Le Rabeinou Be’hayei dont vous parlez se trouve dans Shemot (XXVIII, 15) dans la vieille édition de R. Be’hayei classique dont je dispose, c’est daf 181c.
Néanmoins cette segoula qui consiste à porter un rubis sur soi, est plutôt retenue comme une segoula pour une grossesse et un accouchement faciles, mais pas vraiment pour tomber enceinte.
Voir encore Rashi Shabbat (66b d’’h Even Tekouma) qui explique qu’une pierre nommée Even tekouma a des propriétés anti-fausse-couche.
Il la nomme en français « kotana » ou « conten » ou « chontine », difficile à savoir comment lire ce mot.
Même l’origine du mot Tekouma –si ça se lit ainsi (ou Tukama, takoumé…)- est obscure, ça a plutôt l’air d’un prénom japonais que d’une pierre précieuse.
(Kohut dans son Arou’h Ashalem (I, 13, sous l’entrée Even Tekouma) pense que c’est du persan, Toukma, qui signifie selon lui que c’est bon pour la grossesse.)
Le Taz (ora’h ‘haim §303, 24, sk.13) identifie cette pierre sous le nom de Shternschum ( Sternschaum - Mousse d'étoile? Etoile en mousse ? Mousse étoilée ? je ne connais pas cette pierre)
et le Midrash Talpiot (15c) nomme la pierre de Reouven : corniola ce qui veut dire la cornaline en français et non le rubis et lui attribue différentes segoulot.
Le Méiri (shabbat 66b) ne se prononce pas trop sur l'identification de cette pierre, il parle d’une certaine pierre qui, lorsqu’elle ETAIT portée par une femme enceinte, la protégeait contre les fausses-couches.
Du mot « était », il semble que le Méiri n’accorde pas un grand crédit à cette segoula…
Rabeinou ‘Hananel (Shabbat 66a), le Arou’h (ére’h even tekouma), les Tshouvot Agueonim (Guinzei Kédem p.94) (et Otsar Agueonim Shabbat 66b –piroushim- p.27 et 28) parlent aussi d’une « certaine » pierre sans trop de précision, mais, à la différence du Méiri, ils en parlent au présent.
D’autres pensent que cette Even Tekouma est en fait la fameuse aétite ou pierre d’aigle.
Du Ran dans ses ‘hidoushim (sur Shabbat 66b), il semblerait qu’il explique le nom Tekouma comme provenant de la racine hébraïque Kayam, even tekouma signifie selon lui une pierre qui résiste car même en lui tapant dessus au marteau elle ne se brise pas.
Cependant il traduit even tekouma par diamant (et non rubis).
Il est arrivé une fois où j’étais dans l’appartement de mon maître Rabbi Guedalia Nadel lors d’un cours, qu’un physicien qui assistait au cours mentionna la dureté du rubis en lui accordant une certaine position dans la liste des matériaux les plus durs.
Le Rav bondit sur place et affirma son désaccord, soutenant que la position était inexacte.
Le physicien, persuadé qu'il était de son idée sur la dureté du rubis mais négligeant la dureté du Rabbi, réaffirma son opinion.
Le Rav demanda à l’un de nous de lui descendre un livre du haut de son armoire, c’était une sorte de gros dictionnaire scientifique en anglais à la couverture arrachée.
À peine dans ses mains, il feuilleta l’ouvrage avec la vitesse de celui qui sait exactement où trouver ce qu’il cherche et pointa du doigt l’endroit précis où ce livre disait ce que le Rav avait annoncé.
De mémoire, le physicien soutenait que le rubis était le numéro deux (après le diamant) et le Rav plaçait le rubis en [4ème ou] 5ème position (après le diamant et trois autres cailloux).
A ma connaissance, c’est le Rav qui a raison et son livre confirmait de toute façon ses dires.
Je ne me souviens plus tellement des détails car ça fait bien longtemps et ce n’était même pas accessoire au cours, mais il est possible qu’il n’y avait en fait aucune raison de créer une « ma’hloket ».
L’origine du malentendu était peut-être que le physicien le plaçait en deuxième position car le rubis est d’une dureté de 9 sur l'échelle de Mohs alors que le diamant lui, atteint 10, ce qui est aussi le cas des autres pierres qui sont plus dures que le rubis. (10 étant le plafond dans cette mesure.)
Donc le rubis occupe la deuxième position après le diamant et d’autres cailloux ex-aequo.
Tandis que le Rav disait qu’il y a plusieurs pierres (3 ou 4, je ne sais plus) qui sont plus dures que le rubis, il n'est donc pas deuxième.
Bien sûr, je n’aurais jamais osé proposer cette interprétation « réconciliatrice » en présence du Rav devant lequel je ne savais que trembler lorsque je lui parlais.
C’était très risqué de dire une bêtise en sa présence, surtout que j’étais le plus jeune du groupe d’au moins 20 ans (sans tenir compte de son petit-fils), certains des rabanim présents avaient bien 40 ans de plus que moi.
Je gardais donc mon courage pour des sujets plus essentiels.
Il aurait pu me répondre qu’en utilisant l’échelle de Brinell mon explication devient fausse, ou autre argument du genre à me clouer le bec, auquel je n’avais aucune possibilité de répondre.
Etant tellement minuscule dans tous les domaines par rapport à lui, je n’osais guère broncher de peur de l’irriter par ma bêtise.
J’ai néanmoins quelques fois bravé ma honte en vertu du principe « ein abayshan lamed » (dere’h erets zouta §III, Kala §V et voir Avot §II, 5), mais c’était pour les cas indispensables.
Bref, nous ne pouvons pas ajouter à la liste des segoulot pour avoir des enfants celle de porter un rubis sur soi.
Par contre, Rabeinou Be’hayei parle aussi de la poudre de rubis que l’on mélangera à un aliment ou une boisson, qui serait une segoula pour tomber enceinte.
Enfin, dans ses mots : « moïl arbé leérayon ».
Ce qui pourrait simplement signifier que c’est pour avoir une grossesse agréable, mais comme il compare cette segoula aux Doudaïm de Reouven, il semble bien que son intention soit de parler d’une segoula pour avoir des enfants.
Notez aussi que sur le pectoral, la pierre de Reouven se nomme Odem, identifiée comme le rubis (que certains mefarshim nomment rubin [rubis en allemand/yiddish –d’où Rubinstein], ce qui n’est pas sans rappeler Ruben), elle symbolise (par sa couleur) le sang et donc la vie et est écrite en mode ‘hasser qui peut donc aussi se lire Adam, l’humain (ce qui laisse aussi entendre une segoula pour la procréation, tout en rappelant les doudaïm qui avait la forme humaine (voir –entre autres- le ‘Hezkouni sur Bamidbar §II, 2)…).
Rabeinou Be’hayei rattache cette pierre à Reouven pour différentes raisons, soit parce qu’elle symbolise la rigueur, la midat adin (R. Be’hayei Bereshit §IL, 27 et Bereshit XXVIII, 15) ou encore pour rappeler le visage de Reouven rouge de honte après la faute de Bilha (R. Be’hayei Shemot §XXVIII, 15).
Je ne sais pas si cette segoula existe uniquement avec de la poudre de rubis ou aussi avec celle du spinelle et il sera certainement très difficile de l’établir avec assurance.
D’autres mefarshim aussi parlent des pouvoirs « ségouliques » des pierres, voir le Ibn Ezra (Shemot XXVIII, 9).
Le Rashbats mentionne dans son Maguen Avot (II, §1) (page 72 en bas dans la nouvelle édition de 2007, et page 10a dans la précédente et première édition de 1785 quasiment illisible plus de 10 minutes sans pleurer) que Aristote a écrit un livre où il répertorie plus de 400 pierres et leurs particularités et segoulot
(le terme n’étant pas à comprendre dans un sens mystique).
[C’est certainement de ce livre dont parle Rabeinou Be’hayei lorsqu’il écrit (Shemot XXVIII, 15) « j’ai vu dans le livres des pierres qu’a écrit le philosophe… »]
Juste après cela, le Rashbats dénonce l’alchimie comme étant une perte de temps et que tous les transformateurs de métal en or n’ont jamais rien obtenu de réel.
Si de nombreux ‘ha’hamim du Moyen-âge (jusqu’à la Renaissance) ont cru qu’il était possible de changer du métal en or, nous en trouvons aussi qui dénonçaient la futilité de telles expériences.
L’opinion du Ibn Ezra ne m’est pas très claire car de son commentaire sur Bereshit (XXXVI, 39) il semble qu’il considère l’alchimie comme « divrei roua’h », c’est-à-dire du vent, des futilités.
Alors que dans son commentaire sur Shemot (XXXII, 20) il a l’air d’être convaincu qu’il est possible de transformer de l’or en autre chose qui ne serait plus de l’or.
(alors évidemment c’est dans le mauvais sens, d’ailleurs sans cela le Ibn Ezra ne serait pas resté si pauvre toute sa vie alors qu’il s’en plaignait constamment, mais malgré tout, selon la science d’aujourd’hui c’est faux).
Je sais que certains a'haronim ont pensé que le commentaire du Ibn Ezra sur Shemot ne serait pas de lui, mais je pense que c’est faux et que les preuves qui viennent étayer cette théorie ne tiennent pas la route.
Donc je ne pourrais me résoudre à dire que le Ibn Ezra ne croyait pas en l’alchimie et que ce commentaire de Shemot ne serait pas le sien.
(Cependant, voir Rabbi Yaacov Emden dans son Shéilat Yaabets (I, 41) qui comprend que le Ibn Ezra croyait en l’alchimie.)
Rabeinou Be’hayei (pas le même, l’autre, plus ancien, auteur du ‘Hovot Alevavot, rabeinou Be’hayei Ibn Pakouda, pas Ben Asher qui est l’auteur du commentaire sur la Thora et autres sfarim) semble donner crédit à l’alchimie dans sa Pti’ha au Shaar Abita’hon du ‘Hovot Alevavot (p.286 dans l’édition avec Lev Tov de Rav Liberman).
Rabbi Avraham Shalom ‘Haï ‘Hamoy ( je ne sais pas comment se prononce son nom ) dans son livre Niflaïm Maassé’ha (Livourne 1881, page 24b, d’’h Zahav) nous dévoile gratuitement la recette pour créer de l’or (avis aux amateurs !) tout en étant lui-même quelque peu sceptique.
Puis il cite un Yeroushalmi (introuvable, même la référence ne veut rien dire), le rabbi ‘Haim Vital et le Rosh (dont je n’ai pas connaissance) qui attestent pleinement les « pouvoirs » de l’alchimie en parlant d’une famille qui possédait le secret pour changer certaines herbes en or…
En ce qui concerne Rabbi ‘Haim Vital , je ne sais pas s’il est resté sur cette position, car dans le livre Shiv’hei Rabbi ‘Haim Vital (page 56 dans l’édition de 1826 -lifdouteinou) il est écrit au nom de Rabbi ‘Haim Vital que le Arizal lui aurait dit qu’il voit sur son front le verset (Shemot XXXI, 4) La’hshov ma’hshavot laassot bazaav… en allusion aux deux ans et demi durant lesquels Rabbi ‘Haim Vital a fait du bitoul thora en s’occupant d’alchimie…
Rabbi Yehouda Arié de Modène dans son autobiographie ‘Hayei Yehouda (Kiev 1912, page 34) signale que son fils excelle en alchimie après avoir été le disciple du prêtre Joseph Grillo ( !).
Il écrit avoir vendu de l’argent fabriqué par son fils, métal qui a rapporté une bonne somme malgré que le travail nécessaire pour y arriver était de longue haleine, ça valait le coup.
(Voir encore Toldot Rabbi Yehouda Arié Di Modena de Leibowicz (N.Y. 1901, page 14)).
Le Rav Horowitz auteur du Shout Arei Bessamim semblait croire à l’alchimie (voir Drashot Igrot vetoldot, imprimé en 2011 à Jérusalem, page 190 en haut).
Le Yaabets dans son Shéilat Yaabets (I, §41. C’est un siman très long, ça se trouve plutôt vers la fin daf 38a) demande à son correspondant s’il peut le renseigner concernant l’alchimie ; est-ce réellement une science et "existe"-t-elle encore ?
Il semble peu enclin à lui donner crédit, mais se renseigne tout de même.
Par contre Rabbi Yehouda Halévy semble se moquer des alchimistes dans son Kouzari (III, §53 page 63b) (et III, §23 page 33a) même s’il semble parler de la chimie tout court, il est clair que son intention se porte sur l’alchimie.
C’est d’ailleurs ainsi que Even Shmuel l’a traduit (en hébreu) dans son édition du Kouzari (page 121) (bien que pour le Kouzari III, §53, il écrive simplement « la chimie ». Page 138).
Mais même dans l’édition classique, Rabbi Yehouda Muscato précise dans son Kol Yehouda (ad loc.) qu’il s’agît bien de l’alchimie.
De toute façon, à cette époque (et longtemps après encore) alchimie et chimie étaient synonymes.
Ce n’est qu’avec l’apparition de la chimie moderne que la distinction s’est imposée.
Rabbi Guershon ben Shlomo, le père du Ralbag, dans son Shaar Ashamayim (11b) (livre édifiant que j'ai pu lire dans la vielle et inimitable synagogue du 25 rue des rosiers) semble aussi ne pas accorder trop de confiance à ceux qui disent que l’on peut transformer le plomb en argent et l’argent en or (Pb=Ag=Au !) et semble préférer se fier à l’avis d’Aristote qui affirme qu’il est impossible qu’une matière se transforme en une autre en dehors de quelques exceptions (!).
Mais le plomb restera du plomb, même déguisé en argent ou en or.
Sans parler de certains métaux qui étaient pris pour du plomb sans en être réellement, demandez donc à Monsieur Bismuth ce qu’il en sait.
Il est connu que de nombreux juifs, parfois rabbins, parfois kabbalistes, excellaient en alchimie (ce qui causa par la suite du tort aux juifs en général -Auri sacra fames !), d’ailleurs Luther ne manqua pas d’en critiquer (voir entre autres sa biographie écrite par Barginet –Martin Luther - Paris 1839- page 122).
Voir encore Les origines de l’alchimie de Barthelot (-1885- chapitre VI).
(Cependant voir Guershom Scholem, dans De la création du monde jusqu’à Varsovie page 153).
Un des plus anciens alchimistes connus est une femme qui se nomme Marie la juive, il y a de cela plus de 2000 ans, à l’époque du second Temple.
Voir The Jewish Alchemists de Raphael Patai (-1995- page 60).
On lui attribue « l’invention » du bain-marie.
Constatant que je m’égare du sujet (comme souvent !), je m’arrête là.
Dernière édition par Rav Binyamin Wattenberg le Jeu 15 Août 2024, 22:38; édité 1 fois