Citation:
Quelle est la traduction des mots "Baroukh 'Hay (ou 'Hey selon
certains) Aholamim" dans la berakha de Boré Nefachot ?
Le mot 'Hay ou 'Hey veulent-ils dire la même chose ?
Selon le
Yashresh Yaakov (daf 37a dans l’édition de 1768), il faut dire ‘Hey qui signifie « celui qui fait vivre les mondes » comme dans
Daniel (XII, 7) et
Ibn Ezra (ad loc), alors que ‘Hay voudrait dire « le vivant des mondes » et n’aurait pas vraiment de sens ou « celui qui vit éternellement », mais cela déplaît au
Yashresh Yaakov.
[et pareil pour Baroukh Sheamar où il opte aussi pour ‘Hey
(daf 21b) et idem pour Yishtaba’h
(daf 37b).]
C’est aussi l’opinion du
Mishna Broura (§207, sk.3) qui indique de dire ‘Hey
(car c’est Davouk/nismakh au mot suivant).
Il cite le
Tosfot YT (fin de Tamid), Maguen Avraham, Gaon de Vilna (cf. Sidour Tfilat Yesharim avec
Porat Yossef -Varsovie 1898, daf 15b en bas, au nom du
Gaon) et
Pri Megadim.
(voir
Shaar Hatsiyoun 4).
[C’est aussi ce que rapporte le
Baer Heitev (§54, sk.1) (concernant Yishtaba’h)].
Bien entendu, il y a des discussions sur tout cela et vous trouverez des explications indiquant exactement l’inverse, voyez par exemple
Yeroushaténou (VI, p.245) qui prouve qu’il faut dire ‘Hay.
Pour plus de précisions concernant la différence entre les deux lectures, voyez
Tosfot Yom Tov (Tamid II, 4), Aboudarham (sur Baroukh Sheamar), Rambam (Yessodei hat. II, 10) et
Shadal (Hamishtadel Bereshit 42, 15 -Padova 1871, p.390-391).
Le
Aboudarham cite et valide les deux lectures et propose une sorte de compromis en disant ‘Hey dans Yishtaba’h
(p.75) et pour Baroukh Sheamar ‘Hey ou ‘Hay, au choix
(p.71).
Globalement, de nos jours, le minhag Ashkenaze est de dire ‘Hey comme vous le verrez dans la majeure partie des Sidourim
[-pourtant dans le Sidour du Yaabets (daf 105b) nous trouvons ‘Hay, voir aussi son Shout Sheïlat Yaabets (§141) où il cite le Maharal de Prague qui disait ‘Hay], alors que chez les sfaradim c’est plus souvent ‘Hay.
Il faudrait vérifier dans le
sidour Ish Matslia’h supervisé par
rabbi Méir Mazouz s’il opte pour ‘Hay ou ‘Hey.
Il y a aussi des grammairiens qui ont publié des Sidourim il y a deux siècles, comme
R. Shabtay Sofer, R. Wolf Heidenheim et d’autres qui tous votent pour ‘Hey.
Le
Kaf Ha’haim (§207, sk.3) opte pour ‘Hay, suivant en cela le
‘Hida dans
Birkei Yossef (O’’H §207, sk.1).
Le
‘Hida cite aussi le
Tosfot YT mais il ajoute que ce dernier aurait changé d’avis ultérieurement
(-il aurait donc rejoint l’opinion de son maître le Maharal de Prague cité par le Sheïlat Yaabets §141), c’est ce qui est indiqué avant le
‘Hida par le
Elia Raba (§207).
Le
Rav Gaguine dans son agréable
Keter Shem Tov (I, note 62) indique que le
Rambam (Moré I, §73) et le
Kouzari (IV, 3) pensaient ‘Hey, mais que le
Yaabets opte pour ‘Hay, que c’est le Nossa’h Teiman et que le
Rav Sapir s’en est laissé convaincre par les yéménites
(Even Sapir I, daf 56), et c’est aussi le Nossa’h de différents ma’hzorim sfarades comme le
Ma’hzor Roma et d’autres.
Il apporte deux sympathiques preuves du
Midrash à cette lecture.
(il a tiré ces informations ainsi que les deux preuves, directement du Iyoun Tfila daf 95b. Quant aux preuves à partir des sidourim des Gueonim qu’il cite et dont parle aussi le Iyoun Tfila, elles ne sont pas très pertinentes dans la mesure où la ponctuation semble y avoir été ajoutée ultérieurement.)
Il termine toutefois en citant le
Tfila Ledavid qui témoigne que dans la synagogue Beit-El à Jérusalem où l’on prie selon les Kavanot du
Arizal, on dit ‘Hey.
[Au passage je remercie chaleureusement mon ami DB qui m’a offert le Keter Shem Tov. C’est un très beau livre, je m’en régale.]
[Re-Au passage : il cite un Ma’hzor de Livourne 1803, qui cite le Aboudarham, mais il n’a pas souligné que l’auteur s’est embrouillé et a inversé le « compromis » du Aboudarham (cité plus haut).]
Chez les ‘Hassidim, ça varie d’une communauté à l’autre.
Si le
Sidour du Baal Hatanya indique ‘Hey (aux 3 occurrences), certains optent pour ‘Hay, par exemple dans le
Kitsour Shoul’han Aroukh (§LI, 11) il est indiqué de dire ‘Hay et ça l’est aussi dans le
Shoul’han Hatahor du
Rabbi de Komarna -avec force et virulence, comme à son habitude.
Il cite
Reb Shmelke de Nikolsburg selon qui celui qui dit ‘Hey est « me’haref oumegadef » c-à-d blasphémateur.
[Petite explication pour les férus de kabbale : car il crée un Piroud entre lesdits olamim et D.ieu qui ne les ferait vivre que par action extérieure, alors que « Leit Atar Panouy Minei ».
NDLR : Al zé Néémar : Nou, nou. Big deal. Si c’était si grave, comment le Aboudarham aurait-il commis une telle bévue ?].
L’avantage avec la prononciation dite ‘hassidique, c’est qu’on ne distingue pas vraiment entre le Tseirei et le Pata’h suivi d’un Youd, dans les deux cas ça donne « AY », donc qu’ils ponctuent d’une manière ou d’une autre, ça se lit ‘Hay
(mais il reste un problème au niveau de l’intention, du sens, comme expliqué plus haut).
EN CONCLUSION : le minhag ashkenaze est de dire ‘Hey et le minhag sfarade est -généralement- de dire ‘Hay, mais il y aurait des sfaradim qui disent ‘Hey (et des Ashkenazes/’hassidiques qui disent ‘Hay !).
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Comme le
Yashresh Yaakov n’est pas très connu, et que c’est la deuxième fois que je le cite aujourd'hui
(cf:
https://www.techouvot.com/debut_du_diqdouq-vp51999.html#51999 ),
j'indique une précision étonnante à son sujet :
Sur la page de garde, le nom de l’auteur est indiqué comme étant
Rabbi Yaakov Babani, mais le
‘Hida dans son
Yossef Omets (§10, daf 20c) que le véritable auteur n’était pas
Rabbi Yaakov Babani mais un contemporain de ce Rav, qui n’a pas souhaité laisser son nom tant il craignait la critique ou même les représailles.
Je suppose que le
‘Hida a appris ça dans un sefer manuscrit nommé «
Yessod Hakiyoum »
(qu’il mentionne dans le Yossef Omets) qui « prouve » que l’auteur n’est pas
Rabbi Yaakov Babani et qu’il n’habitait pas en Israël
(alors que Rav Babani y habitait).
Le
Rav Mordekhai Shmouel Gerondi écrit dans son
Toldot Gdolei Israel (Trieste 1853, p.10, §40) que l’auteur du livre se nommait
R. Avraham Ye’hezkia Bassan [et je pense que c’est de là que l’a copié Friedberg dans son Beit Eked Sfarim], alors que
Shadal (Luzzatto) dans son livre
(en italien) Prolegomeni (§XXXVII -Padoue 1836, p.62) l’attribue au père dudit
Rav Bassan, Rabbi Yaakov Bassan.
Ça reste en famille.
Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a deux approbations imprimées dans ce livre, l’une d’elle est de
R. Yaakov Bassan en personne, il aurait donc donné une Haskama à son propre écrit, profitant de son anonymat
[phénomène qui se retrouve sur le Zekher Lamikdash publié de manière anonyme à Varsovie en 1889 et comportant l’approbation du Aderet, qui se trouve en être l’auteur ! ce qui lui permit d’écrire le plus grand bien qu’il pensait du livre et de l’auteur :) ] et la seconde approbation est de
R. David Berlin qui écrit explicitement qu’il donne sa Haskama car
Rabbi Yaakov Bassan le lui a vivement recommandé, soulignant la haute estime qu’il voue à l’auteur anonyme
(dont Rav Berlin n’a pas appris l’identité).
Bref,
Rav Bassan est celui qui a écrit le livre, l’a recommandé, qui a donné son approbation, qui a encouragé la seconde approbation, le tout sous couvert d’anonymat.
Le
Yashresh Yaakov a été réimprimé récemment, avec en prime,
imprimé pour la première fois, le
Yessod Hakiyoum qui s’y rapporte
(le manuscrit mentionné plus haut et par le ‘Hida).
C’est une très bonne chose.
Nous la devons au
CFJT, le
Centre Français du Judaïsme Tunisien
https://cfjt.fr/ qui déploie des efforts et des moyens pour redonner vie aux écrits des Sages de Tunisie, sans chercher à gagner de l’argent, uniquement dans le but de diffuser la Torah des ‘Hakhamim de Tunisie pour la rendre accessible aux Lomdim et à toute personne souhaitant étudier ces écrits.
Kol Hakavod.
PS: par manque de temps, je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes, merci.