Vous avez raison, c'est un bon livre, je ne voulais pas le critiquer et le repousser totalement, j'insiste pour dire que c'est un bon livre, je l'ai écrit dans mon précédent message et je le répète.
Toutefois, je tenais à mettre en garde le lecteur qui n'aurait pas lu les textes auxquels le livre renvoie et même simplement le lecteur qui croit pouvoir faire confiance au jugement de l'auteur.
Car ce livre trahit un manque de compréhension -parfois- des sujets traités.
L'indice que je donnais concernant l'appellation erronée de
rav Hay Gaon n'est pas anodin; un auteur qui n'a jamais rencontré Rav Hay Gaon dans ses lectures hébraïques n'est assurément pas un grand érudit et ne dispose probablement pas de toutes les cartes indispensables pour se faire une idée sage de cette Souguia.
Le fait qu'il n'ait pas toujours compris les références qu'il mentionne et les indique parfois de manière incongrue met aussi la puce à l'oreille.
Parfois il écorche le nom même des livres qu'il cite...
On remarque aussi des phrases qui trahissent une méconnaissance de la littérature rabbinique et des rabbins mentionnés.
par exemple, vous verrez en
page 111 qu'il écrit sur le
Gaon de Vilna qu'il fut "
probablement le seul dont on peut affirmer qu'il n'a délaissé aucun domaine du savoir juif".
Désolé, mais c'est burlesque.
En
page 98 il attribue au
Yaabets le rabbinat de villes dans lesquelles il n'a jamais exercé en tant que rabbin, en
page 199 il écrit que si la
Rav Kook a été un grand incompris, c'est "
probablement dû au fait que la Kabbala était sa principale source d'inspiration"...
Voici qui est absurde
(et faux).
Dès tas d'autres rabbins de son époque étaient bien plus férus de Kabbale que lui et ça ne leur a pas été reproché.
Si
rav Kook a été incompris, c'est plutôt parce qu'il n'était pas toujours clair dans ses livres et ses déclarations.
[Voir ce que j'ai écrit ici: http://www.techouvot.com/les_ecrits_de_rav_kook-vt18957.html?highlight= ]
En
page 100 il affirme que le
Yaabets est le seul rabbin à avoir rédigé une autobiographie... Allons donc!
[voyez une liste, non-exhaustive, des autobiographies d'autorités rabbiniques, dans mon message du 7 septembre 2015 ici: http://www.techouvot.com/le_shimoush_ques_que_cest-vt18569.html?highlight= ]
Ce n'est pas bien grave en soi, mais ça renseigne sur les connaissances de l'auteur.
Ainsi, lorsqu'il annonce des choses étranges ou étonnantes, on aura du mal à lui faire confiance même lorsqu'il indique une référence fiable.
par exemple, en
page 63 il écrit que le
Sefer 'Hassidim (part.3 chap.2) considère que celui qui peut étudier la médecine mais ne le fait pas, se rend coupable de non-assistance à personne en danger.
C'est assez étonnant.
La référence peut paraître fiable aux yeux de l'inculte, mais ceux qui ont déjà lu le Sefer 'Hassidim voient tout de suite que l'auteur ne l'a pas lu, car sa référence ne veut rien dire.
Qu'est-ce que c'est que la "Partie 3 " dans ce livre? Il n'y a pas de troisième partie!
(il y a bien une édition en trois tomes, par Rav Price, avec le commentaire Mishnat Avraham N.Y. 1964, mais on ne donne pas de référence en fonction des tomes d'une édition méconnue alors qu'il en existe des dizaines d'autres, on utilise le point commun aux éditions: les simanim. Et de toute façon là aussi le renvoi ne donne rien.)
et le chapitre 2 ne parle pas du tout de cela, bien entendu.
Je ne connais pas tout le Sefer 'Hassidim par cœur, mais je ne me souviens pas d'un tel passage dans les 1172 chapitres (!) du livre dans son édition la plus courante.
De plus, l'histoire sur le
Gaon de Vilna est connue, son père lui dit de ne pas apprendre la pratique de la médecine pour ne pas être amené à devoir faire du bitoul Torah pour aller guérir des malades (cf.
Hakdama de Peat Hashoul'han).
ça ferait une sacrée différence d'opinion entre le Gaon et le Sefer 'Hassidim !
Bref, cet enseignement est assez étrange, il semble contredit par ailleurs, la source donnée ne veut -a priori- rien dire et je ne vois pas quel autre chapitre de ce livre dirait une telle chose.
Cependant, il y a un texte dans le
Sefer 'Hassidim (§942) qui pourrait bien être à l'origine de cette histoire; C'est bien long à expliquer, car de prime abord, même si la notion de Pikoua'h Nefesh et celle des études y sont mentionnées, ça ne parle pas du tout de médecine.
Mais une phrase y est bien obscure et je pense que c'est parce qu'un mot aurait été mal retranscrit.
Il faut changer le mot
חפץ en
רופא pour que la phrase prenne un sens.
Le
Mekor 'Hessed soutient cette lecture et indique que dans une ancienne version, c'est bien le mot qui figure (רופא)
Ainsi, les trois notions sont présentes: étude, médecine, assistance à personne en danger.
Malheureusement, le texte ne dit pas du tout ce que
M. Infeld lui fait dire!
Il l'aurait peut-être mal compris? Ou plutôt il aurait lu un auteur qui l'aurait mal compris? (-voire il aurait mal compris un auteur qui citait convenablement ce texte du Sefer 'Hassidim).
Toutes ces broutilles laissent deviner qu'il a certainement commis aussi des erreurs de jugement.
Ces dernières sont bien plus fastidieuses à expliquer et prouver, car il faudrait avant cela expliquer et détailler beaucoup de choses pour comprendre où et en quoi il se trompe.
Je me borne à donner un exemple simple et concis pour indiquer le type de mauvaise compréhension dont je parle:
En
page 50, il explique que le
Ramban s'opposait au
Rambam et à sa volonté d'insérer le judaïsme dans un "scientisme philosophique".
M. Infeld cite pour preuve ce que le Ramban écrit qu'à la différence des mathématiques, le judaïsme n'est pas une science exacte.
Il est vrai que le
Ramban écrit ceci
[dans sa Hakdama au Sefer Mil'hamot, livre dans lequel il vient défendre le Rif des attaques du Baal Hamaor], mais pas du tout dans cet esprit, pas pour dire que la Torah ne répond pas à des règles et qu'elle n'a rien de scientifique!
L'intention du Ramban est de souligner que les Svarot sur lesquelles les rabbins vont être en désaccord seront toujours sujettes à discussion et il n'y a pas de preuves carrées et mathématiques à chaque sujet discuté au niveau de la Svara.
C'est le bon sens et la logique qui fera pencher la balance d'un côté plus que de l'autre, d'où les discussions
(car les avis et les appréciations divergent).
Voilà donc un exemple de phrase tirée de son contexte à laquelle l'auteur fait dire absolument autre chose que ce qu'elle voulait dire. Comme si le Ramban déconsidérait la logique.
En réalité, la phrase du
Ramban n'a absolument rien à voir avec son éventuel désaccord avec la position du
Rambam.
La citer dans ce sens indique que l'auteur utilise plutôt une base de données et de citations
(sorties -donc- de leur contexte) et non les écrits des sages cités.
Voilà comment il peut arriver à commettre de telles erreurs.
Le lecteur non averti, qui n'a pas déjà lu cette phrase dans son contexte, même en allant vérifier si c'est bien écrit, restera avec l'erreur
(car les mots lus hors contexte peuvent se comprendre de la sorte une fois qu'on a lu l'erreur de compréhension présentée par M. Infeld).
Voilà pourquoi je mets les lecteurs en garde, le livre étant très référencé semble très savant et très pointu, mais si vous aviez lu les textes cités, vous sauriez qu'ils n'ont pas toujours exactement le sens que l'auteur leur donne.
Parfois le fait de vérifier renseignera sur l'erreur de M. Infeld, mais d'autres fois, il sera plus subtil de saisir la nuance qui change tout.
Ainsi, le lecteur adoptera l'erreur de l'auteur et vivra avec, puis se construira des hashkafot dessus etc...
Donc, oui, c'est un livre très riche avec beaucoup de références et d'idées fortes, mais il faut savoir que certaines d'entre elles sont fausses! Et il n'est pas donné à tout le monde de remarquer lorsqu'il y a erreur.
Bref, je ne viens pas dire qu'il faille brûler ce livre, je ne fais que dire qu'il est parfois trompeur (involontairement), car l'auteur n'est visiblement pas un Talmid 'Hakham de premier ordre (même s'il est érudit) et présente des positions rabbiniques vues par le spectre de ses connaissances et de ses lectures de livres modernes et contemporains qui commettent eux aussi des erreurs.
Mais je salue tout de même son travail et lui témoigne tout mon respect, car il s'agît d'un Baal Habaït et non d'un rabbin; le fait qu'il ait malgré tout
(en dépit de son travail) approfondi ces sujets et qu'il ait rédigé des livres à partir de son étude, est selon moi louable et fort respectable.
Lorsqu'on voit les âneries produites et imprimées dans des tas de livres dont les auteurs sont rabbins, on se dit que ce Baal Habaït à côté fait bien meilleur effet.
Voilà pourquoi je le félicite, bravo M. Infeld !