A Ronydenyro :
Vous auriez pu tout aussi bien citer le
Shoul'han Arou'h (even aezer §XXI, 7). qui dit grosso modo la même chose.
Mais il est vrai que sa source est justement ce
Rambam, donc parlons du
Rambam.
Ce
Rambam (Issourei Bia §XXI, 6) est à remettre dans son contexte.
Il ne dit pas qu’il y a un interdit ala’hique dans le
Talmud d’embrasser sa vieille tante, il dit juste que c’est particulièrement honteux (
megouné beyoter) et que c’est
maassé tipshim (= seuls les idiots le font).
Je suppose qu’il en était de même à l’époque du
Rav Yossef Karo puisque nous retrouvons ce din dans le
Shoul’han Arou’h (Even Aezer §XXI, 7) (Le
Tour citera aussi ce din en supprimant l’appréciation «
maassé tipshim »)
Le terme «
issour » utilisé n’est pas à comprendre comme un issour –même simplement miderabanan, c’est seulement une manière de mettre en garde contre une conduite reprochable.
Bien que cette explication m’ait l’air de s’imposer par le bon sens, je citerais tout de même le
Batei Kehouna à titre de renfort car je crains de choquer quelques âmes sensibles en disant que le mot
assour peut vouloir dire autre chose qu’un interdit ala’hique.
Le
Batei Kehouna (II, ‘helek Beth din, §XII, p.17c) (cité par le
Otsar Aposkim §XXI, 51) précise que ce langage utilisé par le
Shoul’han Arou’h (qui lui vient du
Rambam) n’est que «
dere’h az’ara bealma » mais ce n’est pas un issour miderabanan.
S’il faut ou non y voir une ma’hloket entre les
rishonim, c’est une ma’hloket entre les
a'haronim !
En effet, comment le
Rambam va s’arranger avec
Oula qui embrassait ses sœurs ?
D’aucuns expliqueront que le
Rambam pense qu’
Oula a changé d’avis et que la ala’ha est comme cette seconde position
(Maguid Mishné Issourei Bia §XXI, 6) (voir aussi
Shabbat 13a qui dit qu’
Oula se contredit), d’autres diront que seul
Oula qui était un Tsadik pouvait être sûr de ne pas en venir à des irourim
(‘Helkat Me’hokek §XXI, 8) (Baer Etev §XXI, 12) (voir encore le Beth Shmouel §XXI, 14 et le Pit’hei Tshouva §XXI, 5 pour l’opinion du Ran).
Ceci m’a l’air poussé, car nul besoin d’être un grand Tsadik pour s’assurer de l’absence de irourim dans certains cas.
Mais cela dépendra encore des deux versions de la gmara [dans Shabbat (13a) comme dans Avoda Zara (17a)] (Abei ‘hadayou ou bien abei Yadayou) (veday lamevin).
En bref, il est dit clairement dans le
Talmud (Avoda zara 17a et
shabbat 13a) que ce même
Oula qui embrassait ses sœurs, déconseillait de le faire.
Certains comprendront que c’est un changement d’avis et que le conseil de ne pas embrasser sa sœur est tardif.
D’autres diront que pour un tsadik c’est permis.
C’est l’opinion du
Ritva (fin de kidoushin) et du
Tosfot (Avoda Zara 17a et shabbat 13a).
Si le
Rambam pensait comme
Tosfot ou bien comme la première explication, c’est discuté entre les
a’haronim.
[Il y a d’autres explications, comme celle du
Yaabets (Avoda Zara 17a) qui justifie
Oula qui avait été élevé par ses sœurs.
Le
Ein Eliyahou (Avoda Zara 17a ) imagine encore que le conseil d’
Oula (de ne pas embrasser…) ne concerne pas les proches parentes et que la gmara aurait pu répondre ça mais elle ne s’en est pas donné la peine (il se base sur le
Maarsha et aurait pu se baser sur le
Tosfot Shabbat 13a qui dit la même chose que le
Maarsha).]
Néanmoins j’ai une faiblesse pour dire qu’il était en désaccord avec
Tosfot et le
Ritva car dans son
Peroush Amishnayot (Sanhedrin §VII p.122d) le
Rambam dit clairement que c’est un revirement et changement d’avis (et non une permission pour les tsadikim).
Ce qui semble contredire le
‘Helkat Me’hokek de plein fouet.
J’opterais donc pour le
Maguid Mishné en étant persuadé que le
‘Helkat Me’hokek ne m’en voudra pas, puisque lui-même préconisait d’être ‘holek contre le
Shoul’han Arou’h si ce dernier nous semble s’égarer de la conclusion du
Talmud.
Le
Yaabets (Shéilat Yaabets II, §20) ramène au nom de son père -le fameux
‘Ha’ham Tsvi- que le
‘Helkat Me’hokek disait qu’un homme n’a pas le droit d’être décisionnaire tant qu’il ne se sent pas la force de déraciner et d’effacer un séif du
Shoul’han Arou’h.
אין אדם רשאי להורות עד שיהא בכחו לעקור ולמחוק סעיף מן השו"ע
Ici, puisqu’il s’agît d’expliquer le
Rambam, malgré qu’il soit envisageable de penser que ce dernier puisse avoir lui-même changé d’avis depuis la rédaction de son
Peroush Amishnayot (rédigé dans sa jeunesse comme chacun sait, de 23 à 30 ans je crois), j’aurais tendance à plutôt faire confiance au
Rambam qu’au
‘Helkat Me’hokek pour expliquer la pensée du
Rambam.
Conclusion : pour le
Rambam, il ne faut pas embrasser sa sœur même si on est un tsadik (mais le terme issour est à comprendre avec largesse).
La raison pour laquelle je laissais entendre dans mon précédent message qu’il n’est pas si dramatique que cela d’embrasser sa grande tante (et qu’il serait donc permis de serrer une main si on est sûr que le résultat serait identique à celui de serrer la main de –ou embrasser- la grande tante), c’est parce que je comprends du
Rambam que le problème n’est pas de l’ordre d’un issour mais d’une conduite honteuse.
Or, ces choses-là évoluent avec les époques.
Si à l’époque du
Rambam (ou d’autres) il était honteux et ridicule d’embrasser sa sœur et que seuls les idiots le faisaient (megouné beyoter et maassé tipshim), il est certain qu’il ne convenait pas à un juif de le faire.
En d’autres mots, le
Rambam désapprouve clairement cette conduite
CAR c’est la conduite des tipshim et que c’est megouné beyoter.
Mais si nous voyons que ce n’est pas megouné beyoter, le
Rambam n’y serait pas tant opposé.
Pour tenter d’expliquer un peu mieux (car je sens déjà certains bouillir d’indignation devant leur écran), supposons une époque où le « bisou sur la joue » n’existe pas, tout bisou est réciproque et à double sens, comme chez les russes.
Que penseriez-vous de quelqu’un qui embrasse sa sœur, même si l’absence de irour était totalement établie ?
Vous en penseriez que c’est Megouné beyoter et Maassé tipshim, n’est-ce pas ?
Hé bien c’est exactement ce que dit le
Rambam !
Pas qu’il soit nécessaire de supposer qu’à l’époque du
Rambam il n’y avait pas de « bisou sur la joue », on peut encore imaginer qu’un bisou sur la joue était perçu comme notre perception du baiser sur la bouche.
[J’opte plutôt pour cette seconde explication qui aura l’avantage d’éclairer d’autres ala’hot de ce genre qui ne sont pas vraiment appliquées.
Par exemple le
Rambam (Déot §V, 7) qui interdit aussi de discuter avec sa sœur dans la rue… C’est certainement en fonction de (et adapté à) ce qui se faisait à son époque, or parler avec une femme dans la rue ne se faisait pas…]
De nos jours,
en France, embrasser sa sœur n’est ni honteux ni maassé tipshim ni megouné beyoter.
La communauté religieuse continue malgré tout (pour différentes raisons) à s’abstenir de le faire (dans la mesure du possible), mais ce n’est pas comparable à embrasser sa sœur à l’époque du
Rambam et il n’y a pas de quoi en déduire non plus que le
Rambam ne correspondrait pas à l’opinion du
Sha’h (cité dans mon précédent message).
A Yael84 :
Que je cite:
Citation:
Même principe si on va voir un médecin?
Que voulez-vous dire ?
S’il est permis de serrer la main du médecin qui vous la tend?
ou: s’il est permis d’aller chez un médecin homme pour une femme ?
En attendant, voici déjà un peu de lecture :
http://techouvot.com/professions-vt14074.html?highlight=