L’ambiguïté du personnage de Noé est soulignée par Rachi (ad Berèchith 6, 9) : « Certains de nos maîtres voient dans l’expression : tamim haya be-dorothov un éloge : à plus forte raison, s’il avait appartenu à une génération de justes, aurait-il été encore plus juste. D’autres y voient un blâme : il était un juste dans sa propre génération, mais s’il avait appartenu à celle d’Abraham, il n’aurait compté pour rien. »
La Guemara Sanhédrin 108a à laquelle se réfère Rachi s’exprime en ces termes :
Rabbi Yo‘hanan a enseigné: « dans sa génération », mais il n’aurait pas été considéré comme tel s’il avait vécu dans d’autres générations. Tandis que Rèch Laqich a professé: « dans sa génération », combien plus encore s’il avait eu la chance de vivre dans d’autres générations, où il n’aurait pas eu à se défendre de l’ambiance corrompue de ses contemporains.
Pour Rabbi ‘Hanina, l’opinion de Rabbi Yo‘hanan peut s’expliquer par la comparaison suivante : Un tonneau de vin est conservé dans une cave où est entreposé du vinaigre. A cette place-là on sent le bouquet qui domine l’âcreté du vinaigre. Ailleurs, avec d’autres tonneaux de vin meilleur, plus de bouquet pour ce tonneau-là. Quant à Rabbi Ochaya, il a commenté ainsi l’enseignement de Rèch Laqich : Quelle peut être la comparaison ? Un flacon d’essences odoriférantes a été déposé dans un lieu rempli d’ordures, et pourtant, malgré l’ambiance défavorable, son parfum se répand. Combien plus encore s’il se trouvait dans un endroit favorisé de bonnes senteurs.
Cependant, ainsi que le commente le rabbin Elie MUNK (La voix de la Thora vol. I, p. 72), les deux opinions peuvent être valables toutes les deux. Le combat que Noé eut à livrer peut, en effet, laisser quelques empreintes sur la force de caractère. Mais une conduite morale et irréprochable à une telle époque pèse bien plus lourd dans la balance divine que celle, même plus parfaite réalisée en des meilleures conditions. L'expression : Noé marchait avec Dieu, qui complète la caractéristique, sous-entend également une légère critique que Rachi formule ainsi : «Tandis que pour Abraham on dit : Marche devant Moi (XVII, 1). Noé avait besoin d'un appui pour le soutenir, Abraham était assez fort et marchait dans sa piété de lui-même. »