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Qui prendra la place de Rav Kanievsky maintenant qu'il est niftar ?
Cette question, ainsi que quelques autres, m’ont été posées plusieurs fois, le Shabbat Tsav, suite à l’annonce du décès du Rav ‘Haim Kanievsky Zekher Tsadik Livrakha.
J’ai donc répondu à tout le monde que j’en parlerai au début de mon Shiour du Shabbat matin, c’est ce que j’ai fait.
Les questions qui se rejoignaient étaient globalement celles-ci :
-Qui va diriger (/être Manhig) la génération à présent ?
-Comment va-t-on faire sans lui ?
-Y a-t-il un Rav qui peut le remplacer ?
Et il y a eu aussi des questions plus précises sur des positions particulières et propres à Rav Kanievsky, qu’on me demandait d’expliquer, voire de justifier.
Parmi elles, « l’interdit de la montre », celui du chapeau « non-relevé » et autres bricoles similaires.
Et surtout, ses promesses à des groupes de personnes qu’elles ne seraient pas malades du coronavirus (personnes qui ont été infectées et -pour certaines- qui en sont finalement mortes !).
Pour répondre au premier groupe de questions, j’ai dit simplement qu’il n’y avait pas le feu au lac ; Rav Kanievsky n’était de toute façon pas vraiment aux manettes, du moins pas le seul à y être.
C’est Rav Edelstein qui prenait les grandes décisions (pour le public ‘Harédi concerné) et il continuera à les prendre, on le lui souhaite jusqu’à 120 ans (ou même plus, car il est plus âgé que Rav Kanievsky).
Rav Kanievsky avait un « rôle » différent de celui de Rav Edelstein.
Ce dernier est plus ou moins le « remplaçant » de Rav Steinman (et Rav Elyashiv) qui étai(en)t le(s) remplaçant(s) de Rav Shakh.
Je veux dire qu’ils s’inscrivent dans le même registre.
A la différence de Rav Kanievsky qui avait une tendance plus « Baba » ou « Rabbi ‘Hassidique ».
Rav Kanievsky était un grand distributeur de Brakhot, beaucoup plus que des Rav Shakh ou Rav Edelstein ou Rav Elyashiv etc...
Ces derniers endossaient le costume du « Manhig » et ne donnaient que des directives sur base du bon sens, de la Halakha et de la réalité.
Alors que Rav Kanievsky était dans la lignée des Rabbis ‘Hassidiques et des Baalei Moftim qui ne se restreignent pas uniquement au « Derekh Hatéva », et qui font parfois part de leurs « ressentis personnels » sur la Avodat Hashem.
C’est dans ce dernier « registre » que j’inscris les oppositions de Rav Kanievsky au port de la montre et au chapeau Borsalino classique (comme son opposition aux prénoms non-bibliques, aux Péot derrière les oreilles, etc. et autres notions qui lui sont propres).
Le « peuple » a tendance à prendre cela comme une « Halakha Kvoua», considérer qu’il serait réellement Assour de porter une montre au poignet, ou d’avoir un chapeau comme ci ou comme ça.
C’est à mon sens une erreur de perception.
Il faut prendre ces dires de Rav Kanievsky comme ceux d’un Baba ou d’un Rabbi ‘Hassidique, il ne s’agit pas de Halakha
(même si ça a été formulé dans un langage halakhique), c’est un ressenti personnel qui n’engage que lui et ceux qui veulent bien suivre ces directives.
Sur le plan halakhique, ça ne tient pas la route, des milliers de Poskim le prouvent en n’ayant pas respecté eux-mêmes ces injonctions.
Rav Kanievsky savait bien que son propre beau-père, Rav Elyashiv, portait une montre bracelet, lui ainsi que des milliers d’autres.
Mais c’était un « feeling personnel » selon lequel il ne convenait pas de porter une montre bracelet, même si c’était pratiqué par beaucoup de Tsadikim.
Idem pour le chapeau et les autres « particularités » chères à Rav Kanievsky.
Il avait probablement le sentiment que cela contribuerait, à notre époque, à créer plus de Dveikout.
Le « peuple » [s’attendant à un Rav qui fonctionnerait exactement comme un Rav Shakh et un rav Steinman], s’imagine que c’est un Psak Halakha et qu’on assiste à une Ma’hloket Haposkim, mais il faut comprendre que Rav Kanievsky était d’une autre catégorie de Rabbanim, comme un Baba est d’une autre catégorie que les Rav Shakh et Cie.
C’est ce qui fait qu’il avait parfois des réactions (/prises de position) différentes des Rabbanim de la catégorie « Rav Shakh/Manhig ».
C’est aussi ce qui fait qu’on l’aura entendu assurer que ceux qui voteront pour tel parti (Guimel) ne seront pas touchés par le coronavirus
(alors qu’ils ont été malades par milliers avec de nombreux morts), où que ceux qui soutiendront la yeshiva de Mir n’auront rien à craindre du coronavirus
(alors que c’est justement au gala de Mir que le virus s’est propagé et que plusieurs personnes ont été infectées), etc.
L’erreur est de prendre ses paroles pour des paroles de Manhig classique, pour des engagements « halakhiques ». Alors qu’il ne s’agit que de souhaits pieux, c’est une sorte de Brakha du rav que celui qui vote ceci cela ou qui donne une Tsedaka à telle yeshiva, ne soit pas inquiété par le coronavirus, mais rien ne peut nous garantir que sa Brakha s’accomplira.
Même les plus grands Tsadikim n’ont pas la garantie que leurs Tfilot soient exaucées systématiquement.
Lorsqu’on dit Tsadik Gozer Vehakadosh Baroukh Hou Mekayem (voir
Taanit 23a et Moed Katan 16b) ça ne veut pas dire que ça serait systématique, mais seulement que cela peut arriver (que D.ieu se conforme au souhait émis par le Tsadik).
Même la Brakha d’un prophète n’est pas une garantie ! Même celle d’Eliahou Hanavi ! (voir à ce propos
Sanhedrin 47a).
Il y a toujours eu des Rabbis ‘Hassidiques qui indiquaient de faire (ou ne pas faire) certaines choses de manière assez surprenante et qui n’étaient pas vraiment justifiées/explicables « Al Pi Halakha ».
Leurs adeptes suivaient les directives de leur Rabbi/Baba, mais pas la masse du Tsibour.
L’ambiguïté de notre génération, c’est qu’un Rav peut être mondialement connu grâce à internet, le téléphone, la facilité des voyages (etc.) et nous avons donc un Baba qui aurait des centaines de milliers de ‘hassidim.
Même les grands Babas les plus connus et les plus « médiatisés » n’avaient qu’un cercle d’adeptes proches relativement restreint.
Baba Salei par exemple, tout en étant respecté dans tout Israël, visité par des juifs de tous les milieux et du monde entier, ses directives particulières ne s’adressaient à /ne concernaient qu’un public assez circonscrit, rien à voir avec Rav Kanievsky.
Le Rabbi de Gur avait déjà avant la guerre une très grande ‘Hassidout, mais ses ‘hassidim habitant à distance ne pouvaient pas être au courant dans la minute de chaque demie phrase qu’il prononçait.
On pourrait dire la même chose du dernier Rabbi de Loubavitch dans les années 80.
Ce qui fait de Rav Kanievsky un Baba avec -aux yeux du « peuple »- une casquette de Manhig, alors que Baba Salei n’a jamais endossé ce « rôle » (de cette manière).
Certains en sont perturbés. Comment Rav Kanievsky avait des positions opposées à celles de Rav Edelstein par exemple, pour ensuite, après avoir appris que Rav Edelstein disait l’inverse, se raviser et annuler sa décision en voyant qu’elle n’était pas validée par Rav Edelstein.
Ce malaise leur vient de leur mauvaise analyse de ce qu’était Rav Kanievsky. C’était un Baba.
Historiquement, on ne consultait pas un Baba de la même manière qu’on consultait un Manhig.
Par exemple, on ne consultait pas Baba Salei en tant que Manhig.
Pour cela, c’était le Brisker Rov (puis le Steipler etc.).
Par contre, celui qui avait une souffrance à partager, pour demander des Tfilot et Brakhot, c’était plus chez Baba Salei que chez le Brisker Rov que ça se passait.
Il en va de même avec Rav Kanievsky. Lorsqu’il y a un malade, une souffrance, une angoisse, etc. les gens se dirigeaient plus chez Rav Kanievsky que chez Rav Edelstein ou Rav Shakh. Chacun son rôle. Il y a le Manhig et il y a le Baal Moftim.
Il n’y a pas nécessairement à chaque génération un Baal Mofet de ce style/de cette envergure, mais le concept a toujours existé, on le retrouve déjà dans le Shas, il y avait des rabbanim comme ci et d’autres comme ça (le style Baal Mofet étant toujours en minorité).
Cette différence est soulignée dans
Brakhot (34b) lorsque le fils de R. Yo’hanan ben Zakaï était gravement malade, R. Yo’hanan ben Zakaï a demandé à son élève R. ‘Hanina ben Dossa de prier pour sa guérison, et il a guéri très rapidement.
Là-dessus R. Yo’hanan ben Zakaï dit que s’il avait lui-même fait des prières toute la journée ça n’aurait rien donné.
Alors l’épouse de R. Yo’hanan ben Zakaï lui demande si son élève R. ‘Hanina ben Dossa serait « plus grand » que lui ? et RYBZ lui répond qu’il est lui-même plus grand, mais donc comparable à un « ministre devant le roi »
(qui ne peut pas toujours aller voir le roi à n’importe quel moment), alors que R. ‘Hanina ben Dossa est comme un serviteur devant le roi
(qui a, de manière paradoxale, accès au roi plus facilement).
On retrouve dans le Talmud des éléments plus généraux concernant R. ‘Hanina ben Dossa qui indiquent qu’il était du type « Baal Mofet », voir
Psa’him (112b),
Taanit (24b) et (25a),
Yevamot (121b) et Baba Kama (50a),
Brakhot (33a).
Nous voyons donc que ce n’est pas une notion de niveau supérieur ou inférieur, mais simplement qu’il s’agit d’une autre catégorie de rabbins, des rabbins qui entretiennent un rapport différent (de celui de la plupart des rabbins) avec le monde et avec D.ieu.
C’est important de comprendre que ces deux types de rabbanim existent et qu’il n’y a pas d’offense à dire que Rav Kanievsky n’était pas du type de Rav Edelstein/rav Shakh/etc. (mais plutôt de celui de Baba Salei), ni l'inverse, que Rav Shakh n'était pas du type de Rav Kanievsky/Baba Salei/etc.
Cependant, la grandeur de Rav Kanievsky, je pense que beaucoup de gens passent à côté et ne la voient pas.
Sa grandeur ce n’est pas ses bénédictions ni ses Moftim, mais c’est sa Bekiout et ses Sfarim.
Rav Kanievsky n’était pas (et n’aurait pas été un bon) Rosh Yeshiva, il ne donnait pas de cours
(à part à quelques rares exceptions et une fois par semaine durant l’année de son père).
Le Am Haarets a du mal à comprendre ce que peut être un rabbin s’il ne donne pas de cours, il se demande alors à quoi sert le Rav s’il n’enseigne pas ? Mais rav Kanievsky ne donnait pas de Shiourim. Il étudiait et il écrivait, c’est tout. C’est ainsi qu’il enseignait, via ses écrits et non par des cours. Son père le Steipler avait déjà dit il y a bien longtemps que la force de son fils serait d’écrire des Sfarim et NON d’enseigner à l’oral (cf.
HaSteipler p.121).
Et les Amei Haarets ne réalisent pas à quel point certains Talmidei ‘Hakhamim ont apporté au judaïsme, à la Torah et à leur génération, BEAUCOUP plus par la rédaction de Sfarim que par des cours qu’ils auraient pu dispenser.
(C’est aussi le cas du ‘Hazon Ish, il ne donnait pas de cours, ni dans une Yeshiva, ni dans une synagogue, mais il a écrit son Sefer (‘Hazon Ish) et a apporté à la Torah beaucoup plus que ne l’ont fait de brillants rabbanim orateurs et dispensateurs de Shiourim à tour de bras.)
Une remarque sur l’enterrement (je n'en ai pas parlé au shiour dudit Shabbat puisque l'enterrement n'avait pas encore eu lieu):
La Levaya a donné lieu à un spectacle contradictoire, comme trop souvent lors d’une Levaya d’un Gadol israélien, mêlant Kidoush Hashem et ‘Hilloul Hashem à la fois.
Le Kidoush Hashem de voir plusieurs centaines de milliers de personnes venues de tout Israël rendre hommage à un vieil homme de Bnei Brak
(ça n’arrive pas souvent dans les milieux non-rabbiniques), mais aussi le ‘Hilloul Hashem lorsqu’on voit la pagaille et la désobéissance au cimetière lors de la mise en terre, tous ces jeunes défiant les forces de l’ordre et tentant de s’infiltrer alors que les organisateurs hurlent pour implorer le Tsibour de respecter le Rav défunt et de ne pas mettre les gens en danger par afflux de population.
Que de violence ! que de coups ! que de brutalité ! que de cris ! (et tout ça dans un cimetière -et de surcroit, un cimetière où sont enterrés une floppée de grands Rabbanim… Voir des juifs piétiner leurs Matsevot et sauter d’une tombe à l’autre est absolument terrifiant et un intolérable Zilzoul de ces Tsadikim).
[Les organisateurs ne l’ont peut-être pas assez craint lors des préparatifs ? C’est que le bilan en vies humaines lors de la levaya de Rav Wozner avait, pensait-on, suffisamment marqué les esprits pour espérer qu’avec l’aide des 3000 agents de l’ordre dépêchés sur place, on éviterait les bousculades.]
C’est vraiment lamentable, je ne sais pas ce qu’ils ont dans le crâne pour se comporter ainsi. Alors que peu avant, le Rav Edelstein encourageait dans son Hesped à la lecture de Sifrei Moussar, quel contraste entre le Sefer Moussar et la conduite barbare et irresponsable de ces inconscients !
Le benêt aura tendance à y voir de la ferveur, de la Tsidkout de la part de tous ces jeunes (et moins jeunes) qui tenaient absolument à se rapprocher de la tombe du Tsadik.
Mais il ne faut pas être dupe, c’était surtout une mise en danger de vies humaines et un grand ‘Hilloul Hashem.
Celui qui était réellement motivé par le Kavod du Rav et de la Torah, est resté à distance comme imposé par les organisateurs.
Il y a eu une cinquantaine de blessés parait-il. Mais heureusement pas de morts.
Cette brutalité motivée (officiellement) par un sentiment pieux, était par le passé, l’apanage exclusif de la ‘Hassidout.
[On raconte qu’un Rav lituanien ayant une fois assisté à un Tish ‘Hassidique, fut horrifié en voyant la manière qu’avaient les ‘Hassidim de se « battre » et se bousculer pour attraper des Shiraïm du Rebbe.
Il le fit remarquer au Rabbi en question en qualifiant sévèrement ses adeptes de sauvages ; il dit, en un mot :
‘Hayes ! (=’hayot = ce sont des bêtes sauvages/ des fauves!), et le Rabbi compléta ce qualificatif d’un second mot :
Hakoydesh.
(pour dire qu’il ne s’agit pas de ‘Hayot, de bêtes sauvages, mais de ‘Hayot Hakodesh, des anges !)]
Mais le Tsibour lituanien d'Israël (et plus généralement, le Tsibour religieux d'Israël) a amorcé, depuis plusieurs années, un virage vers la 'Hassidout (sans l'assumer officiellement et donc sans en prendre conscience).
Une remarque générale :
J’ajoute encore que je ne souscris pas à l’exclamation qui revient sans cesse
כל בית ישראל יבכו את השריפה אשר שרף השם , de nos jours appliquée au décès de chaque Rav.
Ce verset a été écrit
(Vayikra X, 6) au sujet des fils de Aharon qui sont morts
jeunes et
brutalement (et précisément par
Sreifa !).
On le retrouve aussi lors du décès prématuré des fils de Rabbi Yishmael dans
Moed Katan (28b).
Mais lorsqu’un Rav décède à 94 ans, ce n’est pas adapté.
B’’H nos Tsadikim ont souvent (pas toujours) une longue vie et s’éteignent nonagénaires voire centenaires.
Rav Ovadia Yossef, Rav Powarsky, Rav Shakh, Rav Elyashiv, Rav Wozner, Rav Steinman, etc. Il faut savoir remercier D.ieu de nous les préserver ainsi.
D'autant que leurs dernières années sont souvent très fécondes -pas s'ils sont malades etc., mais le fait qu'ils aient gagné en notoriété permet de diffuser leur Torah. Si Rav Steinman était mort à 75 ans, très peu de gens
(en dehors de Bnei Brak) auraient entendu parler de lui. C'est une fois que Rav Shakh est décédé qu'il a réellement pris les rênes.
Beaucoup de Tsadikim sont dans ce cas, beaucoup d'autres sont restés terriblement méconnus car décédés trop tôt.
(Je pense souvent au fait que Rabbi Akiva qui a vécu 120 ans, aurait été un illustre inconnu s'il n'avait vécu que 80 ans, car il n'a commencé à enseigner la Torah qu'à l'âge de 80 ans!...)
Il convient donc de prendre conscience de la chance que nous avons lorsqu'un Rav de cette envergure dépasse les 80-90 ans (tout en étant en bonne santé).
Il y a, bien sûr, quel que soit l'âge, de la tristesse lors de tout décès, surtout pour la famille et les proches, mais parler d’une Sreifa au décès de chaque Tsadik, je trouve ça déplacé.
(ce n’est que mon opinion, je sais que je semble être le seul dérangé par cette formulation, je n’impose mon sentiment à personne, je ne fais que le présenter, libre à chacun d’estimer qu’il soit impératif d’utiliser ces termes au décès de tout Tsadik, même centenaire et décédé par Mitat Neshika.)
Peut-être que certains se sont laissés tromper par les mots du
Sefer ‘Harédim (§X, 3) qui cite ce verset lorsqu’il parle de la nécessité de pleurer la perte de tout « Adam Kasher ».
En fait, il ne fait qu’apporter une preuve qu’il y a une notion de pleurer la perte du Juste, mais pas que tout décès soit comparable au décès brutal et prématuré des fils d’Aharon.
Preuve en est, le ‘Harédim cite encore un autre Passouk qui ne mentionne nullement la Sreifa, mais uniquement les pleurs
(Bereshit XXIII, 2) : ויבא אברהם לספוד לשרה ולבכותה.
Dans ce cas, on ne parle pas de Sreifa, ni de catastrophe, car la Tsadeket avait 127 ans
(-et ce, bien qu’elle ne soit pas morte de vieillesse dans son lit, mais à l’annonce de la Akeida…).
C’est donc bien que l’élément qu’il souhaitait apporter était les pleurs sur Adam Kasher (et non l’aspect catastrophique).
Conclusion :
Nous avons perdu un grand homme, mais si nous considérons sa force dans l’écriture de Sfarim, nous l’avions déjà partiellement perdu, en cela qu’il n’arrivait plus à écrire, en raison de son habitude, prise il y a longtemps, qui consistait à répondre à toutes les lettres qu’on lui envoyait.
Des milliers de personnes lui posaient ainsi des questions (parfois stupides) et il s’astreignait à répondre à tout le monde.
Durant ses dernières années, il s’en plaignait et disait clairement que devoir répondre à toutes ces lettres lui prenait le temps nécessaire à la rédaction de nouveaux Sfarim qu’il n’arrivait pas à écrire tant il donnait de son temps pour répondre aux lettres.
Je trouve cela dommage, ses Sfarim sont beaucoup plus intéressants et enrichissants que ces lettres et que ses réponses aux lettres qui sont parfois publiées dans des livres, et l’on peut rester stupéfait du peu d’intérêt que représentent ces échanges épistolaires qui pinaillent parfois sur du vide dans leurs questions et s’évaporent de manière énigmatique dans les réponses dont la concision n’a d’égal que l’aspect insolite et obscur (les réponses en un mot sont assez fréquentes, du type « יתכן » ou « אפשר » ou « צ"ע »…).
Il y avait bien entendu aussi des échanges importants et/ou nécessaires, mais beaucoup se permettaient de gaspiller le temps du Rav afin de posséder un autographe ou se sentir important d’avoir pu échanger par écrit avec Rav Kanievsky.
(Certains venaient aussi lui faire perdre son précieux temps, chez lui à la maison, en lui posant des questions absurdes et ridicules.)
Il en était conscient et c’est pour cela qu’il déplorait la situation, mais je pense qu’il devait avoir du mal à prendre la décision de ne plus répondre aux lettres, risquant ainsi de vexer ceux qui avaient déjà envoyé leurs missives.
Les Amei Haarets qui déplorent la disparition de Rav Kanievsky car ils ne pourront plus faire un saut à Bnei Brak avec leur fils pour aller y prendre une Brakha entre deux plongeons dans leur piscine de Jérusalem et celle de Natanya, ne comprennent pas que l’importance de Rav Kanievsky n’était pas cet aspect, ni ses Moftim
(ces trois derniers mots sont à lire et relire), mais plutôt ses Sfarim et sa Bekiout.
Et ceux qui le comprennent s’égarent malgré tout assez souvent sur la perception de ce qu’est un Talmid ‘Hakham, ils s’imaginent que c’est une sorte de machine, au point de croire tous les Talmidei ‘Hakhamim plus ou moins identiques et « fonctionnant » de la même manière.
Chaque (véritable) Talmid ‘Hakham est différent.
Rav Kanievsky avait un charme très particulier de par sa Bekiout extraordinaire, et je dois avouer y être sensible, j’aime les Talmidei ‘Hakhamim en général et les Talmidei ‘Hakhamim aux vastes connaissances en particulier.
Ce qui reste une perte conséquente pour tous malgré tout aujourd’hui, en plus de ces Sfarim qu’il n’a pas pu écrire et que -hélas- très peu de Rabbanim pourraient produire, c’est la disparition d’un Tsadik.
Car les mérites d’un Tsadik protègent sa génération et Rav Kanievsky était un très grand Matmid, d’une assiduité phénoménale sur des dizaines d’années sans interruption, il révisait chaque année tout le Shas Bavli, Yeroushalmi, Tossefta, Braytot, Tanakh, Rambam, Tour, Shoul’han Aroukh et Nossei Kélim, Midrashim, etc. Il était totalement imbibé de Torah de la tête aux pieds.
Il avait une très grande Bekiout dans les Divrei ‘Hazal, petits Midrashim inclus. Il ne pouvait certes pas se mesurer à
Rav Ovadia Yossef pour la Bekiout dans les Shoutim (responsa), mais
Rav Ovadia Yossef n’avait pas la Bekiout de R. ‘Haim dans les Divrei ‘Hazal et tous ces petits Midrashim.
[Je me souviens qu’au début des années 90 (son père le
Steipler est décédé en 1985) on parlait déjà de
Rav ‘Haim Kanievsky comme d’un des plus grands Bekiim au monde. Aux Etats-Unis il se disait qu’il y avait 3 champions de la Bekiout sur terre:
Rav Ovadia Yossef, Rav ‘Haim Kanievsky et Rav Dovid Kohn (de Flatbush).
Le premier avait une force particulière dans les Shoutim, le second dans les Divrei ‘Hazal/Midrashim, et le troisième dans les Divrei ‘Hazal et aussi dans les sciences !
Rav Kohn a une grande culture générale, associée à une extraordinaire Bekiout.
D’une humilité franche et d’une simplicité déconcertante, c’est un des actuels grands Poskim américains -Ad Méa Veesrim.]
Conclusion de la conclusion :
Nous avons donc perdu ce jour de Shoushan Pourim un précieux Talmid ‘Hakham d’une très grande Bekiout, auteur de plusieurs Sfarim importants
(le titre sur lequel tous s’accordent à lui reconnaitre de l’importance, c’est son Derekh Emouna, mais personnellement j’apprécie grandement aussi plusieurs autres de ses Sfarim), grand Tsadik et « Baal Mofet » dont les prières étaient écoutées comme un Rabbi ‘Hanina Ben Dossa et un Baba Salei.
Il y a largement de quoi pleurer et déplorer cette perte.
Vous me demandez s’il a un remplaçant à ce niveau, je ne le sais pas, mais il est assez évident qu’un Rav identique et équivalent sur tous ces points à la fois, non, il ne doit pas y en avoir, il était unique en son genre.
Par contre pour ce qui est de la Hanhaga
(si votre question portait plus sur cet aspect), oui, il y a ce qu’il faut, B’’H.
תנצב"ה