Lorsque Moïse s’est adressé à Hachem pour Lui demander, « à Lui qui est le Dieu de toute chair, de donner mission à un homme sur la communauté » (Bamidbar 27, 16), Rachi commente, citant le Sifri : « Cette phrase est à l’éloge des justes : Lorsqu’ils sont sur le point de quitter ce monde-ci, ils se désintéressent de leurs propres intérêts et se préoccupent de ceux de la collectivité. »
Quel signification convint-il de donner à ce commentaire ?
On aurait pu soupçonner Moïse, comme le suggère plus loin Rachi, de chercher à placer un de ses fils comme son successeur. C’est pour empêcher que nous vienne une telle suspicion que Rachi nous informe que, jusqu'à la fin de sa vie, la fidélité première de Moïse est allée aux enfants d'Israël. Selon son commentaire, nous devons lire la demande de Moïse comme sollicitant que soit désigné un continuateur digne de lui.
Le texte continue : « … qui sortira devant eux, et qui viendra devant eux, et qui les fera sortir, et qui les fera venir… » (verset 17).
Commentaire de Rachi : « Non pas à la manière des rois des nations qui restent chez eux et envoient leurs troupes au combat, mais comme j’ai agi moi-même lorsque j’ai combattu contre Si‘hon et ‘Og, comme il est écrit : “Ne le crains pas…” ».
Quelle difficulté ce commentaire cherche-t-il à résoudre ?
Les deux premiers verbes (achèr yètsè lifnèhem (« qui sortira devant eux ») et waachèr yavo lifnèhem (« et qui viendra devant eux ») sont à la forme active (qal), alors que les deux derniers (waachèr yotsièm waachèr yevièm) sont à la forme factitive (hif‘il). En mode qal, le chef est présenté comme marchant à la tête de son armée, tandis qu’il est décrit au hif‘il comme dirigeant ses troupes depuis l’arrière. Ce que Rachi veut nous expliquer, c’est que Hachem préfère le premier comportement au second.
On trouve une explication analogue de Rachi, citant la Mekhilta à propos du verset :
« [Pharaon] attela son char, et son peuple il le prit avec lui » (Chemoth 14, 6). »
Rachi : « Il rallia les bonnes grâces de son peuple par des paroles : “Ils nous ont frappés, ils ont pris notre argent, et nous les avons laissés partir ! Venez avec moi ! Je ne me comporterai pas avec vous comme les autres rois : Chez les autres rois ce sont les serviteurs qui, d’habitude, se portent à l’avant-garde du combat. Or, c’est moi qui marcherai en avant.” Comme il est écrit : “Et Pharaon s’approcha (hiqriv)” (verset 10), la forme hif‘il de hiqriv impliquant qu’il a fait s’approcher sa propre personne et qu’il s’est hâté à la tête de ses troupes. “Les autres rois, d’habitude, se servent en priorité pour leur part de butin. Mais moi, je serai à égalité avec vous !” Comme il est écrit (infra 15, 9) : “Je partagerai le butin”. »
D’après Ne‘hama Leibowitz