@ M.O.
Tizkou lechanim rabot,
Vous avez soulevé dans votre message plusieurs points, qu'il va falloir séparer.
1) Tout d'abord dialogue de sourds ?
Je trouve pour ma part assez normal que deux personnes vivant dans deux mondes différents et essayant de communiquer, trébuchent ci et là avant de parvenir à s'entendre.
Ce qui pour vous est évident, l'est peut-être moins pour moi, et vice versa. Ce qui pour moi représente deux sujets distincts est peut-être perçu par vous comme une seule et unique chose et devient donc pour nous source de confusion, et vice versa.
Et peut-être que parfois nous cherchons en fait à parler de la même chose, mais l'exprimons très différemment.
C'est l'inverse (que nous tombâmes d'accord du premier coup) qui m'aurait surpris.
Le meilleur exemple de cette "gentille incompréhension" se trouve peut-être justement dans votre dernier message : Vous semblez m'y accaparer le fait de vouloir dire que la confiance en nos rabbins n'est qu'une invention des médias, chose que je n'ai absolument pas dite (relisez-moi). C'est pourtant ce que vous avez ressorti des propos que j'ai tenu dans mon message…
2) Expliquons-nous. Je ne dis pas que ce que vous connaissez de la achkafa 'haredit est faux. Je dis que vous n'en percevez que la forme, pas le fond. Que les véritables raisons de cette achkafa vous échappent (ou ne vous intéressent pas).
Ce n'est pas là de ma part une supposition, mais une constatation. Lorsque je vous vois imaginer que les 'haredim interdisent les dons d'organes parce qu'ils ont une dent contre la science, ou qu'ils ne prônent pas activement l'étude du talmud chez les femmes parce qu'ils sont incapables de concevoir le moindre changement dans leurs habitudes, je constate que vous ignorez totalement les raisons de la achkafa 'haredit. Je constate également que vous ne savez pas du tout ce que sont les gdolim.
Mon but n'était donc pas de vous faire découvrir la "vraie" achkafa 'haredit. Je n'avais par ailleurs pas même la présomption d'essayer de vous convaincre de l'avantage de cette achkafa. Ce que je désire c'est uniquement vous faire remarquer que la achkafa 'haredit est promue pas des raisons autres que celles que vous imaginez (volonté aveugle de rester fermés au monde, refus catégorique de reconnaitre la valeur des sciences, rejet en bloc de tout ce qui n'est pas "de chez-nous", incapacité d'évoluer…), que cette achkafa est en fait un monde de pensée extrêmement riche, utilisant la même "raison" que vous ou que tout autre être humain, ayant pleinement conscience des enjeux de la modernité, mais dont les critères de priorité diffèrent de ceux qui régissent la pensée profane.
Quand je disais "achkafa 'haredit", je ne parlais donc que de la pensée des gdolim elle-même – que je trouve simplifiée et même déformée par les médias – sans aucun rapport avec le principe de Emounat 'ha'hamim, qui lui n'intervient qu'une fois la décision prise.
Il est vrai que c'est souvent au nom de ce principe que les médias se contentent de claironner la parole des gdolim sans se donner la peine de justifier leurs décisions, et sans même chercher à ouvrir le moindre débat sur le sujet. Mais cela ne signifie ni que la décision des rabbins n'est pas quelque part étayée par une démarche saine et rationnelle, ni que l'idéal serait d'accomplir sans comprendre.
Le problème des médias est, comme je l'expliquais, qu'ils s'adressent aux foules.
Alors ceux qui s'en arrêtent là connaissent bien la "position" 'haredit, mais pas sa "pensée". Par contre ceux qui, convaincus du bon sens des rabbins, mais étonnés de leur prise de parti, chercheront des explications, je puis vous assurer qu'ils en trouvent. D'eux je dis qu'ils connaissent la achkafa 'haredit.
3) Un peu hors sujet, mais puisque vous avez soulevé le problème, qu'en est-il de cette fameuse Emounat 'ha'hamim ? A vous lire "Emounat 'ha'hamim" signifierait pour les 'haredim "suivre aveuglément les rabbins".
A première vue ce qui vous fait croire que les 'haredim se plaisent à suivre bêtement leurs rabbins c'est, d'une part le fait que les décisions de ces rabbins vous apparaissent parfois dérisoires et contraires au bon sens, mais sont tout de même suivies en bloc par leurs adeptes. Et d'autre part le fait que les médias 'haredi demandent effectivement de suivre les Gdolim sans aucune réserve, et ne se donnent d'ailleurs même pas la peine de présenter une image objective des sujets dont ils traitent.
Ensuite, vous pensez avoir trouvé dans la littérature rabbinique du siècle dernier, la source de cette achkafa.
Concernant les deux premiers points je pense avoir été jusqu'ici suffisamment explicite.
Pour ce qui est des rabbins du siècle dernier, détrompez-vous. La confiance en nos sages ne signifie pas pour eux "suivre bêtement les rabbins", mais plutôt les suivre "intelligemment". Je m'explique :
Le fondement de la Emounat 'ha'hamim telle qu'ils la conçoivent, repose avant tout sur la constatation de la supériorité intellectuelle de l'intégrité et de la pureté des intentions d'une personnalité rabbinique. Celui-ci n'aura été ni élu, ni promu par qui que ce soit. Ce sont simplement les gens eux-mêmes – en un premier temps ses élèves, puis ensuite un cercle plus grand de personnes – qui éprouvent le sentiment de se trouver en présence de quelqu'un à qui on peut tout à fait faire confiance.
Lisez donc le passage du Michtav Meeliahou que vous avez cité de vous-même : (je transcris en français car les caractères hébraïques ne passent pas sur le site Techouvot.com)
" Avant tout je vous dirais que certains de ces rabbins je les ai moi-même connu… leur intelligence était effroyable, leur analyse descendait jusqu'au plus profond des choses ; il était impossible à une personne comme nous d'arriver au fond de leur claire compréhension. De plus, celui qui a assisté à leurs réunions pouvait réaliser, au moment où ils réfléchissaient, de l'immense sentiment de responsabilité qui se lisait sur leurs visages..."
Voyez donc que le rav Dessler, en abordant le sujet de la Emounat 'ha'hamim, ne manque pas d'insister sur le fait que l'on décèle chez eux une intelligence et une intégrité qui inspire cette confiance.
Cette confiance, c'est donc en fait la raison même qui nous la dicte.
Toute personne intelligente se doit d'essayer de comprendre les raisons qui poussent les gdolim à leurs décisions. Mais lorsque je me retrouve devant une décision dont la teneur m'échappe, mais qui a été prise par une personne dont je connais les qualités, chez qui je me suis habitué à trouver des décisions pénétrantes, dont je reconnais généralement la supériorité intellectuelle, le fait de parfois la suivre sans complètement la comprendre, n'est pas un acte aveugle. Je pense plutôt que m'obstiner à ne le suivre que lorsque je le comprends, ça c'est un acte aveugle…
4) Vous insistez sur le fait que la M.O. est une pensée indépendante. O.K., je donnais mon impression, mais peut-être que je me trompe. J'avoue ne pas connaitre cette pensée, en tout cas pas suffisamment pour en faire la synthèse.
5) Votre philosophie de la raison "divine" n'est pas à rejeter, mais doit être largement relativisée.
La cognition humaine ne se base pas uniquement sur la raison, mais sur trois éléments.
a) Les données qui lui sont transmises par ses sens (l'observation empirique).
b) Les repères qui délimitent le champ opérationnel de la raison (sans lesquels l'esprit se retrouverait dans une sorte d'infini, d'où il lui est impossible de raisonner).
c) La raison elle-même, qui n'est en fait que l'instrument avec lequel nous gérons les données empiriques, dans le cadre des repères préinstallés.
L'homme est par conséquent en proie à trois risques. Les erreurs (ou le manque) d'observation, les faux repères, et la faiblesse intellectuelle.
Pour ces trois raisons, sa raison n'est pas si "divine" que l'on voudrait le croire. L'erreur est humaine disait-on.
Remarquez que je ne sais pas ce que le Rambam pense de tout cela, mais je me plais à croire que votre raison, elle, s'en accordera bien ;)
Alors bien sûr, de toutes les façons au bout du compte le seul moyen que nous possédons pour appréhender le monde est notre raison, et nous ne pouvons en dernier recours, nous fier qu'à elle. Mais cette raison elle-même nous dicte justement de ne nous fier à elle qu'avec prudence. C'est pourquoi nos sages n'ont jamais eu pleine confiance en les sciences. C'est toujours avec beaucoup de circonspection qu'ils acceptent toutes les nouvelles "découvertes". Surtout lorsque celles-ci semblent paraitre en contradiction avec les données en cours jusqu'ici, héritées des anciens.
Regardez par exemple l'exemple des poux que vous avez cité. Si vous m'aviez posé la question au XIXème siècle j'aurais été drôlement confus. Des poux dans les habits qui ne naissent pas d'un mâle et d'une femelle ? Quelle bizarrerie pour l'esprit éclairé qu'était alors le nôtre.
Aujourd'hui c'est beaucoup plus facile, il me suffit de vous inviter à lire n'importe quel article sur la reproduction asexuée comme par exemple :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Parth%C3%A9nogen%C3%A8se
pour que vous découvriez avec moi que oui, il existe des animaux – dont les pucerons – qui peuvent naitre sans qu'il n'y ait eu de contact entre un mâle et une femelle. Et que si ce phénomène étonnait tellement notre intellect par le passé, cela n'était en fait dû qu'a un manque d'observation de la nature de notre part. Et que notre raison avec tout son éclat, ne pouvait alors que se méprendre sur ce point.
A présent que dire d'un rabbin qui avant ces découvertes s'obstinait à dire que si le Talmud dit que cela existe, eh bien cela doit exister, envers et contre tout bon sens ?
Personnellement je pense que la réponse à cette question doit être fortement nuancée.
Mais je n'ai malheureusement plus le temps de continuer. Il y a nécessité de s'allonger sur la façon qu'ont les 'haredim de se confronter aux idées modernes. Ce sera peut être pour une autre fois. Ce message est déjà assez long comme ça.
Et en attendant à mon tour de vous demander de bien réfléchir avant de répondre ; ce que je vous écris ici ne correspond certes pas à votre achkafa, mais est-ce aussi débile que cela ?