Citation:
Un passage de Taanit 21b, m'interroge. On voit qu'un certain Aba Umana, aux comportements et midot hors du commun, reçoit quotidiennement des salutations de la Yéchiva du ciel.
La guémara le compare à Abayé qui ne reçoit ce type de salutation qu'une fois par semaine (7 fois moins) et Rava une fois par an (365 fois moins) !
Que veut nous apprendre la guémara ? À première vue, ce texte semble dire que le bon comportement et les bonnes midot sont plus appréciés là haut que l'étude de la Tora ? ...
Pourriez-vous me donner votre avis sur l'application pratique qu'on peut en tirer.
... Faudrait-il travailler ses midot plus qu'on étudie ...
Il faut comprendre ce passage avec « maturité talmudique ».
Je ne pense pas que cela veuille dire que le bon D.ieu (ou une bat Kol/…) venait tous les jours saluer Aba Oumna.
Il faut être réaliste et arrêter d’imaginer que nos ancêtres vivaient au pays des merveilles/Bisounours.
Le
Divrei Shaoul explique que cela veut dire que l’on voyait en Aba Oumna une évolution spirituelle quotidienne.
Certains commentateurs (
Midrash Shlomo p.250 et avant lui
Sefer Hamaftéa’h daf 80b) expliquent quant à eux ce passage en rappelant ce qu’écrit
Rashi dans
Moed Katan (28a) où Rakia prend un sens de « notables /personnes de haut rang ».
Ainsi, lorsqu’on dit que Aba Oumna était quotidiennement salué par Metivta Derakia, il ne faudrait pas comprendre « la yeshiva céleste », mais la Yeshiva des grands hommes, des grands Talmidei ‘Hakhamim.
Yeshiva signifie un regroupement
(là où plusieurs sont assis), il y avait plusieurs Batei Midrash/Yeshivot mais il y avait aussi une yeshiva des plus grands Talmidei ‘Hakhamim
(-les collègues et amis de Abayé et Rava en fait, mais eux avaient des fonctions rabbiniques, Abayé Rosh Yeshiva et Rava Dayan), qu’on a appelé Metivta Derakia, la « yeshiva des hauts ».
La Gmara nous raconte donc que les grands rabbanim de cette époque
(faisant partie de la « grande yeshiva ») saluaient quotidiennement Aba Oumna et lui faisaient ainsi un Kavod auquel Abayé n’avait droit que les vendredis et Rava uniquement les veilles de Yom Kipour.
Pourquoi ? La gmara explique que Aba Oumna qui était médecin
(Ouman/Oumna signifie médecin ou phlébotomiste), prenait soin de veiller scrupuleusement à la Tsniout et disposait d’une blouse spéciale, à l’usage de ses patientes, qui permettait de pratiquer ses soins sans que la femme ait besoin de se découvrir (il y avait des fentes qui pouvait s’ouvrir dans cette blouse et il n’ouvrait que sur un tout petit espace afin de ne pas voir son corps).
Il est aussi raconté que le paiement se faisait librement et discrètement, de façon à ce que celui qui sortirait sans payer n’ait pas honte ; il ne facturait pas ceux qui n’en avaient pas les moyens et lorsqu’un élève de yeshiva venait, il refusait de se faire payer mais au contraire, il lui donnait une somme d’argent en lui recommandant de faire attention à sa santé.
Voici les exploits d’Aba Oumna tels que contés par ladite Gmara.
Les Sages disent
(Kidoushin 82a) de manière générale que «
même un très bon médecin finira au Guéhinom », les commentateurs apportent plusieurs explications, parmi lesquelles nous trouvons comme justification, les attitudes opposées à celles citées concernant Aba Oumna (dans
Taanit 21b) : refuser de soigner le pauvre qui n’a pas les moyens, facturer l’élève de yeshiva ou encore le problème de Hirhourim et Tsniout.
Ainsi, Aba Oumna était à cette époque un des rares
(peut-être le seul ?) médecins valeureux et c’est pourquoi les Rabbanim tenaient à lui marquer leur respect et l’honorer en le gratifiant tous les jours d’un Shalom, d’une part pour l’encourager à persévérer dans cette voie et lui montrer l’importance qu’ils attachent à ses bonnes midot et d’autre part, certainement pour encourager aussi d’autres médecins à être plus généreux et plus respectueux de la pudeur de leurs patientes.
Ces Rabbanim ne trouvaient pas nécessaire d’aller saluer quotidiennement Abayé, mais ils le faisaient tout de même Erev Shabbat, car
(selon le Midrash Shlomo et le Kvod ‘Hakhamim p.127) étant donné qu’Abayé était Rosh Yeshiva, il donnait une drasha chaque shabbat et l’on venait le saluer en veille de shabbat en marque de respect.
C-à-d que les Rabbanim ne marquaient du respect à Abayé de manière concrète, qu’une fois par semaine.
[et lorsqu’il est dit que Abayé ne « pourrait » pas faire ce que fait Aba Oumna, il ne faut pas comprendre qu’il s’agirait d’une incapacité au niveau de la Be’hira (comme l’a compris le
Kour Lazahav -Shershevsky- Vilna 1858, tome 1, daf 90a), mais simplement que Abayé n’était pas médecin et ne travaillait pas avec des femmes -comme l’écrit le
Maharsha (Taanit ad loc).]
Alors que Rava, ne donnant pas de Drasha, était Dayan à Me’hoza.
Un dayan n’était pas vraiment aimé de la population car son rôle le rendait souvent impopulaire
(-au moins pour 50% des jugés).
Mais chaque veille de Yom Kipour, les gens se remettaient en question et comprenaient qu’il ne convient pas d’en vouloir au Dayan qui nous a donné tort et ils venaient saluer Rava.
Cette explication que nous retrouvons dans le
Midrash Shlomo et le
Kvod ‘Hakhamim semble parler des « gens » et pas spécifiquement des rabbanim de la grande yeshiva.
Ceux qui saluent Rava ne seraient pas ceux qui saluent Aba Oumna
(car on imagine que le Dayan avait plus d’ennemis parmi le peuple que parmi les rabbins).
Pourtant, à la lecture de la gmara on comprend qu’il s’agit des mêmes rabbins pour Rava aussi.
Mais bon, on peut s’arranger avec ça.
Et puis il y a d’autres explications pour expliquer pourquoi la grande Yeshiva venait saluer Rava en veille de YK.
Par exemple le
Ben Yehoyada (ad loc) propose de dire qu’étant donné que Rava faisait DEUX jours de Yom Kipour
(car en ‘houts laarets, à Me’hoza en Bavel), ce que peu de gens pouvaient supporter surtout avec le climat difficile d’Irak
(-dixit le Ben Ish ‘Haï qui s’y connaissait 😊 ), les Rabbanim venaient le saluer avant la fête.
D'aucuns expliquent encore la différence entre Abayé et Rava en se basant sur la Gmara
Rosh Hashana (18a) qui dit que Abayé excellait en Torah ET en ‘Hessed, à la différence de Rava qui n’excellait qu’en Torah.
Néanmoins, selon toute vraisemblance, le texte de la Gmara Rosh Hashana comporte une erreur de copie et il s’agit en fait de Raba et non de Rava.
Cette explication perd donc tout son charme.
Concernant notre texte, on peut tirer de cette Gmara plusieurs enseignements de Moussar.
Tout d’abord, il y a ici une grande Tokha’ha envers les médecins, si ce n’est pas toujours d’actualité par rapport aux pauvres
(car avec la sécu/mutuelle/CMU/etc. le problème est parfois réglé), ça l’est terriblement par rapport aux Aveirot liées à la Tsniout.
Et, aujourd’hui encore, un médecin qui prendra sur lui de préserver la Tsniout de ses patientes et d’éviter tout Hirhour et tout contact superflu, sera assurément salué et béni quotidiennement par la Yeshiva céleste et terrestre.
Ensuite, pour les autres, ceux qui ne sont pas médecins, pour en extraire un enseignement supplémentaire, il faut remarquer la suite des trois enseignements dans la Gmara ; après Aba Oumna, on nous parle du geôlier/gardien de prison habillé comme un non-juif et sans Tsitsit pour pouvoir déjouer de mauvais plans et qui veillait à la Tsniout de ses prisonnières. Puis l’histoire des deux comiques qui se voient décerner des entrées au Olam Haba par Eliahou.
Le
Ora’h Yesharim (I, daf 94a) y voit un lien clair : il ne faut pas manquer de respect ni porter de jugement négatif sur une personne en raison de son métier ou de ses habits.
Car nous avons là des exemples de personnes pratiquant des métiers peu recommandables
( אין לך פרנסה בזויה מרופא אשר אמרו רז"ל עליו טוב שברופאים לגיהנם) et étant vêtues comme des non-juifs et pourtant, il s’agissait de Tsadikim.
[Note : si dans l’esprit des gens, clown et geôlier ne sont pas des métiers particulièrement respectables, être médecin est au contraire une fierté.
Pourtant le
Ora’h Yesharim les met dans le même sac.
Car dans l’esprit de la Torah, être médecin est un métier à haut risque et très rares sont ceux qui s’en acquittent sans y laisser des plumes spirituelles.
Voir encore le
Yaabets dans
Le’hem Shamayim (Avot IV, 5 -daf 36b) qui semble critiquer le
Rambam pour sa position de médecin « qui n’est pas un métier ‘clean’ »…]
PS: Je ne prends pas le temps de me relire et vous prie de pardonner les éventuelles mais probables fautes.