@ M.O.
Voyant la diversité de vos "pistes éparpillées rapidement et qui demandent plus longues explications" je n'ai pas voulu me pencher sur chaque cas pour le traiter dans les détails, comme il se doit. Je craignais qu'une réponse dans ce genre dégénère en avalanche. J'ai donc préféré me cantonner pour le moment aux grandes lignes ; si nous parvenons à nous y entendre il sera plus facile de traiter ensuite, si vous le désirez, des détails. Ou peut-être même que cela ne sera plus nécessaire…
Vous avez classifié les raisons qui d'après vous justifieraient que l'on fasse évoluer la hala'ha, en deux groupes que vous avez qualifié "les cas d'erreur" et "les cas de changement". Je pense pour ma part qu'il faut diviser les cas de changements en deux catégories distinctes : les situations nouvelles, et les cas où une reconfiguration de la hala'ha est nécessaire.
1) Par "situations nouvelles" j'entends par exemple le cas du Méïri ou de l'Etat d'Israël, où en fait ce n'est pas que hala'ha doive changer en quoi que ce soit, mais tout simplement qu'il nous faille faire face, avec les principes hérités de la hala'ha, à un cas de figure jusque-là inexistant.
C'est également le cas de la mort cérébrale dont nous avions parlé plus haut.
L'astuce dans ces cas c'est de savoir prendre conscience du fait que le problème qui se pose à nous ne se rattache pas aux cas déjà connus et présentés par la hala'ha. Et donc de ne pas "tomber dans le panneau" en l'assimilant à une hala'ha qui ne lui sied pas.
La partie innovante dans l'approche du Méïri par exemple repose en ce qu'il a su clairement fixer que le cas dont il traite est bel et bien d'un cas de figure absent du Talmud, et inassimilable à ceux qui y sont présent. Cette idée n'était pas évidente pour les Tossafot, qui avaient par conséquent grand mal à trouver un sens à nombreuses sentences talmudiques, comme le Méïri lui-même le souligne :
"J'ai souvent répété cette idée, qui nous évite tous les embarras explicatifs dans lesquels les commentateurs et les Tossafot se sont inutilement engagés." (Méïri avoda zara 22a)
On ne peut ici proprement parler de "changement dans la hala'ha". Il s'agit plutôt de la fixation du statut de "nouveaux cas", absents de la hala'ha.
2) Par "cas où une reconfiguration de la hala'ha est nécessaire" je pense aux endroits où constatant l'évolution des réalités, les rabbins ont senti la nécessité de réajuster les sentences hala'hiques en fonction de cette évolution.
Prenons par exemple le cas d'un couple qui n'a pas eu d'enfants. La hala'ha prévoit que, dans cette triste circonstance, après dix années de mariage, le couple divorce, afin de pouvoir donner (au mari) une chance d'accomplir son "obligation d'avoir des enfants", avec quelqu'un d'autre.
Cette hala'ha clairement tranchée, n'est pourtant aujourd'hui plus du tout respectée. Le 'Hazon ish lui-même était dans ce cas, ainsi que d'autres rabbins (je pense notamment au rav Issakhar Méïr récemment décédé). Aucun d'entre eux n'a divorcé.
On raconte que quand on interrogea le 'Hazon ish sur la raison pour laquelle il ne suivait pas ici la "hala'ha", il invoqua les conséquences psychologiques négatives que cette démarche risquait d'avoir sur son épouse.
Les données avaient en effet évolué. Un divorce il y a un ou deux millénaires (était rare mais) n'était pas la fin du monde. Aujourd'hui une personne qui se trouve forcée de divorcer après dix ans de mariage, alors que le couple s'entend bien, risque de sombrer dans un abattement duquel il (ou elle) ne sortira plus.
Alors, de même que la hala'ha nous dicte "d'avoir des enfants", elle nous dicte également "d'aimer notre prochain (et à bien plus forte raison notre conjoint) comme nous même". S'imposer le divorce dans notre cas, en reviendrait à piétiner grossièrement ce dernier précepte.
Il a fallu ici réévaluer la situation. Nos sages en sont arrivés à la conclusion que la réalité ayant changé, la hala'ha change avec.
Mais ce ne sont pas les principes de la hala'ha qui ont changé. L'obligation d'avoir des enfants reste la même. Mais l'évolution des états de fait a introduit de nouveaux éléments dans l'équation, qui ont entrainé que la sentence finale de la hala'ha ait changé dans tel cas précis.
C'est également une évolution au niveau des phénomènes psychiques qui a conduit avec le temps à une réévaluation de la situation et à une reconfiguration de la hala'ha, entrainant au bout du compte à l'interdiction de la polygamie dans le judaïsme. Voir
http://www.techouvot.com/polygamie_et_misogynie-vt13256.html
Ici, bien qu'on ne puisse parler d'évolution des "principes" de la hala'ha, on constate tout de même une évolution des "sentences" hala'hiques.
3) Concernant "les cas d'erreur" dont vous parlez, je pense que le "problème" est double. Premièrement il faut être certain qu'il s'agit bien d'une erreur, et ne pas rebondir dès que quelque chose ne se plie pas gentiment à notre esprit.
Et deuxièmement il faut également être certain que la hala'ha qui nous semble reposer sur cette erreur, ne repose bien que sur elle, et pas sur d'autres raisons.
Les mélanges poisson-viande et poisson-lait, ainsi que les poux ou encore les treifot doivent être analysés chacun séparément à la lumière de ces deux idées. Il est impossible d'assimiler un cas à l'autre. Et il ne faut pas perdre de vue que notre objectif en tant qu'orthodoxes est de ne surtout pas en arriver à transgresser la volonté divine.
On peut donc éventuellement parler ici de "changement dans la hala'ha", mais dans la pratique les cas sont rares.
Le cas du Noda byehouda en est peut être un exemple.
Mais le problème du kazyt dépend à mon avis d'un tout autre diapason, celui de "l'ignorance". Le fait est qu'il est d'une part difficile, voire impossible, de définir définitivement ce qu'est un kazayt (même après avoir renoncé à l'avis du Noda Byehouda), et d'autre part il n'est pas moins difficile de demander aux gens de garder en tête toutes les données nécessaires pour fixer quelle quantité prendre en considération en fonction des situations.
C'est cette "embrouille" qui à mon avis entraine les dérives dont vous parlez.
Pour la petite histoire, je me suis rendu, à la demande d'un rabbin en France, avant Pessa'h de cette année, chez le rav Y.M. Shtern (du Beit horaa de rav Wozner) pour lui demander dans quelle mesure peut-on se fier à l'avis du Min'hat 'hinou'h (Mitsva 313) qui pense que Kédé a'hilat prass se calcule en fonction de l'aliment consommé (et pas d'après pat 'hittin), et donc pour allonger le temps de la consommation de la Matsa le soir du Seder. Sa réponse fut la suivante : "En réalité un kazayt c'est tout petit, on le mange sans problème kédé a'hilat prass, ce que les gens mangent "en plus", quelle importance si cela dépasse le temps ? Il n'est absolument pas nécessaire d'en arriver au Min'hat 'hinou'h."
On voit bien que pour ce rabbin l'avis du Noda byehouda, même pour une Mitsva déorayta, ne pèse pas très lourd, contrairement à ce qu'écrivais le Michna beroura, il y a un peu plus d'un siècle.
4) Mais, lorsque vous demandez à ce que, dans la tracée du Méïri, l'on revoie la place de la femme dans le judaïsme, je vous avoue que je ne vous suis plus. De quoi s'agit-il ?
Vous m'envoyez consulter à ce sujet les post d'Emmanuel Bloch sur votre Blog.
Après lecture je dois vous dire que si je devais rédiger une critique de ce post (http://modernorthodox.over-blog.com/article-etude-des-femmes-ii-la-femme-dans-la-halakha-par-emmanuel-bloch-73241643.html) nous n'en finirions plus, tellement je trouve à redire sur pratiquement tout. Mais comme je l'ai dit au départ, je préfère éviter les "avalanches". Et puis je ne sais pas à quel point une critique de son post "hors-blog" plairait à l'auteur.
Je me contente donc juste de vous demander à quoi pensez-vous donc ? Je ne vois aucun point qui fasse partie d'une des trois catégories suscitées (les situations nouvelles, la reconfiguration, et l'erreur), qui justifierait donc un changement.
Il y a bien dans cet article l'expression d'un sentiment d'infériorité au niveau de la quantité de Mitsvot, et de la prestance sociale (comme pourrait au même titre le manifester n'importe quel juif vis-à-vis du cohen). Mais puisque, comme Emmanuel Bloch l'a souligné avec franchise "dans toutes les familles juives orthodoxes de ma connaissance, la femme participe à toutes les décisions ayant trait à l'éducation des enfants. Et si une femme demande l'approbation de son mari avant de s'engager dans une grosse dépense, l'inverse arrive tout aussi fréquemment (…) je n'ai jamais rencontré de famille dans laquelle la maîtresse de maison n'était pas considérée, dans la conscience familiale partagée, comme une partenaire égale à son mari. Des rabbanim qui m'ont enseigné, j'ai reçu ce message constant: quelle que soit la situation, la femme passe en priorité. Et au-delà des discours, c'est l'exemple vivant que j'ai appris d'eux.", je ne vois donc pas ce qui pourrait justifier un changement au niveau de la hala'ha du type de ceux que nous avons cité plus haut.
Je ne vois pas non plus quelle hala'ha pourrait être visée.
Chavoua Tov