Citation:
Si une personne est Avel (en deuil), qu'Hashem nous en préserve, et que pendant les shiva (7 jours de deuil) elle étudie la torah et la gmara alors que c'est une avera, est-ce qu'elle a quand même un mérite ou non?
Il faut savoir que certains Rabbanim ont commis cette « Aveira ».
Celui sur lequel c’est connu et répandu au point qu’il n’y ait plus lieu de craindre le Lashon Hara en dévoilant son identité, c’est le
Rogatshover (Rav Yossef Rosen), qui a continué à étudier la Torah durant les Shiva (au décès de sa première femme, cf.
Ishim Veshitot p.92) car il n’arrivait pas à se passer d’étude.
Ça reste a priori un péché, mais il est dit dans le
Yeroushalmi Moed Katan (III, 5 -daf 16a) (cité dans le
Beit Yossef Y’’D §384) אם היה להוט אחר התורה מותר, c’est-à-dire que celui pour qui c’est vraiment trop pénible de ne pas étudier la Torah durant la Aveilout, bénéficierait d’une dérogation.
Un autre Gaon ayant commis le même "péché" est mentionné de manière anonyme dans le
Benayahou sur Brakhot (24b) [Je ne sais pas en quelle année le Ben Ish ‘Haï a rédigé son Benayahou, il est décédé en 1909, il pourrait être possible qu’il l’ait écrit assez tard pour que le Gaon indiqué soit le Rogatshover en personne. Ce dernier étant né en 1858 aurait pu être endeuillé du vivant du Ben Ish ‘Haï.]
Voir aussi
Harishon Lesholshelet Brisk (p.321) au sujet du
Beit Halévy qui, lorsqu’il était en Shiva suite au décès de son père, demandait aux visiteurs venus le consoler de lui dire des Divrei Torah et ‘Hidoushim qu’ils auraient entendus du défunt.
On lui objecta que l’endeuillé ne doit pas étudier et il répondit que s’il s’agit de ‘Hidoushim de la personne sur laquelle on s’endeuille, on peut -et même on doit- écouter ses Divrei Torah.
L’idée serait qu’au lieu de se réjouir de la Torah -ce qui motive l’interdit habituellement, il aurait encore plus de peine sur la perte de son père en entendant ses ‘Hidoushim.
Il faut aussi distinguer celui qui parle de Torah de celui qui entend les Divrei Torah qu’on lui rapporte. La pensée n’est pas toujours considérée comme la parole en matière de Divrei Torah (cf.
Safa Leneemanim, note 106, à partir de la page 186).
Le
Leket Yosher (II, p.93) écrit qu’un endeuillé a le droit de penser à des Divrei Torah, sans les prononcer.
(Mais cela ne suffira pas encore à justifier le Rogatshover qui parlait et enseignait de la Torah durant les Shiva.)
[
Rav Moshé Tsuriel-Weiss m’a dit, en se basant sur les annotations de
Rabbi Akiva Eiger (Y’’D §344) qui explique que selon le
Rambam la Aveilout sert à honorer le défunt (et non à honorer l’endeuillé), que si l’endeuillé sait que le défunt lui serait Mo’hel sur son Kavod d’étudier la Torah pendant la Aveilout, il le pourrait.]
[Il y a aussi des endroits impropres à l’étude de la Torah
(pour toute personne), comme aux toilettes, et nous trouvons pourtant
(Zva’him 102b) que Rabbi Elazar Bar Shimon ne s’en serait pas privé.
Il semblerait qu’il ait même énoncé une Halakha
(à propos du Tvoul Yom) dans un tel endroit
(d’autres comprennent qu’il ne l’aurait « que » élaborée, il y aurait réfléchi en étant aux toilettes, mais n’aurait pas « parlé » de Torah en ce lieu, ce qui amoindrit l’infraction).
La Gmara (op cit) expliquera que c’était «
Leonso », c-à-d contre son gré, ça lui est venu sans qu’il ne puisse s’en empêcher.
C’est assez étonnant selon la lecture classique où il aurait parlé et pas seulement pensé.
Voir encore
Mishna Broura (§85, sk.8).
Mais il faut aussi savoir que dans le
Yeroushalmi (Brakhot III, 4 -26b) il y a une Ma’hloket sur ce sujet
(penser à des Divrei Torah aux toilettes), selon ‘Hezkia c’est autorisé, selon R. Yassa (Yossé/Yossi) c’est interdit.
Suite à ça, le
Yeroushalmi rapporte que R. Zeïra a dit que c’est l’endroit par excellence où il se concentrait sur les Svarot difficiles et que R. Elazar Bar Shimon a dit que c’est aux toilettes qu’il a pensé à la Svara concernant la Halakha du Tvoul Yom -celle dont il est question dans
Zva’him (102b).
Si c’était « contre son gré/(Leonso) », il ne fallait pas le citer ici pour abonder dans le sens de ‘Hezkia…
Nous avons donc une divergence d’interprétation des faits entre le Bavli et le Yeroushalmi quant à savoir si R. Elazar Bar Shimon a pensé à des Divrei Torah volontairement ou involontairement en étant aux toilettes.
Il est probable que l’origine de cette divergence soit une différence de témoignage concernant l’histoire de R. Elazar Bar Shimon ; dans le Bavli on comprend qu’il aurait parlé
(car Rav(a) l’aurait entendu) et dans le Yeroushalmi il s’agirait seulement de penser sans parler.
Voilà pourquoi le Bavli explique que c’était contre son gré, alors que le Yeroushalmi se contente de considérer qu’il pensait comme ‘Hezkia.
Un ami et ancien élève de Kol Torah m’a rapporté qu’une fois,
Rav Shimon Moshé Diskin avait dit aux élèves au sujet de la Svara qu’il leur présentait, qu’elle lui était venu étant aux toilettes, contre son gré.]
On voit en tout cas qu’il y a eu des Tsadikim qui ont étudié la Torah durant leur période de deuil.
Je retrouve un peu cette idée sous la plume de
Rabbi ‘Haim Palacci dans
Tsavaa Me’haïm (§2 -Jér. 1999, p.9) au nom du
Apirion Shlomo qui commente le
Midrash (Midrash Raba Vaéra §VII, 1 et Yalkout Mishlei §XIV) sur le verset
(Mishlei XIV, 23) בכל עצב יהיה מותר
Ce Midrash commente le verset ainsi בכל הדברים שאדם נו"נ בהם ד"ת הוא נוטל עליהן שכר
Le
Ets Yossef explique que celui qui parle de Torah et au milieu de son explication intercale des paroles qui ne sont pas de Torah en elles-mêmes mais qui permettent de comprendre les paroles de Torah, sera récompensé pour ces paroles aussi.
Alors que le
Apirion Shlomo explique que le
Midrash vient dire que même si quelqu’un étudie lorsqu’il est triste (עצב) et en deuil, bien que ce soit défendu, il aura du Sakhar (מותר) sur le Limoud, en parallèle de son péché qui lui sera reproché.
On pourrait trouver cette idée contradictoire, mais je pense qu’il faut distinguer les aspects que l’on réunit sous l’appellation « mérites » ; si l’on considère un mérite venant rétribuer la Mitsva, on ne peut nier l’existence d’un mérite intrinsèque à la Mitsva, c-à-d que celui qui va étudier la Torah
(réellement, en absorbant ce qu’il étudie), se retrouve mécaniquement plus élevé, plus proche de D.ieu -que cette étude ait été une Mitsva ou une Aveira.
C-à-d qu’en dehors de l’aspect « infraction » qui lui est reproché, il va gagner une proximité à D.ieu d’une certaine manière, tout en s’en éloignant aussi de par sa Aveira
(le fait d’avoir étudié en étant Avel).