Dans le discours que Joseph tient à ses frères, il leur annonce qu’il va se rendre chez Pharaon et qu’il lui dira : « Mes frères et la maison de mon père sont venus à moi (baou èlaï) » (Berèchith 46, 31).
En revanche, lorsqu’il se présentera effectivement devant Pharaon, il lui déclarera : « Mon père et mes frères, avec leur menu et leur gros bétail et tout ce qu’ils possèdent, sont venus du pays de Canaan, et les voici dans le pays de Gochèn » (Berèchith 47, 1), mais sans lui répéter les mots : baou èlaï.
Cette omission, explique Abarbanel, s’explique par la volonté de Joseph d’éviter que Pharaon puisse soupçonner les membres de sa famille d’être venus en Egypte comme « demandeurs d’asile » et pour y chercher leur subsistance aux dépens du trésor royal. Il a insisté au contraire sur le fait qu’ils sont arrivés « avec leur menu et leur gros bétail et tout ce qu’ils possèdent », soulignant ainsi qu’ils étaient riches et n’avaient besoin ni de l’aide de Pharaon ni de la sienne propre.
Cette préoccupation de Joseph se retrouve dans sa façon de présenter la profession de ses frères. Il fait d’eux des ro‘ei tson (« bergers de menu bétail »), ce qui les tient d’emblée à l’écart de la culture égyptienne, selon laquelle une telle activité est une abomination.
Rabbi Naftali Tsewi Yehouda Berlin, dit le « Netsiv », explique dans le Ha-‘èmeq davar que son souci premier a été de préserver sa famille des dangers d’un mélange avec les Egyptiens. En leur faisant garder un profil bas, et en les installant comme bergers en terre de Gochèn, il a évité qu’ils puissent apparaître comme une menace pour le roi d’Egypte.
Il est vrai que, des années plus tard, se dressera un « nouveau roi » qui se méfiera de cet isolement des enfants d’Israël, et qui les réduira en esclavage (Chemoth 1, 8 et suivants). Mais il était indispensable à la génération de Joseph.