Voilà à présent mon second message:
A
Aralé :
Je cite :
Citation:
Dans votre réponse à la question "ne pas profiter de ce monde: idée chrétienne ?", vous faites état de "la « médiocrité religieuse » en France (si étonnante et tant remarquée par les étrangers et par certains français ayant voyagé à l’étranger) ."
Pouvez-vous développer ?
Je tente de développer un peu :
La communauté française est la 3ème au monde par son importance en nombre.
A part Israël et les Etats-Unis, les autres pays ont moins de juifs que la France.
Pourtant, en comparant le « niveau de vie juive », l’avancement spirituel et religieux des juifs d’Europe et d’ailleurs, la France est loin d’être la plus performante
(-et ce, malgré de récentes avancées -qu’il faut reconnaître).
Il est vrai qu’il y a beaucoup plus de juifs qui mangent kasher, vont au Mikve, font Shabbat, mettent les Tfilines, étudient la Gmara, que ce qu’il y en avait il y a 20 ou 30 ans.
Mais le « niveau spirituel » reste assez bas, parfois au ras des pâquerettes.
Les Hashkafot/ Emounot Vedeot sont parfois déplorables, beaucoup de juifs français adhèrent à une sorte de sorcellerie religieuse et vivent une Torah beaucoup plus mystique qu’Halakhique.
Les institutions n’ont pas de quoi faire notre fierté non plus, nous sommes loin derrière les yeshivot américaines, même les anglais nous battent.
Tout récemment, Rav Man me confiait qu’il était étonné du faible niveau des Yeshivot/Kollelim en France en les comparant aux mêmes institutions à Mexico !
Même le judaïsme du Mexique serait plus avancé que le nôtre ?!
(Ce Rav Man a enseigné dans des yeshivot en France, en Israël et au Mexique)
Au niveau de la Kashrout aussi il y a de quoi se cacher.
L’Angleterre , ou même le Canada nous humilie.
Idem pour ce qui est de la nourriture « Kasher »
(c-à-d pas les organismes de surveillance, mais les produits Kasher accessibles sur le marché), comment une si petite communauté comme celle d’Anvers propose plus de produits importés d’Israël et des USA et à un prix nettement INFERIEUR que celui des mêmes produits en France ? Par quel miracle, si ce n’est une meilleure organisation ?
La communauté française n’est pas assez organisée au niveau « Frumkeit », il est difficile d’être Frum en France -du moins en Île-de-France.
Il y a certes quelques atouts non méprisables, comme la possibilité « plus accessible » d’étudier à mi-temps pour les professions libérales ou pour d’autres aussi.
En France c’est relativement « facile », en tout cas plus qu’en Israël ou aux USA. Mais cet atout n’a rien à voir avec l’organisation de la communauté juive, c’est grâce au système français, c’est tout.
Pour ce qui est des innombrables restaurants Kasher -particularité brandie avec fierté par les parisiens, il est vrai que rares sont les communautés en proposant autant, mais encore une fois, vu par de véritables « Frum », cet atout n’en représente pas un, d’une part car la Kashrout n’y est pas toujours recommandable
(surtout pour les Sfaradim, mais pas que. Je n’en dis pas plus, on en a déjà parlé il me semble sur Techouvot) et d’autre part car le restaurant n’occupe pas -aux yeux du juif frum- l’importance qu’il a dans l’esprit français
(non-juif, ou juif non pratiquant, ou juif traditionaliste, ou juif pratiquant que nous distinguons ici de « juif frum »).
Encore un point à déplorer : les véritables Talmidei ‘Halhamim font défaut en France, c’est vrai qu’il y a plein de rabbanim, je ne dis pas le contraire, mais il manque cruellement d’érudits en Torah.
Mais là aussi, j’ai peur d’en dire trop.
Présentons les choses autrement : combien de
rav Schlesinger avons-nous en France ?
(des rav Schlesinger ou des rav Schlesinger en herbe, qui sont en passe de le devenir lorsqu’ils auront son âge. C-à-d des Talmidei ‘Hakhamim du calibre de rav Schlesinger même lorsqu’il était plus jeune.)
La France produit de bons Lamdanim, mais qui vont habiter en Israël, pourquoi ? Ce n’est pas par sionisme profond, les élèves des yeshivot classiques ne sont pas ce qu’on appelle des sionistes
(sans être antisionistes à la mode des Satmers) et pourtant, ils ne restent/reviennent pas en France.
Alors que chez les anglais et les américains, il est beaucoup plus fréquent de voir leur jeunesse revenir au pays après quelques années d’étude en Yeshiva/kollel en Israël, ce qui leur donne des Talmidei ‘Hakhamim locaux, qui comprennent la mentalité du pays, pas comme les rabbanim israéliens que l’on peut importer.
Quand on compare le niveau d’instruction juive, on a honte de nouveau.
Il suffit de comparer avec les anglais ou même les belges…
Quels sont les Sfarim qui se vendent en France ?
Ou encore, quels sont les Sfarim qui s’écrivent en France ? (Et si on regarde Israël ou les USA, je n’en parle même pas.)
Quels sont les « Sfarim » qui intéressent les français ?
C’est un fait, lorsqu’un français religieux arrive dans un autre pays, même parmi les religieux, que ce soit dans une yeshiva ou dans une Shul, on le remarque rapidement, bien plus rapidement qu’un étranger d’une autre nationalité.
Un belge, un suisse, un canadien, un anglais ou même un juif du Mexique ou d’Afrique du Sud, lorsqu’il arrive aux USA, il se fond plus ou moins dans le décor, « ça passe », alors qu’un français est tout de suite différent.
Certains disent que c’est parce qu’il est Sfarade ou qu’il ne parle pas Yiddish. C’est possible.
(cependant, le mexicain aussi est sfarade)
[Il faut souligner, qu'à l'inverse, le ba'hour yeshiva français s'adapte mieux à Israël (et à sa langue) que l'américain. Mais cela contribue justement à la fuite des cerveaux...]
En France, le judaïsme est théoriquement organisé par le consistoire, ce qu’on ne retrouve pas dans les autres pays d’Europe, ni aux USA
(qui n’a pas non plus de grand-rabbin).
Pourtant le résultat est bien décevant, on s’attendrait à dépasser tous les pays, au moins ceux inférieurs en nombre de juifs et il n’en est rien.
Alors on a des consistoires, ok, mais en quoi nous servent-ils ?
Je ne viens pas critiquer le Consistoire, il réalise certainement de belles choses, mais ça reste largement insuffisant.
Le niveau des Talmudei-Torah n’intéresse pas grand-monde, les rabbins produits par l’école rabbinique non plus.
Attention, je ne viens pas critiquer ces rabbins dévoués, je dis juste que le séminaire rabbinique ne pourrait même pas oser prétendre se comparer à une yeshiva classique et moyenne.
Bien entendu, les rabbins doivent y être formés pour pouvoir affronter la réalité du terrain des communautés françaises, pour cela des rudiments de philosophie, d’histoire et de culture générale sont jugés indispensables, il est aussi impératif de travailler la rhétorique, un rabbin qui ne sait pas s’exprimer n’a pas trop d’intérêt dans le cadre d’une communauté et en tout cas un impact très limité.
Mais finalement, l’élève diplômé du SIF ne peut pas se mesurer à un ba’hour yeshiva en connaissance /compréhension talmudique, ni même en approfondissement de halakha
(excepté pour certaines lois et coutumes que les rabbins apprennent par nécessité comme celles du deuil, qui ne sont pas étudiées en yeshiva).
On est loin du souhait du
grand-rabbin Bernheim de faire de l'école rabbinique un «
pôle de rayonnement du judaïsme orthodoxe en France ».
Encore une fois, il ne s’agit pas d’une critique, la faiblesse du résultat est certainement due à un manque de moyens etc., mais c’est une constatation : les Rabbanim les plus compétents, les Talmidei ‘hakhamim aujourd’hui en France, ne sont pas vraiment des produits du séminaire rabbinique.
Bien sûr, il y a
Rav Gugenheim, mais combien y en a-t-il des comme lui ?
Et surtout, il faut souligner qu’il n’est pas non plus un produit du SIF, mais bien des Yeshivot israéliennes classiques !
(C’est aussi le cas de
Rav Bernheim et d’autres rabbins français ayant étudié dans les yeshivot israéliennes.)
A nouveau,
j’implore le lecteur et lui demande de ne pas voir en ces lignes une « critique », il ne s’agit que d’un constat
(que partagent même les plus hautes instances concernées), un constat bienveillant et dans un esprit constructif.
Le consistoire et le SIF ne sont pas les seuls à présenter de si mauvais résultats, comme je l’écrivais plus haut, c’est quasiment toutes les communautés françaises qui sont concernées par cette « anomalie » en comparaison avec d’autres pays pourtant composés de communautés inférieures en nombre.
Bien sûr, il y a des atouts typiquement français, on entend fréquemment -même de rabbanim très israéliens comme
Rav David Cohen de Rosh Yeshiva de ‘Hevron, que les Ba’hourim français sont souvent plus profonds que les autres.
On dit aussi que le judaïsme français dépasse celui des autres pays de manière générale pour tout ce qui a trait à la philosophie et partant, en profondeur de compréhension de la pensée juive.
La France produit plus de « penseurs » que les autres pays.
Mais cela ne suffit pas et cet atout ne doit pas nous empêcher de nous améliorer dans les autres domaines aussi, surtout qu’en matière de Torah, tous ces domaines sont encore plus liés les uns aux autres que pour les autres sujets.
Un philosophe (séculier) ignorant l’histoire sera nécessairement moins compétent que s’il disposait d’une large connaissance historique, mais l’ignorance du Talmud fera encore plus défaut à un « philosophe en Torah ».
[c’est vrai qu’en France on a des extrêmes assez insolites, entre les "philosophards" excessifs d’un côté et les super-mystiques de l’autre, on ne sait pas où mettre la tête.]
Globalement, je dirais surtout que le judaïsme français manque de maturité et peut-être aussi de punch.
Il ne prend pas son envol, il stagne.
C’est certainement aussi lié à ce dont j’ai parlé à de maintes occasions
(et peut-être aussi écrit sur Techouvot ?) : la mauvaise compréhension des Agadot, qui -surtout conjuguée avec la mentalité française- entraîne malheureusement une séparation dans l’esprit du juif croyant entre la synagogue et le monde réel.
En fait, d'un certain point de vue, le juif français (s’il n’est pas stupide,) ne vit pas vraiment son judaïsme, il le subit, le supporte.
Voilà aussi pourquoi le judaïsme parisien ne prend pas son envol.
Dans les autres pays, un Baal Tshouva -au bout de quelques années, se fond totalement parmi les « frum », mais en France, même s’il a fait Tshouva depuis dix ans et parfois vingt ans, il n’arrive toujours pas à se « stabiliser » réellement dans la vie juive, je veux dire dans un judaïsme évolué et « majeur ».
Bien entendu, il y a des exceptions -sans quoi je ne prendrais pas la peine d’écrire ces lignes, tant je suis convaincu qu’elles ne seront pas comprises (convenablement) par les concernés.
C’est donc à l’intention de ces « exceptions » que j’écris ceci, eux qui pourront ressentir/percevoir/comprendre le problème.
J’espère n’avoir choqué personne « négativement »
(et j’espère en avoir « choqué positivement », d’un choc constructif), l’intention de ce post n’est que de répondre à la demande d’
Aralé et au message d’
Angel_mickael , mais absolument pas de créer une polémique, ni ‘has veshalom de critiquer les rabbanim/institutions/fidèles français.
PS: La longueur de ces deux messages et le peu de temps dont je dispose maintenant, s'additionnent pour me décourager d'une relecture -qui pourtant serait certainement salutaire
(pour les fautes comme pour adoucir peut-être quelques phrases afin qu'aucun lecteur ne se trompe quant à mon intention), je m'en excuse par avance.