Et enfin, après ces réponses, j’ajoute encore quelques informations concernant la prononciation du Vav :
Rashi dans
Souka (21a) et
Erouvin (47a) écrit (pour expliquer גס בה) un mot
(Privé ?) en rendant le V par la lettre Vav, alors que dans d’autres endroits comme
Kidoushin (33a), Ktouvot (28a) et Guitin (61b) et (81a), il l’écrit avec un Veit.
Il y a encore de nombreuses preuves à partir des Rishonim, et c’est même assez explicite sous la plume de
R. Its’hak (Profiat) Duran (XIVème siècle), dans son
Maassé Ephod (§XXXII -Wien 1865, p.175) où il écrit que les Anciens distinguaient encore entre la prononciation du Vav et du Veit, mais la subtilité de cette distinction s’est perdue.
C’est donc que le Vav ne se prononçait pas Waw (qui n’a plus aucun rapport avec le Veit).
Une preuve, moins convaincante mais intéressante, peut être amenée à partir de l’élégie rédigée par
Rabbi Yehouda Arié de Modène (1571-1648) alors qu’il avait 13 ans (en 1584) en mémoire de son maître
Rabbi Moshé Bassola.
Il s’agit d’un poème (une Kina) qui se lit en hébreu comme en italien (seul le découpage des mots diffère d’une langue à l’autre, mais les syllabes sont les mêmes ! c’est assez insolite), et on y constate que le Vav se prononçait comme un V.
Voir ce texte étonnant dans son
Midbar Yehouda (daf 80b), ou encore à la fin de son
Pi Haarié, ou aussi dans
Kiriat Sefer (III, p.34), ou dans
Rabbi Yehouda Arié Modèna (N.Y. 1901, §3, p.7).
[Il y aussi, dans le rapport du
Vikoua’h de Rabbi Ye’hiel de Paris en version latine, pas les non-juifs, des indications prouvant qu’ils disaient Vav et non Waw.
Voir en fin de
chapitre XVII, soit dans
« La controverse sur le Talmud sous Saint Louis » (Paris 1881) p.41, où, dans la partie latine, les lettres « Lamed et Vav » sont appelées « Lameth et Vahv »
(et non Wahw ou encore Uahu).
Mais je ne suis pas persuadé de la valeur de cette preuve, car il y a aussi un livre,
Liber Bellorum Domini, écrit en latin par
Guillaume de Bourges (XIIème-XIIIème siècle), juif converti au christianisme, où l’on trouve plusieurs versets retranscrits en caractères latins, ce qui nous permet de savoir comment les lettres étaient prononcées à son époque en France.
Le Vav semble être lu Waw. Par exemple
(§XIX) « lamaueth nafso », ou encore
(§XXIII) « miqueue israel » et d’autres exemples.
Mais c’est en réalité parce qu’en latin le V et le U se valaient, on ne distinguait pas trop entre les deux, souvent la forme V était réservée pour les débuts de mots et U pour le reste, c-à-d qu’un U peut aussi bien se lire V.
C’était ainsi en français aussi, jusque dans certains livres imprimés (on trouve aussi des choses ressemblantes entre le I et le J, ou entre le S et le F).
Et pour prouver qu’il n’y a rien à déduire de la retranscription du Vav par un U dans ce livre, il suffit de constater qu’il retranscrit aussi le Veit (Beit Refouya) par un U, voir
(§XXIII) où il écrit « roheu » pour rendre רוכב.]
Mais, comme dit, des preuves de l'époque des Rishonim ne sont pas d'une très grande valeur (pour fixer la prononciation originelle), car on en trouve dans les deux sens.
[Il y a aussi des preuves de l’époque post-talmudique (début Gueonim), par exemple dans les noms des Nekoudot, le Sheva dont la graphie (deux points verticaux souscrits) correspond au Shevaya syriaque, voir
Yad Shadal (Luzzatto) (§V, -éd. Trieste-Cracovie 1895, p.12), laisse entendre que son nom est bien Sheva et non Shewa.
Pourtant, voir encore les lettres de
Shadal dans
Epistolario (Padova 1890, p.666-7) où il est en désaccord avec Rabinovicz sur l’origine du nom du Sheva, justement parce qu’on ne peut pas imaginer passer du Veit au Vav…]
On pourrait apporter des preuves qui semblent indiquer qu’à l’époque des ‘Hazal eux-mêmes, le Vav ressemblait plus à un V qu’à un W (anglais).
Par exemple, voyez
Rashi qui explique la Gmara
Souka (40b) qui utilise le mot אפיקטויזין (généralement lu « Afiktoyzin »), comme étant un Notrikon des mots אפיק טפי זין (Afik Tfei Zin) ce qui indique tout d’abord que la lecture correcte n’est pas Afiktoyzin mais Afiktveizin, et nous en comprenons que le Vav devait plutôt se lire comme un V s’il a pu remplacer un F (Afiktveizin pour Afiktfeizin).
Mais si on le lit comme un W anglais, comment vient-il remplacer le פ du mot טפי ?
Cela veut donc dire que les ‘Hazal prononçaient Vav et non Waw.
Voir encore le
Ramban (Bereshit XXX, 20) qui explique qu’on trouve dans le
Yeroushalmi Kilaïm (V,3) et Yevamot (VII,3) le mot Avir écrit avec un Veit אביר au lieu d’un Vav אויר et que ça revient au même (שאינם מקפידים בכך). Cela tend à dire que le Vav ne se prononçait pas Waw.
Voir aussi la préface de
Marcus Jastrow à son
dictionnaire (8ème page) où il indique que le Vav et le Veit peuvent retranscrire le même mot emprunté d’une langue étrangère, comme pour « Boulevtes » qui s’écrit בולבטס ou בולווטס (voir aussi dans ce
dictionnaire p.146).
Il y a encore dans les
‘Hesronot Hashas sur
Shabbat (116a) deux jeux de mots sur le mot «
evangelium » (évangile) par Rabbi Méir (און גליון) et par Rabbi Yo’hanan (עון גליון), qui indiquent tous deux que la prononciation du Vav était comme un V.
Toutefois, comme expliqué plus haut, à partir d’un mot en latin on ne peut rien prouver [d’autant qu’en ce cas précis, l’origine grecque ancienne était précisément εὐαγγέλιον (euangélion)].
Aussi,
Rabbi Elazar Hakalir (que plusieurs Rishonim considèrent comme un Tana) fait rimer « Lévi » avec « Navi », s’il prononçait Lewi ça n’irait pas (car dans Navi c’est un Veit).
Toutefois, à l’époque des Rishonim, nous avons le
Ibn Ezra (Kohelet V,1) qui le lui reproche justement (ce qui indique que ce dernier distinguait le Vav du Veit).
[En fait de rimes, on pourrait aussi prouver à partir des Hoshanot (mais c’est bien plus tardif que l’époque des ‘Hazal), vers la fin des
Hoshanot de Hoshana Raba (Kol Mevasser Veomer), il y a une rime entre le Vav et le Veit : שם רשעים להאביד, עושה חסד למשיחו לדוד.]
Voyez encore ce que j'ai écrit ici
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=57105#57105 en parlant du
Zohar qui y avait été mentionné.