Le Ramban (Nah'manide) dans sa critique sur le Séfer Amitsvot (1) exprime explicitement que "le fait d'habiter en Israël est une mitsva positive qui est en vigueur à toutes les générations. Cette mitsva concerne chaque juif même au temps de la Galout, comme cela est expliqué dans le Talmud". Aucun des Richonim (Rabbins du Moyen-âge) n'a contredit les paroles du Ramban. La seule source qui semble dire le contraire, nous la trouvons dans les paroles de Rabénou Haïm, rapportées dans les Tossefot dans le traité de Ketoubot (2). La Guémara nous dit: Si un homme désire monter en Erets Israël, mais que sa femme refuse, le mari a l'autorisation de divorcer de sa femme sans lui donner, comme c’est le cas généralement, la somme inscrite sur la Kétouba. Puisqu'elle refuse de le suivre, c’est elle qui est la source de ce divorce et n'a donc pas le droit à des indemnités. Dans le cas contraire où la femme désire monter en Israël et que c’est le mari qui refuse, elle peut l'obliger à lui donner le Guet (acte de divorce) et il lui donnera en plus des indemnités, car il est à l’origine du divorce. Et la guémara de continuer: si un esclave désire monter en Israël alors que son maitre ne le veut pas, cet esclave peut exiger de son maitre soit de le suive en Israël, soit de le revendre à un autre maitre, qui est sur le point de faire son Alya. Cette Guémara se résume en ces termes: Chacun peut obliger l'autre à monter en Erets Israël alors que personne ne peut obliger l'autre à quitter Israël.
Dans son commentaire sur ce passage, le Tossefot dit: "Ces Halah'ot ne sont pas en vigueur de nos jours, car il y a un danger sur les chemins. On ne peut donc pas obliger l'autre à monter en Israël". Le Tossefot rajoute ensuite les paroles de Rabénou Haïm, qui aurait dit que, de nos jours, il n'y a pas de mitsva d'habiter en Israël car il y a plusieurs mitsvots qui sont en rapport avec le travail de la terre et la consommation des fruits, Mitsvot Atélouyot Baarèts, et qu’il nous est difficile d'appliquer". Selon ses paroles, il semble qu'il n'y ait pas de mitsva en soit de monter en Israël, mais que cela n'est qu'un moyen d'appliquer les Mitsvot Atélouyot Baaréts. Nous pouvons aussi comprendre que la mitsva d'habiter en Israël est conditionnée par l'application des mitzvot dûes à la terre. Cependant cette conclusion est en contradiction avec les autres passages du talmud, à tel point que des grands rabbanim, eux aussi de l'époque des Richonim, en ont conclu que ces paroles ne pouvaient pas être de Rabénou Haïm. Elles auraient certainement été retranscrites par un élève qui se serait trompé. Ce sont les propos de Rabbi Yossèf di Térani (le Maarit) qui présente plusieurs objections dans son Responsa (3):
A) Le Roche, Rabbénou Acher, est un des derniers Baalé Atossafot. Il a lui même écrit un commentaire intitulé “Tossefot Aroche” et il a écrit un autre livre qui résume les conclusions des différents commentaires des autres Baalé Atossafot. Dans ces deux ouvrages, le Roche ne rappelle pas les paroles qu'aurait dit Rabénou Haïm. Bien au contraire, le Roche ramène notre guémara comme étant en vigueur aussi aujourd'hui.
B) Selon le judaisme, tous les biens matériels d'un couple appartiennent au mari. Une femme n'a donc pas l'obligation des mitsvot qui sont en rapport avec la terre, car la terre appartient au mari. Si le but de s'installer en Israël est d'appliquer ces mitsvots, il semble donc insensé qu'une femme, qui elle-même en est exemptée, puisse obliger son mari à monter en Israël afin qu'elle puisse les appliquer. Il y a donc apparement une autre raison de monter: La mitsva de vivre en terre sainte!
C) Même si nous considérons que la femme doit aussi appliquer les mitsvot de la terre puisqu'elle appartient au couple, cela n'est pas vrai pour l'esclave rapporté dans cette même Guémara. Il n'a aucune part dans la possession des terrains de son maitre. Il ne peut en aucun cas appliquer les Mitsvot Atélouyot Baaréts, et pourtant il a le pouvoir d'obliger son maitre à monter en Israël ou de lui permettre de monter. Ce pouvoir n'a donc aucun rapport avec le fait de respecter les Mitsvot Atélouyot Baarets. Il provient donc de la mitsva de vivre en Israël .
D) Rabénou Haïm aurait dit qu'en ces temps de galout, il est difficile de respecter ces lois. Le Maarit qui lui-même habitait en Israël ne comprend pas en quoi cela est plus compliqué qu'avant. “Qui empêche les juifs de respecter ces mitsvots ?”
Tous les autres rabbanim du Moyen-âge, vont dans le courant du Maarit. Ils pensent qu'il y a une mitsva d'habiter en Erets Israël, même après la destruction du temple, et que cette mitsva n'est pas dépendante du fait qu'une partie des mitsvot qui sont en rapport avec la terre a perdu de son statut de Mitsvot Déorayeta (de la torah) et est passée à un statut de Mistvot Dérabanan (lois dont l’autorité vient des rabbanims).
Le choulh'an Arouh' (4), rapporte les paroles du Talmud: "Un esclave peut obliger son maitre à monter en Erets Israël ou à le vendre à un autre maitre qui monte en Israël ". Rabbi Yosséf Karo, conscient de notre débat sur la question, rajoute cette remarque qui sort de l'ordinaire: "cette loi est en vigueur à toutes les époques, même aujourd'hui alors que la terre est aux mains des non juifs". Sur ce, le Gaon de Vilna (5) indique que le choulh'an Arouh' a tranché la halah'a à l'encontre de l'opinion que Rabénou Haïm aurait exprimée.
Le Pith'é Téchouva (6) s'est aussi interrogé sur la question. Sa conclusion est aussi que de nos jours il y a mitsva d'habiter en Israël et que “D'après tous les Richonim et Ah'aronim, un homme peut obliger sa femme à monter en Israël, comme nous le prescrit la Guémara”.
Cette même idée est exprimée par le H'atam Sofer dans son responsa (7): "Il est certain que la terre d'Israël est préférable à tous les autres pays, quelle que soit l'époque…La loi par laquelle un mari peut obliger sa femme, (ou le contraire), à monter en Israël, n'a pas de rapport avec les Mitsvot Atélouyot Baaréts. Le fondement de ces lois est la sainteté de la terre…La sainteté de Jérusalem ne dépend pas des Mitsvot mais du fait qu'elle est la porte des cieux depuis la nuit des temps, alors que les Yévoussim (Jébuséens) et les Cananéens habitaient encore cette terre. La providence divine n'a pas bougé et ne bougera pas du Kotel Amaaravi (mur occidental) même si le temple est en ruine… En conclusion (dit le H'atam Sofer) : à l'unanimité, la sainteté de la terre d'Israël et de Jérusalem, est éternelle. Elle y reste depuis la nuit des temps et jusqu'à jamais. Elle ne changera pas."
La mitsva d'y habiter est donc indépendante des autres mitsvot. Cela a aussi été exprimé par l'auteur de la célèbre prière, Léh'a dodi, Rabbi Chélomo Elekabets dans son livre Brit Alevy.
LA MITSVA D'HABITER EN ISRAËL - L'OPINION DU RAMBAM:
Dans son livre intitulé le Séfer Amitsvot, le Rambam recense la liste des mitsvot qui, selon la tradition, sont au nombre de 613. Il est étonnant que la mitsva d'habiter en Erets Israël ne fasse pas partie du décompte du Rambam. Doit-on en conclure que le Rambam considère que cela n'est pas une mitsva?
C'est en effet la conclusion du Meguilat Esther, qui explique, entre autre, que le Rambam aurait laissé cette mitsva de côté car "elle ne serait en vigueur qu'au temps de Yéhoshua et David, et tant que le peuple juif n'a pas été exilé. A partir du moment où il se trouve en Diaspora, cette mitsva n'est plus en vigueur jusqu’à la venue du Mashiah ». Les propos du Meguilat Esther ont cependant été très critiqués par les autres commentateurs. Dire que le Rambam aurait effacé de son livre cette mitsva, car n'étant pas pratiquable avant la venue du mashiah', semble ne pas aller avec les concepts du Séfer Amitsvot. En effet, le Rambam n'a pas établi uniquement la liste des mitsvot praticables à notre époque. Nous trouvons aussi un grand nombre de mitsvot qu'il est impossible d'accomplir aujourdh'ui, comme par exemple la mitsva de construire le temple (8), ou la mitsva selon laquelle les cohanim doivent préparer la Kétoret, encens spécial pour le temple (9)… Pourquoi le Rambam aurait-il recensé celles-ci et non celle d'habiter en Israël?
L'étude des Halah'ot écrites par le Rambam lui-même, dans le Michené Torah, démontre qu'il pensait, sans le moindre doute, qu'habiter en Israël est une mitsva en vigueur encore aujourd'hui. Quelques exemples :
1. La guémara (10) dit qu'un juif qui désire acheter une maison en Erets Israël, a le droit de faire écrire le contrat d'achat par un non-juif le jour de chabbat, alors qu'il lui est interdit, dans tous les autres cas, de demander à un non-juif de réaliser un travail interdit le Chabbat. La guémara conclut qu'à cause de l'importance de cette Mitsva de Yichouv Aarets -habiter en Israël- les rabbanim n'ont pas inclus ce cas précis dans cet interdit. Les Baalé-Atosafot précisent même que cela est autorisé, parce que cette Mitsva est primordiale. Il ne faut donc pas repousser cette vente, même de quelques heures, de peur que le non-juif ne se rétracte et ne vende plus sa maison. Si le Rambam pensait que cette mitsva était caduque, il aurait certainement précisé dans son livre que, de nos jours, il est interdit de demander à un non-juif de signer pour nous un contrat. Mais il ne l'a pas fait. Au contraire, il reprend au pied de la lettre les paroles de la Guémara (11).
2. A propos de l'esclave qui veut monter en Erets Israël, le Rambam conclut que "même de nos jours, alors que la terre d'Israël est dominée par des non-juifs", il peut obliger son maitre à monter en Israël ou à le vendre à quelqu'un qui va s'y installer (12). Là aussi le Rambam ne restreint pas uniquement cette Halah'a à l'époque messianique.
3. Il en est de même pour ce qui est du couple. Lorsque l’un des époux refuse de monter en Israël, l'autre peut l'y obliger ou bien lui imposer le divorce. Une fois de plus, le Rambam ne précise pas que cette halah'a n'aura force de loi qu'après la rédemption d'Israël (13).
Conclusion: Il est difficile de prétendre que le Rambam considère que la Mitsva de Yichouv Aarets dépend de la venue du mashiah'.
C'est, entre autres, la critique qu'a fait le Avené Nézer (14) sur les propos du Meguilat Esther.
Notre première question n'est toujours pas résolue. Si le Rambam considère l'habitat en Erets Israël comme une mitsva, pourquoi ne l'a t-il pas écrite dans son livre et ne l'a t-il pas comptée dans les 613 mitsvot?
Dans l'introduction au Sefer Amitsvot, le Rambam explique selon quels critères certaines mitsvot entrent dans le décompte des 613 et d'autres n'y entrent pas. Le rambam explique par exemple que les commandements divins qui sont exprimés en termes généraux ne font pas partie du groupe des 613 . Selon ce principe, le commandement "soyez saints", n'est pas décompté car il ne s’agit pas d'un acte spécifique, mais du désir que les juifs définissent leur vie par rapport à toutes les mitsvot, ce qui les rendra saints. "Il n'y a pas de différence entre dire Soyez saints et Préservez les mitsvots dans leur ensemble". Le Rav Kook explique que, pour cette même raison, le Rambam n'a pas compté la mitsva d'habiter en Israël. Le Orah' H'aim dit dans son commentaire sur la torah (15) que cette mitsva comprend toutes les autres mitsvot. De même le midrache (16) dit que cette mitsva "équivaut à toutes les autres mitsvot". Un autre midrache (17) précise: "Bien que je vous exile loin d'Israël, continuez à garder les mitsvot, de sorte que lorsque vous y reviendrez, elles ne soient pas nouvelles à vos yeux." Rachi explique ce passage dans son commentaire sur la torah: "Même en dehors d'Israël, continuez à mettre les tefilins et les mezouzot pour ne pas oublier". Sur ce, Rabbénou Béh'ayé (Ibn Pékouda) développe: "Même si nous devons continuer à pratiquer les mitsvot en dehors d'Israël, y compris celles en rapport avec notre corps, comme les téfilins, nous apprenons des paroles des rabbanim que le principal reste bien de les appliquer en Terre Sainte." Le fait d'habiter en Israël n'est donc pas une mitsva de plus mais donne une signification à toutes les autres mitsvot que nous pratiquons. Elles retrouvent là leur vraie valeur. On peut donc considérer cette mitsva comme une mitsva générale qui ne rentre pas dans le décompte du Rambam. Il n'a donc pas ôté cette mitsva parce qu’elle n'était pas importante, mais au contraire parce qu’elle est la base du reste des mitsvot et qu’elle ne se compare pas aux autres.
La centralité de cette mitsva se retrouve aussi dans un autre passage du Rambam, à propos de la mitsva d'établir un calendrier juif basé sur le cycle lunaire (18). Le Rambam y explique que toutes les mitsvot dépendent de la présence de juifs en Erets Israël. En effet selon notre tradition, le Roch H'odech, premier jour du mois, doit être fixé par le grand tribunal rabbinique de Jérusalem. La déclaration du nouveau mois, qui est une mitsva, ne peut être faite qu'en Erets Israël. De nos jours, alors que nous n'avons pas encore rétabli ce grand tribunal rabbinique, il nous est impossible d’appliquer ce commandement. Notre calendrier actuel est basé sur les comptes qu'avait déjà effectué ce tribunal rabbinique à l'époque du temple. Cependant cela n'est pas suffisant. Pour que ce compte ancestral prenne force de loi pour les juifs du monde entier, il faut que des juifs en Erets Israël définissent les mois selon cette tradition. Les calculs ont été établis il y a deux mille ans, mais ce sont les juifs qui habitent actuellement en Israël et leur tribunal rabbinique actuel qui donne la force juridique à notre calendrier. Le Rambam rajoute que " s’il s'avérait qu'il n'y ait plus aucun juif en Erets Israël et plus de tribunal rabbinique, que D… nous en préserve, tous les calculs du calendrier perdraient de leur force. Il serait alors impossible de définir quand commence le prochain mois, et toutes les fêtes, basées sur le calendrier, s'annuleraient!
Le H'atam Sofer (19) explique que même si toute l'élite intellectuelle et spirituelle du peuple juif devait se retrouver en éxil et qu'il ne restait en Erets Israël que de simples bergers ou paysans, ce seraient eux uniquement qui pourraient instituer les débuts de mois, et par cela la date des fêtes. Même les plus grandes sommités rabbinique en dehors d'Israël ne peuvent pas définir quel jour tombera le jeûne de kippour ou la fête de Pessah! S'il ne reste pas de juifs en Erets Israël, toutes les fêtes s'annuleront, et par cela toute la torah, et ensuite le peuple juif s'effacera. Cependant, selon la promesse divine à nos patriarches, le peuple juif est éternel, ce qui nous promet qu'il y aura toujours des juifs en Erets Israël. Et même s’ils ne sont que de simples bergers analphabètes, toute l'existence du peuple juif à travers le monde dépendra d'eux!
Une fois de plus, nous voyons que d'après les écrits du Rambam, la mitsva de Yichouv Aarets n'est pas une mitsva comme les autres mais qu’elle est la base de toutes les autres mitsvot et la base de l'existence du peuple juif. C'est donc une mitsva générale que le Rambam n'a pas rentrée dans le compte des 613 mitsvots.
(pour plus de détails: voir le livre Ayélet Achah'ar dur rav Yaakov Alevy Filber).
Selon la réponse du Rav Benjamin David