Le seul kidoush de Yom Tov où il faut vraiment attendre la nuit, c’est le soir de la Hagada de Pessa’h.
Pour Shavouot, c’est une déduction inventée par des A’haronim, discutable, et totalement absente des ‘Hazal et des Rishonim, de telle sorte que celui qui souhaite s’y astreindre le peut, mais l’imposer en France alors que la nuit tombe très tard au mois de Sivan, selon moi, ce n'est pas convenable.
Je sais que dans quasiment toutes les communautés religieuses on vous dira qu’il faut attendre la nuit pour le kidoush de Shavouot, voire même pour Arvit [et certains s’y astreignent aussi pour le second soir de Shavouot, ce qui est absurde, car ce qu’indique la source est uniquement pour le 1er soir], mais je soupçonne ceux qui adhèrent si facilement à cette invention des A’haronim (même lorsqu’elle va à l’encontre de choses plus importantes), d’y céder afin de réduire la nuit d’étude de Shavouot qui ne commencera que très tard, quel dommage !
En fait, pour beaucoup, l’étude de la nuit de Shavouot parait immensément longue, donc on fixe la prière à la nuit et résultat: le début de la veillée est annoncé vers 0h30 ou 1h du matin (et on annonce aussi le début de la Tfila du matin dès 4h45 comme ça il n’y a que 3h45 de limoud et ça fait moins peur… Oy vavoy.
(Alors qu'une nuit "bien remplie" peut procurer plus de 6h de Limoud. En hiver c'est extraordinaire, on a des nuits encore plus longues et on peut faire des veillées de 10h sans problème.)
Ce minhag d’attendre la nuit nous vient du Taz et du Maguen Avraham, que le Mishna Broura reprend (les trois sont dans O’’H en début de §494).
Le Mishna Broura, comme le Taz , parle d’attendre même pour Arvit, alors que le Maguen Avraham parle du Kidoush.
Le Shla (début de massekhet Shavouot) souligne que l’essentiel est surtout pour le kidoush.
Je crois que le tout premier à inventer cette « ‘Houmra » d’attendre la nuit pour le Kidoush, était le fameux (et contesté) Rav Yaakov Pollak, grand Lamdan qui a reboosté les Yeshivot au XVIème siècle en introduisant la méthode dite du Pilpoul.
On trouve dans quelques Sfarim, notamment dans le Emek Brakha (du père du Shla) (daf 69c) qu’il fait état d’une transmission de maître à élève depuis Rav Yaakov Pollak, indiquant qu’il faille attendre la nuit pour le Kidoush puisque la Torah indique de compter 7 semaines complètes (déduction du mot Tmimot).
La déduction ne semble pas s’imposer du tout, mais passons.
Le Yaabets dans son Sidour appelle ça un « Dikdouk Kaloush des A’haronim » (une déduction faible des A’haronim ).
L’ennui c’est que plusieurs A’haronim ont rapporté cette « Halakha », comme le Shoul’han Aroukh Harav du Baal Hatanya (§494, 2), Le Pri Megadim (Mish. Z. §494 sk.1), le Mishna Broura (§494 sk.1), et d’autres qui suivent tous le Taz pour retarder même la Tfila du soir à la nuit.
D’autres s’y opposent et considèrent qu’au contraire, il est préférable de faire entrer la fête plus tôt et faire Arvit avant la nuit, on attendra seulement pour le Kidoush (cf. Daat Torah (§494) qui cite le Na’halat Shiva et le Massat Binyamin).
(C’est d’ailleurs ce qui ressort du Emek Brakha (op cit) où l’on voit explicitement que la prière était récitée avant la nuit, l’idée d’origine du rav Pollak ne concernait que le Kidoush).
Mais la déduction même à partir de « Tmimot » (des semaines complètes) ne me parait absolument pas convaincante ; la notion de Tmimot se rapporte au décompte des semaines, il faut compter 7 semaines entières, en quoi le fait de faire Arvit ou kidoush fait qu’on n’aurait pas compté 7 semaines entières ??
S’il s’agissait de supputer en fin de journée, on pourrait l’entendre, mais comme nous faisons la Sfira en début de chaque jour (=la veille au soir), pourquoi y voir un écourtement des 7 semaines ?
Il faut beaucoup d’imagination pour décréter que le kidoush avant la nuit puisse poser problème.
Je m’inscris en cela dans la lignée du Yaabets qui trouvait ce Din très « tiré par les papillotes ».
J’ajouterais que l’absence totale de mention de ce Din dans les Rishonim suffit pour nous renseigner sur leur Minhag, nous savons qu’ils priaient le vendredi soir et veilles de fêtes avant la nuit et pourtant, pas un seul ne nous met en garde sur le soir de Shavouot… que peut-on en déduire selon vous?...
A n’en point douter, nos ancêtres ne voyaient pas dans le mot Tmimot une invitation à attendre la nuit.
Si le Rav Pollak souhaitait s’imposer cette rigueur, grand bien lui fasse, mais de là à généraliser cela en halakha, ça me parait extrême.
Seulement, que faire maintenant que beaucoup de A’haronim cautionnent ce Din ? On ne peut pas envoyer valser tous les A’haronim d’un revers de main, sans avoir de preuves solides, voire des alliés parmi les A’haronim eux-mêmes.
Le Yaabets a déjà témoigné de son antipathie à l’encontre de cette habitude, mais il n’est pas le seul ;
Le Shout Melamed Lehoïl (I, §108) lui emboite le pas, et rapporte aussi le Yossef Omets (Haan) (§850) qui souligne que les vieux rabbanim ne faisaient pas attention à cela et faisaient le kidoush avant la nuit.
Il a donc vu la transformation à son époque, les jeunes ont adopté ce minhag alors que les Anciens, non.
De plus, dit-il, ceux qui restent éveillés toute la nuit de Shavouot pour dire le Tikoun etc. verraient leur nuit rabotée de près de 50% s’ils attendaient la nuit pour faire kidoush.
[il est intéressant de souligner qu’il semble de ses dires, que la veillée de Shavouot était réservée aux « Medakdekim » (=les ma’hmirim).]
C’est pourquoi, il autorise, lui aussi, de faire kidoush dès la Shkia.
C’est aussi l’opinion du Shout Deguel Ma’hané Ephraïm (Laniado) (O’’H §3).
Idem pour le Ye’havé Daat (VI, §30) pour qui on ne tiendra compte de cette ‘houmra que si c’est réalisable sans difficulté particulière.
Il y a encore une Svara intéressante du Shout Hitorerout Tshouva (II, §296), il se base sur le Taz (§668) qui dit qu’en faisant kidoush avant la nuit (et avant la Shkia mais après le Plag) à Shmini Atseret, on ne dira pas la brakha Leishev Bassouka, bien qu’il fasse encore jour, car en faisant entrer la fête à l’avance, on accomplit la Mitsva de Tossefet Yom Tov et par-là, on sacralise la journée et fait débuter la fête, on n’est donc plus un jour de Soukot, mais déjà dans Shmini Atseret.
Donc ici aussi, en faisant Kidoush de Shavouot, on « termine » les 7 semaines et il ne manque rien à ce dernier jour, puisque -selon la Torah, ce 49ème jour se termine pour moi au moment où je récite mon kidoush (/fait entrer la fête).
Donc d’après le Taz lui-même, il ne serait pas nécessaire de suivre cette ‘Houmra (pourtant rapportée par le Taz).
C’est magnifique.
Mais on pourrait tout aussi bien dire l’inverse ; qu’en faisant que le jour se termine à l’avance (par ce kidoush), on réduit la longueur du dernier jour des 49 (qui ne fera que 23h) et, en cela, on va à l’encontre du terme « Tmimot ».
C’est certainement ce qu’aurait répondu le Taz si on l’avait mis face à sa contradiction.
Ça se tient aussi comme logique et c’est d’ailleurs ce qu’écrit le Shout Migdenot Eliahou (IV, §49), il écrit exactement l’inverse du Hitorerout Tshouva (sans le citer et sans l'avoir lu), chacun a pensé à une Svara inverse, diamétralement opposée.
J’ai un argument en la faveur de la lecture du Hitorerout Tshouva, c’est que si l’on suit celle du Migdenot Eliahou, de la même manière qu’il interdit de faire kidoush avant la nuit, il devrait aussi interdire de voyager durant les 7 semaines vers un pays où la nuit tombe plus tôt !
Car ainsi, on réduirait un peu les 7 semaines.
Supposons un juif en France qui va attendre la nuit noire pour le kidoush mais qui ira passer Shavouot en Israël, lorsqu’il fera Kidoush il n’y aura pas eu 49x24h depuis le début de sa Sfira en France. (ce n’est pas exactement 24h car les jours s’allongent jusqu’au 21 juin, donc le Tset (et la Shkia) avancent un peu chaque jour, donc nous parlons de jours de 24h et une ou deux minutes…)
Mais bon, à vouloir inventer de nouveaux Issourim, il n’y a pas de fin.
A mes yeux, l’absence totale de mention du Minhag chez les Rishonim est amplement suffisante, mais j’ajouterais que c’est plus que cela encore, il y a des endroits où c’est presque dit clairement, comme dans le Tosfot au début de Arvei Psa’him (Psa’him 99b sv. Ad) qui cite rabbi Its’hak de Corbeille qui disait que c’est uniquement "le soir de le Matsa" où il faut attendre la nuit, pas les autres fêtes.
En conclusion, comme il y a quand même plusieurs A’haronim qui rapportent ce Din, il convient d’en tenir compte tant que c’est « réalisable », mais dans les pays/villes où la nuit tombe tard (comme à Paris), si l’on a à table des personnes âgées ou des malades etc. qui ne peuvent pas attendre si tard, on pourra faire kidoush dès que la shkia sera passée car la Sim’hat Ha‘Hag passe avant cette ‘Houmra née tardivement.
Précision : j’écris ceci au niveau de la Halakha pure, après, il faut savoir tenir compte d’autres paramètres.
Par exemple s’il est nécessaire de commencer tard pour réduire la nuit d’étude (et que sans cela les gens risqueraient de s’endormir pendant la veillée ou ne pas y venir etc.), ou encore si le Rav local considère qu’il est impératif de suivre le Mishna Broura sur ce point même si cela décale le repas de fête à 23h. etc. dans tous ces cas, il faudra s'adapter. Et la règle d'or est que le Rav local à toujours raison, c'est lui qui connait sa communauté et sait ce qu'il doit faire. Il ne faut pas s'opposer à son rav en matière de Halakha, on peut, tout au plus, suggérer, souligner, demander, mais pas imposer ni même se montrer en désaccord.
Je ne viens pas pour perturber les habitudes, je réponds seulement à la question posée, avec franchise, en étant conscient que le Mishna Broura et plusieurs A’haronim disent qu’il est impératif d’attendre la nuit noire pour commencer Arvit même si cela décalait la Seouda à minuit, et en étant aussi conscient de ma petitesse face à l’ombre de ces géants.
Je dis ce que je pense -tout en respectant les Anciens, et en rappelant que je ne suis pas le seul à considérer cette habitude un peu excessive dans nos contrées européennes.
Enfin, si d’autres pensent que j’ai tort, je m’incline totalement, je ne cherche pas à imposer ma vision, mais il aurait été malhonnête de ma part de répondre ce que beaucoup répondent : « oui, le soir de Shavouot il est obligatoire d’attendre la nuit ».
Je précise tout ça car je sais qu'on va me reprocher de dire ce que je pense, mais il faut comprendre qu'une réponse (sur ce genre de sujet) donnée sur internet, ne vient pas toujours forcément répondre à votre cas précis et particulier, avec votre configuration, selon votre synagogue, etc.
Au niveau Halakhique, je pense que c'est une 'houmra excessive et "lointaine", qui ne doit pas primer sur la Sim'hat Ha'hag.
Dans la pratique, voir avec votre Rav, puisque c'est de SA synagogue qu'il s'agit.