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Pas de piska en Hashkafa et Erreurs

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Anibi
Messages: 16
Bonjour Rav Wattenberg,
Il est connu qu'il n'y a pas de piska en matière de hashkafa. Cela signifie que j'ai le droit de croire ce que je veux si je ne contredit pas les 13 ikarim .
Certains comprennent de cette liberté qu'il est sain de penser ce qu'on veut, et penseront vrai ce qu'ils disent sur tous sujets auxquels ils ont réfléchis.
Venir les contredire en amenant des arguments d'autorités (preuves de richonim, aharonim, gmarot ou de lechonot dans la tefila par exemple) ne marche pas car "il n'y a pas de piska en matière de hashkafa".
Cela m'a l'air d'être une erreur, je comprends cette phrase comme "tu ne fais pas une avera en pensant", mais un esprit qui recherche le Emet avec honnêteté doit se soumettre à l'argument d'autorité des Grands et comprendre ce qu'ils pensent. La liberté reste pour choisir entre les shitot mais inventer une nouvelle hashkafa est plus complexe voir impossible.
De plus si c'était comme ils pensent, pourquoi les amoraims auraient écrit les agadot, et tout les gdolim qui ont écrit de la hashkafa (drashot haRan, Moré, Maharal etc..) tant qu'on ne contredit pas les ikarim on devrait penser seul et leur pensée à eux ne devrait pas intéresser plus que ça.

Qu'en pensez-vous ? Ont-ils raison ?

S'ils ont tort, qu'en est il d'être someh en hashkafa sur des déot solitaires et controversées ("Shadal pense comme moi" ou autres) ?

Merci beaucoup pour votre réponse.
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6700
Citation:
Il est connu qu'il n'y a pas de piska en matière de hashkafa. Cela signifie que j'ai le droit de croire ce que je veux si je ne contredit pas les 13 ikarim .
Certains comprennent de cette liberté qu'il est sain de penser ce qu'on veut, et penseront vrai ce qu'ils disent sur tous sujets auxquels ils ont réfléchis.
Venir les contredire en amenant des arguments d'autorités (preuves de richonim, aharonim, gmarot ou de lechonot dans la tefila par exemple) ne marche pas car "il n'y a pas de piska en matière de hashkafa".
Cela m'a l'air d'être une erreur, je comprends cette phrase comme "tu ne fais pas une avera en pensant", mais un esprit qui recherche le Emet avec honnêteté doit se soumettre à l'argument d'autorité des Grands et comprendre ce qu'ils pensent. La liberté reste pour choisir entre les shitot mais inventer une nouvelle hashkafa est plus complexe voir impossible.
De plus si c'était comme ils pensent, pourquoi les amoraims auraient écrit les agadot, et tout les gdolim qui ont écrit de la hashkafa (drashot haRan, Moré, Maharal etc..) tant qu'on ne contredit pas les ikarim on devrait penser seul et leur pensée à eux ne devrait pas intéresser plus que ça.
Qu'en pensez-vous ? Ont-ils raison ?
S'ils ont tort, qu'en est il d'être someh en hashkafa sur des déot solitaires et controversées ("Shadal pense comme moi" ou autres) ?


Dire qu’il n’y a pas de halakha tranchée en matière de hashkafa ne signifie pas que l’on ne puisse pas se tromper en matière de hashkafa…

Il est évident que celui qui s’invente une nouvelle hashkafa qui ne correspond à aucun des rishonim, ne fait que multiplier ses chances de dévier du judaïsme.

Il ne s’agit pas de dire qu’en hashkafa c’est la pagaille et que chacun n’a qu’à penser ce qu’il veut.
L’idée est qu’on ne tranche pas de halakha en matière de hashkafa car toutes les (VRAIES) hashkafot sont bonnes et adaptées à différentes situations/mentalités/époques etc.
Donc s’inscrire dans la shita de tel ou de tel Rav, c’est toujours bon, mais s’inventer une nouvelle hashkafa, c’est toujours mauvais.

Quant à se baser sur des opinions très minoritaires et controversées, comme l’exemple que vous donnez "Shadal pense comme moi", ce n’est pas non plus un chemin très sûr, lorsque les hashkafot de la personne prise en exemple étaient elles-mêmes douteuses.

Shadal était un grand linguiste, un grand bibliste, un grand érudit, un homme très pieux et dévoué pour la Torah, d’une assiduité et d’une force de travail remarquables, d’une grande abnégation, d’un amour du Emet assez rare, d’une sincérité appréciable, et d’un mépris de la Gashmiout qui devrait servir d’exemple.
Néanmoins, il avait des Hashkafot très "border line", une conception du respect de la halakha assez étrange, et on ne peut pas dire qu’il fut un véritable Talmid ‘Hakham.
Erudit, oui, mais Talmid ‘Hakham, non.
Alors oui, il avait lu son Shas, mais il n’en était pas pétri.

Vous me direz, Halvay Aleinou, et si on avait des rabanim qui avaient au moins les connaissances d’un Shadal nous serions heureux, c’est vrai, mais ça n’en fait pas encore un Talmid ‘Hakham pétri de Talmud et de Shimoush ‘Hakhamim.

Résultat, ses Hashkafot ne sont pas vraiment fiables.

Après, s’il s’agit de suivre un authentique Talmid ‘Hakham mais dont le "courant" est minoritaire, cela ne peut pas être répréhensible.
prince_06
Messages: 13
Bonjour Rav Wattenberg

Pouvez-vous nous expliquer svp en quoi Chadal était critiqué au niveau de ses hashkafot et de son respect de la halakha ?
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6700
Citation:
Pouvez-vous nous expliquer svp en quoi Chadal était critiqué au niveau de ses hashkafot et de son respect de la halakha ?


Disons d’emblée que Shadal n’était pas un rabbin mais un linguiste, philologue, poète, grammairien, traducteur et vaguement philosophe.

Il était très versé en grammaire biblique et dans l’étude de la Bible, mais bien qu’ayant survolé le Talmud, il n’en avait pas une connaissance/compréhension digne d’un Talmid ‘Hakham.
De plus, certaines de ses Hashkafot l’écartent du courant classique.

Par exemple, au sujet du commentaire du Ibn Ezra sur l’interdit de rasage des Péot (qu’il ne s’applique que lorsqu’il est corrélé à un deuil), Shadal écrit clairement que ce n’est pas la halakha retenue par le Talmud, mais il déclare pour sa part y adhérer Halakha Lemaassé, sans pour autant être Moré Halakha ainsi aux autres (Igrot Shadal §83, p.246).

Dans les faits, il ne se rasait pas du tout les péot, il avait même les pattes (favoris), mais il estimait que la Torah n’interdisait pas le rasage des péot -tant que ce n’est pas une manifestation de deuil.

Ce qui le motivait, c’est que la lecture des versets semble l’indiquer, en fonction du contexte.
Mais cela signifie oublier -ou minimiser- la réalité de la Torah orale, voilà en quoi ses Hashkafot n’étaient pas mainstream, il n’acceptait pas totalement l’autorité halakhique du Talmud.
Aussi, ses positions ne sont pas toujours en pleine adéquation avec les 13 Ikarim du Rambam.

Plus encore, il critique de manière acerbe des Rishonim et de grands A’haronim, et je ne parle pas d’analyses critiques respectueuses, mais bien de critiques irrespectueuses, sans déférence, sans considération.

Un autre élément en sa défaveur, est qu’il était souvent très sûr de lui, et parfois à tort, comme pour sa position extrême concernant la paternité du Sefer de Kohélet dans la Bible ; Il décrète que Kohélet n’a pas été écrit par Shlomo (cf. Igrot §461, p.1094 et Epistolario p.465), et 30 ans après il se rend compte qu’il s’est trompé, et revient sur sa position (Epistolario p.990).

Il est très honnête intellectuellement, il est Emet, donc il changera d’avis s’il estime qu’il s’est trompé, mais sa décision à propos de Kohélet avait été prise un peu à l’emporte-pièce et, surtout, c’est certes très bien qu’il ait reconnu son erreur (au bout de 30 ans -durant lesquels il a formé des élèves et leur a enseigné cette idée parmi d’autres tout autant erronées), mais il aurait pu ne pas s'en rendre compte, il aurait pu mourir avant.

Il faut savoir être respectueux dans anciens et surtout faire preuve de pondération avant de « pondre » de telles énormités.
Shadal n'était pas toujours assez circonspect et précautionneux avant de décider de bousculer des repères bien établis.

Dans la même veine, il a décrété, contre son père, et à 13 ans seulement, que le Zohar n'était pas authentique (cf. Epistolario p.465).
C'est trop brutal. Les Sages disent הוו מתונים בדין.

C’est ce qui constitue les prémisses de son Vikoua’h Al ‘Hokhmat Hakabbala. Ce livre a suscité une levée de boucliers, plusieurs ouvrages sont consacrés à la réponse à son Vikoua’h.

Bref, Shadal c'est bien, mais il faut savoir faire le tri, il manque parfois de A'hariout (responsabilité au niveau spirituel), c’est un peu comme certains chercheurs plus tardifs.

Plusieurs Maskilim et Rabanim (comme Shir) entretenaient avec lui une relation épistolaire.
C'était un savant, il lisait l'hébreu, l'araméen, l'allemand, l'italien, le français et le latin. Il avait aussi des connaissances en grec (et peut-être un peu en anglais).
Il étudiait beaucoup la Bible, la grammaire et c'était un grand linguiste, avec une féroce recherche du Emet.

Dès son jeune âge, à 14 ans, il perd sa mère et se voit tenu de la remplacer pour les tâches ménagères, tout en aidant aussi son père au travail.
Plus tard, il a été pauvre et a souffert, il a perdu (au moins) 3 enfants, dont deux à un âge "avancé" (son fils Ohev-Guer (Philoxène) à 24 ans et sa fille Marianne à 18 ans). Les deux étaient très brillants.
Il a perdu sa première femme aussi (et s'est remarié).

Il ne s'intéressait qu'à ses études, peu importe la pauvreté, l’adversité, la précarité...

Il avait un grand besoin de reconnaissance, une très grande estime de lui et de ses travaux.
Dans ses lettres, j’ai remarqué que lorsqu’il parle de lui à la 3ème personne en se nommant Shadal, c’est qu’il est très fier de lui-même. (pas lorsqu’il écrit Shadal à la 1ère personne 'אני שד"ל וכו).

Pour lui, il était très important de positionner les gens "tu es mon ami" / "tu n'es pas mon ami".
Il y a ceux qu'il aime et ceux "qu'il n'aime pas!", même parmi les Mefarshim et anciens rabanim morts bien avant son siècle, il insiste pour dire j'aime untel (R.Y Halévi, ou Rashi) et dire je n'aime pas untel! (Rambam, Ibn Ezra, R. E. Ba'hour...), alors que d'autres auteurs se contenteront de souligner les aspects positifs ou négatifs des anciens, lui traduit ça en amitié, il est très extrémiste dans ce domaine (soit untel est "méprisable", soit il est "génial et fabuleux"), il n'y a pas trop de demi-mesure dans son jugement.

Ça l'a amené à se disputer pour peu de choses avec pas mal de monde.
Il écrit à Geiger qu'il n'est pas encore "son ami", que ça se mérite etc. Puis il devient "son ami" et le lui écrit dans chaque lettre.
Puis il lui déclare la guerre (parce que Geiger a dit quelque chose contre une des positions de Shadal) et ne lui parle plus ni ne lui écrit de lettre.

Idem avec Shir, grand ami, puis c’est la guerre, puis ils ont fait la paix et on voit bien que tout ça se déroule essentiellement dans la tête de Shadal, mais Shir était bien plus calme et serein.

Shadal avait un problème avec ça (être "ami" ou "pas ami"). (je ne vais pas jouer au psychologue en herbe, je laisse ce soin au lecteur 😊)

Certains lui reprochent aussi son caractère difficile et ses positions versatiles, voire même un double discours (ce qui ne correspond pas tout à fait au personnage), voir Eshtadlout Im Shadal (§20, p.39-40 dans la note).
Ou encore de plagier d’autres auteurs (cf. Eshtadlout Im Shadal §27,32,33,34,40,46,49,50,87,151,155 et 156).

Mais ses recherches sont très riches et son dévouement pour la 'hokhma est remarquable, même s'il avait peut-être un statut de Kofer au niveau halakhique retenu de nos jours, comme sa Kfira dans des Ikarei Haémouna, peut-être même dans Skhar Veonesh. Voilà pourquoi il n’est pas en odeur de sainteté parmi les rabanim traditionnels.

Néanmoins, avant de critiquer Shadal, il faut être conscient de son dévouement extrême pour la Torah, c’était un grand défenseur du judaïsme rabbinique classique et traditionnel, il défendait le Talmud et les ‘Hazal, contre les attaques des savants non-juifs et surtout contre celles des savants juifs de la Haskala.
C’est ce qui lui a valu cette place ambiguë entre les orthodoxes et les réformés, les premiers le trouvait trop libéral et les derniers trop conservateur.
Dans les faits, il pratiquait le judaïsme selon la Halakha, mais avait des Hashkafot déviantes des Ikarim du Rambam (bien qu’il pût peut-être toujours s’inscrire dans le respect des Ikarim du Albo). Ça en fait en ‘hakham mi-maskil mi-traditionnel, on ne peut pas accepter que son judaïsme puisse servir de boussole aux juifs soucieux de préserver la tradition selon l’esprit rabbinique.
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