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Vous écrivez plus haut :
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"L’origine de l’erreur se trouve dans la Gmara Avoda Zara (10b) où il est dit « je sais que le plus petit d’entre vous fait revivre les morts ».
Mais il faut préciser avant tout qu’il ne s’agit pas de toute personne citée dans le Talmud, mais uniquement des Sages.
Et même parmi eux, ça n'a pas été dit au sujet de tous les Sages, mais seulement des Tanaïm, voire uniquement la ‘Haboura de Rabbi.
Plus encore, il faut souligner que ce n’est pas un enseignement rabbinique qui l’indique, mais que l’auteur de cette phrase était un …goy !
A quel titre devrions-nous prendre tout ce qu'un Goy peut dire pour parole d'Evangile? 😊
Et enfin, selon plusieurs commentateurs, faire revivre les morts (dans ce texte et certains autres) ne veut pas dire qu’ils puissent faire revivre une personne décédée, privilège de D.ieu et une des trois clés qui ne sont pas transmises à un Shalia’h (Taanit 2a), mais c’est à prendre au sens figuré, comme on dit en anglais « il lui a rendu son âme » (alors qu’elle ne l’avait pas réellement quitté)."
Fin de citation.
Vous voulez dire que dans cette histoire antoninous n'aurait pas tué ses serviteurs ? Qui sont les plusieurs commentateurs dont vous parlez ? Comment. Comprendre cette gmara ?
Je vous pose une autre question qui est même un argument terrible qui semble pourtant étrangement passer sous silence et manquer de considération : selon vous, est-ce acceptable qu’Antoninus (considéré juste, pieux et Tsadik par ‘Hazal) assassine ainsi ses accompagnateurs à chaque déplacement chez Rabbi ? Est-ce que la vie d’un serviteur n’aurait à ce point pas de valeur ?
On nous dit qu’il venait chez Rabbi chaque jour, à chaque fois avec deux serviteurs, et les tuait systématiquement, tous les jours, deux assassinats par jour !
C’est une manière de les remercier ?
Si on peut imaginer cela de la part d’un despote, Rasha, criminel psychopathe, comment le concevoir de la part de cet Antoninus réputé Tsadik sage et juste ?
Et comment Rabbi ne lui en ferait pas la remarque ? Rabbi a pourtant été sévèrement puni min Hashamayim pour son manque de compassion envers
un veau qui allait se faire abattre
(Baba Metsia 85a), un serviteur ne serait même pas un animal ?
Vera’hamav al kol maassav ktiv !
A plus forte raison selon ce qu’écrit
Rabbi Refael Enkaoua (‘Hidoushei Reèm ad loc, Jér. 2000, p.151), qu’Antoninus ne venait qu’avec un seul serviteur qu’il tuait à son arrivée, et il repartait avec un serviteur
fourni par Rabbi qui achetait des esclaves spécialement à cet effet, pour se faire tuer après un «
shimoush ‘had peami »…
Tosfot pose déjà la question, de quel droit Antoninus les tuait
(alors que c’est assour même d'après les Shéva mitsvot des Bnei Noa’h), et donne deux réponses :
1) car Antoninus craignait pour sa propre vie si jamais les serviteurs rapportaient sa liaison avec Rabbi, et au titre de Rodef/Haba Lehorguekha, il les tuait.
2) Antoninus choisissait des Apikorsim.
Ces deux réponses sont de’houkot et la première est particulièrement difficile, car dans ce cas, qui t’a demandé d’aller chez Rabbi ? N’y va pas et pas besoin de tuer des gens (cf.
Beit Nediv, Lewin, Jér. 1990, p.122)!
[cf. aussi Sefer ‘Hassidim (§1017) et Mekor ‘Hessed (§1), mais dans le cas du Sefer ‘Hassidim, leur présence n’a pas été voulue ni orchestrée comme ici.]
J’ajouterais encore de l’étonnement à la stupéfaction en demandant : qui enterrait les cadavres (qui devaient s’amonceler devant chez Rabbi) ?
On pourrait encore poser plusieurs questions et opposer plusieurs objections contre la compréhension simple de ce texte de la Gmara ; comment comprendre ce que disent ‘Hazal pour nous donner une idée du niveau de Yonathan ben Ouziel en disant qu’un oiseau qui passait au-dessus de lui durant son étude était brûlé par sa kdousha
(Souka 28 et Baba Batra 134), alors que n’importe quel autre rabbin pouvait faire revivre un mort !
Et pourquoi ‘Hazal disent que seul D.ieu peut faire revivre un mort
(Shvouot 35b) ? et que la clé de la résurrection reste chez D.ieu
(Taanit 2a, Sanhédrin 113a) ? et que les Tsadikim feront revivre les morts à la fin des temps
(on comprend : et pas de nos jours) (Psa’him 68a)?
Et si réellement tous les rabbins du Talmud pouvaient faire revivre un mort, pourquoi ne l’ont-ils pas fait lorsque c’était vraiment nécessaire ?
comme pour Reish Lakish « tué » par la Kpeida de R. Yo’hanan
(Baba Metisa 84a), ce dernier en perdit goût à la vie, au point d’en perdre la raison, pourquoi n’a-t-il pas simplement fait revivre Reish Lakish injustement tué (puisque sur un malentendu) ? Ou pour le fils de Shimon ben Shéta’h (cf.
Rashi sanhédrin 44a) et plusieurs autres qui méritaient bien de revivre (on pourrait multiplier les exemples)
[ou qui ne le méritaient pas forcément mais qu'il aurait été salutaire de faire revivre, comme celui tué par Rav Kahana pour défendre Rav (Baba Kama 117a) et en raison duquel Rav Kahana a dû s'exiler et abandonner la Yeshiva de son maître pour éviter une condamnation].
Et comment Rabbi ‘Hanina bar ‘Hama pourrait ainsi faire revivre un mort sans vraiment de raison, alors qu’Eliahou Hanavi en personne, ainsi qu’Elisha, ont difficilement réussi cet exploit (cf.
Shemot Raba 4,2 et
Tan’houma Shemot §16) et uniquement de manière occasionnelle (cf.
‘Houlin 7b et
Sanhédrin 47a) ? [et ce que répond le
Leshem Shevo Vea’hlama (sefer haklalim, klal 2, anaf 3) ne me satisfait pas, idem pour le
Kerem Arié (Mizra’hi) (Jér. 2007, p.200)].
Rabbi Refael Berdugo (Roka’h Mirka’hat Avoda Zara 10b) écrit qu’il serait étonnant de comprendre qu’il ait réellement effectué une résurrection « en vain » et que sa force (spirituelle) fut tellement plus grande que celles d’Eliahou et Elisha (דבר תימה להחיות המת על לא דבר והיה כחו גדול יותר מאליהו ואלישע).
[Il choisit donc de dire qu’il a présenté un Shed à l’image de ce serviteur.]
Le
Maharal (‘Hid. Ag. IV, p.35) ne s’accommode pas de l’explication de
Tosfot et en donne une autre : on peut dire qu’Antoninus choisissait des serviteurs qu’il savait passibles de mort, par exemple pour avoir volé ou pour ne pas l’avoir respecté
(et donc au titre de Mored Bemalkhout) (cf. aussi le Iyoun Yaakov (ad loc) qui propose de dire qu’en tant que « roi », il a le droit de vie ou de mort sur ses serviteurs), puis il écrit que selon lui, ‘Hazal ne parlaient pas dans cette Gmara de choses sensorielles, on ne parle pas de mort réelle mais de mort supérieure (הריגה עליונה).
Fidèle à son style mi-obscur mi-flou et extrêmement redondant, le
Maharal n’explique pas parfaitement ce que signifie cette mort supérieure, mais
Rav Moshé Tsuriel-Weiss disait que l’intention du
Maharal était de parler d’une perte de connaissance
(Leket Piroushei Agada IV, p.355).
Le
Ben Yehoyada (Avoda Zara 10b) écrit qu’Antoninus choisissait, à la prison, des condamnés à mort et c’est pour cela qu’il se permettait de les tuer.
J’ai beaucoup de mal à imaginer Antoninus choisir pour sa protection/garde rapprochée deux criminels condamnés à mort en leur offrant une promenade.
Qui lui dit qu’il ne va pas au contraire se faire tuer lui-même par ces assassins qui gagneraient ainsi leur liberté et leur vie ?
Et comment demandait-il à l’un d’eux d’attendre sagement derrière la porte de Rabbi, n’allait-il pas s’enfuir ? Surtout après avoir vu son compère se faire trucider.
(voir
Maharsha qui se demande comment Antoninus n’avait pas peur de tuer l’un des deux en présence de l’autre, et qui explique pour répondre à cela, qu’en réalité il faisait le chemin seul, en laissant un premier serviteur au début du tunnel, devant la maison d’Antoninus, etc. Mais son explication soulève de nombreuses autres difficultés. Cf.
Peta’h Enaïm et
Yad David. Mais voir aussi
Rabénou Be’hayei Bereshit 25,22.)
Le
Pardes Rimonim (Rishon contemporain du Ritva) écrit
(éd. Zhytomir 1866, daf 21b) que lorsque la Gmara dit qu’Antoninus tuait son serviteur, l’intention est de dire qu’il l’assommait ou le droguait pour qu’il perde ses esprits. Et quand on dit que Rabbi ‘Hanina bar ‘Hama l’a fait « revivre », cela signifie qu’il l’a guéri (rapidement).
[Dire qu’il l’assommait expliquera bien pour le premier serviteur, mais le second, que gagnait-il à l’assommer s’il se réveille ensuite ? L’amnésie était-elle garantie ? L’explication qui parle de drogue permet mieux de comprendre en supposant que cette drogue troublait ses souvenirs même après le réveil.]
D’après ça, on peut comprendre plus simplement ce qu’a dit Antoninus à R. ‘Hanina bar ‘Hama de faire entrer celui qui « dort » dehors. Si on dit qu’il était mort, il aurait dû lui dire « celui qui est mort dehors »…
Le
Midrash Shlomo (p.489) écrit, en se basant sur le
Rambam dans
Moré Nevoukhim et le
Radak, qui ont expliqué les résurrections des fils des Shounamit et Tsarfit en disant qu’ils n’étaient pas cliniquement morts mais qu’ils avaient perdu connaissance, qu’on voit que cet état est qualifié de mort. Ainsi, le
Midrash Shlomo explique ici que le serviteur n’était pas réellement mort, mais qu’il gisait sans connaissance et que Rabbi ‘Hanina bar ‘Hama l’a ramené à la vie.
(Puis, il cite aussi le Pardes Rimonim).
Le
Kvod ‘Hakhamim (Landau) (p.275) va plus loin et explique qu’il n’y a eu ni morts ni résurrections, mais que c’est une manière de parler de ‘Hazal pour dire qu’Antoninus dissimulait son lien avec Rabbi et qu’il veillait à protéger Rabbi de ceux qui lui voulaient du mal
(voir plus en détail ce qu’il écrit). Mais qu’il est évident qu’on ne peut pas accepter de dire qu’Antoninus tuait tous les jours deux serviteurs/esclaves…
Voilà donc le
Pardes Rimonim, le
Midrash Shlomo, le
Maharal, le
Kvod ‘Hakhamim et
Rabbi Refael Berdugo qui interprètent cette Gmara en disant qu’il n’y a pas réellement eu de résurrection d’un serviteur mort.
Mais plus encore que tous ces commentateurs, il y a surtout les étonnements profonds que suscite cette lecture littérale
(cf. plus haut) et qui, à eux seuls, devraient suffire à indiquer que les Rabanim qui ont dû comprendre cette Gmara autrement
(que par la lecture littérale) sont beaucoup plus nombreux que ce que l’on peut imaginer, même s’ils ne se sont pas exprimés par écrit.