fête, je pense qu'il convient de diffuser mon opinion sur ce point même si elle ne sera certainement pas partagée par tout le monde.