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J'ai entendu une conférence du Khakham/rabbin Karaïte Moshé Firrouz qui est sensé être une autorité dans son domaine qui explique, ou plutôt justifie la non-acceptation de la torah orale par l'idée (assez centrale dans son discours) qu'un homme ne peut en aucun cas imposer une mitsva à un autre homme, d'où le "Torah écrite oui, mais orale non".
Était-ce la raison originelle des premiers karaïtes pour ce refus?
Ça dépend par où on prend les choses.
Mais présenté tel quel, les juifs traditionnels aussi vous diront qu’un homme ne peut pas « imposer une mitsva » à un autre homme, cependant, cela n’a rien à voir avec la Torah orale selon la tradition.
L’idée de la Torah orale est que D.ieu aurait dicté un texte (la Torah) et aurait EN PARALLELE aussi donné des explications orales accompagnant ce texte.
Mais pas que ce soit Moshé ou un autre homme qui aurait décidé « d’imposer » des Mitsvot aux autres.
A moins qu’il entende par « imposer une Mitsva » les barrières et Takanot des Sages (Miderabanan), mais dans ce cas je ne vois pas pourquoi il parlerait d’homme qui « impose » aux autres ?
Les ajouts Miderabanan sont prévus et acceptés par le texte même de la Torah (Lo Tassour et Cie), tant qu’ils ne sont pas présentés par les rabbins comme une « Mitsva Min Hatorah »
(auquel cas ils seraient prohibés au titre de Bal Tossif et de mensonges).
Les ajouts et barrières Miderabanan sont bel et bien présentés en tant que tels et aucun homme n’impose quoi que ce soit à autrui.
Si, d’aventure, un farfelu déciderait de lire autrement la Torah, d’une lecture lui indiquant qu’il ne faudrait accorder aucun intérêt aux Sages ni à leurs « barrières », il se dédouanerait lui-même ipso facto de tous les Dinim Miderabanan et ne les accomplirait pas, donc personne n’impose rien à personne, car seuls ceux qui estiment que la Torah valide bien les ajouts rabbiniques s’y astreignent.
Les Caraïtes soutiennent que D.ieu n’aurait donné QUE la Torah écrite, sans aucune explication supplémentaire.
Je ne sais pas comment ils peuvent penser pareille chose lorsqu’on voit le nombre de passages obscurs dans la Torah, des Mitsvot qu’on ne peut absolument pas comprendre à partir du texte seul, sans qu’il n’y ait eu d’explication orale.
Par exemple, les Tfilines ne sont pas du tout expliqués dans le texte écrit.
On ne sait pas du tout ce que c’est, ni comment c’est fabriqué, ni ce que ça contient, ni la forme, ni la couleur, etc.
De telle sorte que celui qui se mettrait un caillou rose fuchsia représentant des mini-tables de la loi gravées en chinois sur le bras et la tête pourrait dire que cela correspond à la Mitsva.
Idem pour le Etrog qui pourrait être un fruit de la passion, etc.
Le plus insolite dans tout ça, c’est que cette « Ma’hloket » n’est pas née dès Matan Torah (auquel cas on aurait pu la comprendre un peu mieux), mais plus d’un millénaire après !
C-à-d que tous les juifs -incluant les ancêtres des premiers caraïtes- ont toujours considéré les Tfilines noirs et en cuir et qu’il y avait eu une Torah orale accompagnant la Torah écrite etc. et un beau jour, certains se sont réveillés et ont décrété qu’il n’y a jamais eu d’explication orale indiquant « comment faire des tfilines » et qu’en fait on peut parfaitement comprendre qu’il s’agisse de sphères de couleur jaune fluo et non de cubes noirs.
Dès la fin du VIIème siècle, les conquêtes arabes et l’expansion très rapide de l’Islam bouleversent les esprits et secouent les religions.
A partir du milieu du VIIIème siècle un juif -Anan ben David- dirige une secte prônant l’absence de Torah orale, seule la Torah écrite existe et nous engage. Nous sommes pourtant 2000 ans après Matan Torah !
Anan « postulait » au titre de Gaon suite au décès du Gaon en chef, l’exilarque.
On lui aurait préféré son petit frère ‘Haninaï, ce qu’il n’apprécia pas et c’est ainsi que naquit son opposition au système.
Nous n’avons pas vraiment de témoignages d’époque précis qui permettraient de cerner convenablement ce personnage et ses motivations, il s’est probablement inspiré des anciennes sectes des Tsedokim (sadducéens) et Baytossim et y a ajouté sa vision, ainsi que son aversion pour la science qu’il reprochait aux rabbanim (surtout la médecine et l’astronomie qui étaient, selon lui, en opposition avec la Torah).
Le mouvement se répandit dans certains pays sous différentes formes ayant toujours pour point commun la karaïsme, c-à-d la négation de la Torah orale, mais au gré des changements de leaders, leurs lectures différant de l’un à l’autre, leurs fidèles avait donc un Etrog qui changeait tous les 20 ans, idem pour beaucoup d’autres Mitsvot interprétées différemment selon le leader de leur époque, voire aussi interprétée allégoriquement et donc la Mitsva disparaissait pour une génération ou plus, avant d’éventuellement revenir au gré des lectures et compréhensions de chaque leader.
Lorsque le Rambam s’installa en Egypte (XIIème siècle), il y trouva une forte communauté caraïte.
Globalement, la position des Caraïtes consiste à dire qu’il n’y a pas eu d’explication orale de la Torah et qu’elle a été donnée à Moshé sans commentaire, à nous de nous débrouiller avec l’imprécision du texte.
Mais l’idée qu’un homme ne puisse pas imposer une Mitsva à un autre homme, telle qu’évoquée dans votre question, ne s’inscrit pas dans une divergence d’opinion représentative des courants traditionnels face aux caraïtes.