Les deux peuples d’Ammon et de Moav, rappelons-le, sont nos « cousins », puisqu’ils descendent de Lot, le neveu d’Abraham (Berèchith 19, 37 et 38).
Et pourtant leur exclusion est perpétuelle, puisque leurs descendants, quoiqu’ils soient issus comme nous de Sem, ne pourront jamais entrer dans l’assemblée de Hachem, alors que les Egyptiens, avec lesquels nous n’avons aucun lien de parenté puisqu’ils descendent de Cham (Berèchith 10, 6), peuvent se convertir à la foi juive…
Autre paradoxe : Tandis que nous nous sommes, tout au long de l’histoire, battus contre les Egyptiens et les descendants d’Esaü, la Tora nous a recommandé d’épargner les peuples de Moav (Devarim 2, 19) et d’Ammon (2, 19), et de ne pas les combattre.
Comment résoudre ces contradictions ?
En premier lieu, si la Tora nous a ordonné de ménager ces deux peuples de Moav et d’Ammon, c’est parce qu’ils devaient donner naissance à deux femmes exceptionnelles : Ruth la Moavite, ancêtre de la lignée des rois d’Israël ainsi que du Messie, et Na‘ama l’Ammonite, épouse du roi Salomon et mère et ancêtre de ses successeurs (Baba Qama 38b).
Cependant, la Tora prononce contre ces deux peuples une punition d’une particulière sévérité : celle de ne pouvoir jamais être accueillis « dans l’assemblée de Hachem », en d’autres termes l’impossibilité pour les Ammonites et les Moavites de pouvoir jamais se convertir au judaïsme.
(Il convient de préciser, à ce sujet, que Sennachérib, roi d’Assyrie, lorsqu’il a détruit le royaume d’Israël et Samarie, sa capitale, a dispersé et mélangé toutes les populations du globe [voir notamment Berakhoth 28a]. Rambam en tire cette conséquence qu’il n’existe plus de peuples égyptien, édomite, ammonite et moavite au sens que leur donnait la Tora, et que dès lors les interdictions qui frappaient, quant à leur conversion, certains de ces peuples, ne sont plus en vigueur [Hilkhoth issourei bia 12, 25]. En d’autres termes, il n’y a plus aujourd’hui d’exclusion des Ammonites et des Moavites).
Cet ostracisme imprescriptible prononcé par la Tora contre ces deux peuples comporte toutefois une particularité : Contrairement à beaucoup de mitswoth, dont les raisons ne sont pas révélées par le texte, on en a ici les motivations : « … Parce qu’ils ne vous ont pas accueillis par du pain et par de l’eau dans le chemin de votre sortie d’Egypte… » (Devarim 23, 5).
De cette précision apportée par la Tora sur les raisons de l’exclusion des Ammonites et des Moavites résultent deux enseignements, l’un d’ordre halakhique, l’autre de nature épistémologique :
L’indication que les membres de ces deux peuples ne nous ont pas « accueillis par du pain et par de l’eau » signifie que l’exclusion ne vise que les hommes, et non les femmes. Car ce sont les hommes qui pratiquent l’accueil des voyageurs étrangers et les vertus de l’hospitalité, et non les femmes, dont le rôle est de recevoir dans leurs foyers les invités de leurs maris.
Voilà pourquoi la conversion au judaïsme de femmes comme Ruth et Na‘ama a été reconnue comme valable selon la halakha.
Le second de ces enseignements se dégage de la constatation que des peuples ennemis, comme les Egyptiens et les Edomites, peuvent, sous certaines conditions, être reçus « dans l’assemblée de Hachem », alors que les Ammonites et les Moavites, auxquels la Tora ne reproche aucune agressivité à notre égard, ne le peuvent et ne le pourront jamais.
Peut-être la nuance se situe-t-elle, comme le suggère Eliyahou Ki-tov dans son Séfèr ha-toda‘a, dans la froideur et l’indifférence qui ont caractérisé Ammon et Moav, et qui contrastent avec l’hostilité affichée par nos ennemis traditionnels comme Edom et l’Egypte. La Tora veut ainsi nous apprendre qu’un ennemi déclaré peut, dans certaines circonstances, devenir un ami, mais qu’il ne faut jamais s’attendre à aucune estime ni sympathie de la part de celui qui n’éprouve à notre égard que de la froideur et de l’insensibilité…