Vous demandez pourquoi il y a un yetser hara qui pousse à l’accomplissement de la mitsva de Piria verivia alors qu’il n’y en a pas qui pousserait à l’accomplissement de la mitsva d’étudier la Torah.
(Et vous écartez l’éventualité que ce soit lié à la nécessité de piria verivia pour l’existence du monde en arguant que l’étude de la Torah est tout autant indispensable.)
Voici ma réponse: Je ne sais pas.
Toutefois, j’aurais tendance à dire que l’étude de la Torah d’une seule personne peut encore « sauver » le monde alors que la piria verivia d’une seule personne (d’un seul couple) serait insuffisante pour le maintien du monde.
[Il suffit donc que D.ieu crée un « yetser » et une curiosité naturelle chez quelques personnes sur terre pour maintenir l’étude.]
Il faut beaucoup de monde sur terre pour que la planète tourne convenablement, imaginez un peu la vie insupportable d’une personne seule sur terre qui devrait tout faire seule. Le nombre élevé de personnes permet qu’il y ait des spécialistes dans chaque corps de métier et tout le monde y gagne.
S’il fallait semer et récolter son propre blé puis moudre les grains, pétrir et cuire son pain pour avoir une baguette fraîche le matin, on y passerait la journée (ou plutôt la nuit). Il serait impossible de s’investir dans l’étude.
D’une certaine manière, ce même Yetser Hara des arayot sert donc aussi à l’accomplissement de l’étude de la Torah.
Regardez combien de juifs étudient moins de 3 heures par jour par manque de temps à cause de leur travail (alors qu’ils travaillent difficilement 8 heures par jour) et imaginez ce que ça aurait été s’il fallait tout faire soi-même !
On peut certainement imaginer encore d’autres réponses, mais voilà déjà de quoi réfléchir.
Quant à ce que vous présentez comme évidence en ces termes : « si la torah s'arrête un seul instant, le monde se détruit ! », je préciserais que cela mérite approfondissement car –même si je sais que les rabbins disent (en se basant sur le verset de Yirmiya XXXIII, 25 : im lo beriti yomam valayla, ‘houkot shamayim vaarets lo samti) que si l’on interrompt ne serait-ce qu’un instant l’étude de la Torah, le monde serait détruit , force nous est de constater que le monde a survécu à l’époque d’Adam et Eve !
Et même si vous allez dire qu’Adam était un fin talmudiste, vous conviendrez que la nuit il devait dormir à un moment…
J’ai récemment entendu (au Gala du centre Alef) le grand rabbin d’Israël, Rav Its’hak Yossef expliquer que D.ieu a créé notre planète sous forme de globe afin qu’il fasse jour sans arrêt sur une partie du monde, pour qu’il puisse toujours y avoir des juifs qui étudient la Torah car si cette étude ne s’arrêtait ne serait-ce qu’un instant, le monde disparaîtrait.
Mon scepticisme ne sait par où commencer…
Disons déjà que lorsque D.ieu nous avait amené en Israël, ce n’était pas pour que l’on soit éparpillé de par le monde et il n'y avait pas de juifs en Amérique.
De plus, même suite à l’exil, de longs siècles se sont écoulés sans qu’il n’y ait de beth hamidrash aux antipodes d’erets Israël ou de l’Europe.
Les Amériques se sont passées de Torah durant un long moment…
Durant des siècles les juifs n’étaient qu’en Egypte, puis qu’en Israël, puis en Irak et au Moyen-Orient, puis aussi en Europe Occidentale…
Il faut avant tout savoir que cette interpétation de « im lo beriti yomam valayla, ‘houkot shamayim vaarets lo samti » [comme quoi la Torah est indispensable au maintien du monde] est un Drash, ce n’est pas le Pshat du Passouk, comme vous pourrez le voir par le contexte et dans les commentateurs sur place (dont Rashi qui dénonce clairement l’incompatibilité de ce Drash avec le contexte du verset).
De plus, la Gmara elle-même rapporte différentes Drashot sur ce verset, l’une d’elles attribue le maintien du monde aux Maamadot (cf. Meguila 31b), une autre l’attribue (toujours sur base de ce verset) à la mitsva de Brit Mila (Shabbat 137b) et il ne s’agirait pas de Drashot complémentaires comme on le voit dans la gmara Nedarim (32a) qui oppose bien celui qui interprète ce passouk comme parlant de Brit Mila à celui qui l’interprète concernant la Torah (cf. Rashi ad loc).
De plus, la lecture de la Gmara Avoda Zara (3a) semble indiquer que lorsqu’on parle de nécessité de Torah pour le maintien du monde, il s’agît de l’accomplissement de la Torah, pas (spécifiquement) de son étude.
Donc ce n’est plus un Yetser Hara d’étudier que vous réclameriez, mais un Yetser d’accomplir la Torah !
Là encore, je vous dirais que ce yetser existe bel et bien, il y a toujours des personnes sur terre qui aiment accomplir certaines mitsvot et en éprouvent le besoin vital, donc ne vous inquiétez pas pour le maintien du monde.
Je note tout de même que Rashi (Psa’him 68b) interprète le passouk comme s’il portait im lo beriti SHEL yomam valayla, ‘houkot shamayim vaarets lo samti, en expliquant que « beriti SHEL yomam valayla » signifie l’alliance de l’étude la Torah [au sujet de laquelle il a été dit Vehiguita bo yomam valayla] (voir aussi Rashi Avoda Zara 3a, mais on pourrait être do’hek).
Cela pourrait paraître étrange, mais j’ai trouvé une source à ce Rashi, c’est le Midrash Tan’houma (Noa’h, §3) qui dit bien que le monde tient par le mérite de ceux qui étudient la Torah Orale.
Cependant, en analysant cette source, il apparait qu’il ne s’agit pas de dire que si l’étude venait à s’interrompre un court instant, le monde serait détruit, seulement que le monde mérite d’exister par le Zkhout de ceux qui étudient cette « Torah que l’on est tenu d’étudier jour et nuit » (la suite du Midrash semble même parler d’une étude intensive sur deux mois de l’année seulement, Adar et Eloul).
De plus, il ressort de la gmara Brakhot (35b) (du moins selon R. Yishmael qui y représente l’opinion retenue) que la mitsva obligatoire d’étudier la Torah s’accomplit par un moment d’étude le matin et un autre le soir (même s’il reste une mitsva kiyoumit d’étudier à chaque instant), or cela ne suffit pas à garantir la permanence d’une étude de par le monde.
Comment concevoir que même si toute la planète accomplissait les mitsvot convenablement, dont l’étude de la Torah, le monde serait détruit en raison d’un espace de temps non couvert par l’étude ?
Et si c’était malgré tout le cas, comment se fait-il que nous ne nous organisions pas avec des plages horaires attribuées selon les fuseaux horaires ?
Bref, tout ceci pour dire que je doute un peu de cette assertion, même si je la sais répétée allègrement dans les milieux rabbiniques les plus autorisés.
Il faudrait se pencher sur ce point mais je n’en ai pas le temps actuellement.
