Manger halavi dans les 6 heures par inadvertance

Je mange un repas halavi puis je me rend compte que je suis encore bassari.
Puis-je continuer mon repas, ou dois-je attendre que les 6 heures soient passées ?

C’est une bonne question.

Le Daat Kdoshim (Warman) (§89, sk.2 -daf 36d) écrit qu’en cas d’erreur, on peut continuer à manger, surtout si c’est après de la volaille (et non de la viande).

Il indique que la notion de 6h est approximative (ce chiffre ne figure pas dans le Talmud, on parle seulement d’un temps d’attente (équivalent à celui) d’un repas à l’autre). [cf. Rambam (hil. Maakhalot Assourot §IX,28) « כמו שש שעות » et Pri ‘Hadash (§89, sk.6).]

Le Mikdash Meat (ad loc sk.2) souligne quelques aspects étonnants.
Il écrit qu’à partir des A’haronim il semblerait que la notion des 6 heures soit fixe et non malléable, et il ajoute qu’il a des objections au ‘hidoush du Daat Kdoshim concernant le cas de celui qui a oublié et a mangé du lacté avant la fin des 6 heures (s’il peut ou non continuer à manger).

De toute manière, la logique du Daat Kdoshim semble s’accorder avec un oubli proche de la fin des 6h, mais pas pour celui qui aurait oublié avoir mangé de la viande dès ¾ d’heure après son repas.
Dans ce cas, il devra s’arrêter et ne pourra pas poursuivre sa consommation de produits laitiers.

Etrangement, le Kaf Ha’haim (Y’’D §89, sk.8) rapporte cette halakha comme étant établie et ne mentionne pas de désaccords.
Il va même jusqu’à attribuer ce Din au [Daat Kdoshim ainsi qu’au] Mikdash Meat, alors que ce dernier ne semble pas parfaitement en accord avec ce qu’a écrit le Daat Kdoshim.

Rav Fuks (Hakashrout §X,43) considère qu’il est évident qu’il faudra arrêter de manger, et se rincer la bouche, il s’étonne de ce qu’écrit le Kaf ha’haim (op cit) et cite le Rav Halberstam qui lui donne raison pour repousser totalement ce Kaf Ha’haim.


Une autre Halakha se rapproche de celle-ci, c’est dans le cas où, durant les 6 heures, on fait la brakha sur un aliment contenant du lait et, juste après la brakha, on se souvient avoir mangé de la viande. Faut-il goûter pour éviter la brakha vaine, ou non ?
C’est une grande question, voir Shout Levoushei Mordekhaï (Y’’D II, §167 -Budapest 1924, p.119).

Le Darkhei Tshouva (Y’’D §89, sk.21), le Sdei ‘Hemed (V, p.290, §12), ainsi que le Kaf Ha’haim (Y’’D §89, sk.6) citent le Zekhor Leavraham (Elakali) (Y’’D, lettre Beit -Salonique 1818, daf 188b) qui écrit que ça lui est arrivé, après 4 heures d’attente, en hiver, il a fait la brakha sur un bout de fromage qu’il a mis en bouche, puis s’est souvenu avoir mangé de la viande.
Il a considéré préférable d’avaler son fromage, afin d’éviter la Brakha Levatala, étant donné qu’il y a des avis selon lesquels il suffit d’attendre 1 heure, ou se laver simplement la bouche et avoir terminé le repas de viande, et d’autres qui pensent qu’en hiver les 6 heures en deviennent 4 (Pri ‘Hadash), même si ces avis ne sont pas retenus, on en tiendra compte pour éviter la Brakha Levatala.

[Remarque 1 que je laisse entre parenthèses : ce type de Brakha n’est pas comparable à une Brakha totalement Levatala, car lorsqu’il a fait la Brakha il pensait réellement manger. (C’est donc plus proche d’une Brakha Shéeinaa Tsrikha.)

Remarque 2 : comme il avait déjà son bout de fromage en bouche lorsqu’il s’en est souvenu, il est logique qu’il aurait pu se contenter de moins, il faudrait donc avaler une infime quantité, voire simplement le goût avec de la salive, et recracher le reste.
A priori rien ne l’autorise à manger tout son bout de fromage.
Mais bon, on ne va pas en faire un fromage, il n’y a pas de quoi chipoter sur ce qui s’avale en une bouchée.

Remarque 3 : le Rav Elakali est sympa, il ne parle pas d’un cas théorique, mais nous dit que ça lui est arrivé personnellement.
Généralement les Poskim nous disent plutôt qu’on leur a présenté un cas d’erreur pour leur demander qu’aurait-il fallu faire.
Par exemple lorsqu’il s’agit de questions à propos de celui qui s’est trompé dans les mentions spéciales dans la Tfila (Yaalé Veyavo, Morid Hatal et autres), c’est rarement l’auteur du Sefer qui s’est trompé, c’est toujours un autre qui lui pose la question.
Je suppose que ça a pu arriver aux auteurs eux-mêmes mais qu’ils se disent qu’il faut donner le bon exemple et ne pas ternir l’image du Rav, sans quoi le Tsibour pourrait se relâcher dans ses efforts pour éviter les erreurs.
D’un autre côté, ça nous donne le sentiment que les Rabanim sont des machines qui ne connaissent pas la faiblesse ni l’erreur, c’est décourageant parfois. Par contre, là, le Zekhor Leavraham nous avoue s’être lui-même trompé. C’est rassurant pour nous 😊.]

Rav Sternbuch (Tshouvot Vehanhagot II, §389) parle d’un cas où l’on fait la Brakha sur un verre de thé au lait (il est anglais…) et l’on se rend compte qu’on est dans les 6 heures.
Il écrit que, pour un Ashkenaze, le Ikar Hadin c’est d’attendre 1 heure (comme l’écrit le Rama Y’’D §89,1) et ce n’est qu’une ‘Houmra qu’on a prise sur nous, d’être Ma’hmir comme le Rif et le Rambam, d’attendre 6 heures.
Par conséquent, nous ne l’avons prise sur nous qu’en tant que ‘Houmra, mais lorsque cela se transforme en Koula (Brakha Levatala), on reviendra au Ikar Hadin.
Ainsi, si 1 heure est passée et qu’on s’est rincé la bouche (et si on ne s’est pas encore rincé la bouche, on pourra le faire entre la Brakha et la boisson, et ce n’est pas un Hefsek car c’est nécessaire à la consommation/boisson), on pourra boire un peu de ce thé au lait.
[Il ne propose pas de boire de cette eau avec laquelle il propose de se rincer la bouche, car cela n’arrangerait pas le souci de brakha levatala, étant donné que la Brakha a été prononcée sur le thé.]


Contrairement au Rav Sternbuch, le Zekhor Leavraham (op cit), tout en étant Sfarade, considérait qu’il pouvait lui aussi déroger à la règle du Rambam afin d’éviter le problème de la Brakha.

Le Sdei ‘Hemed (V, p.290, §12), lui aussi Sfarade, explique la position du Zekhor Leavraham en disant que si aucun avis ne permet de manger le fromage (par exemple juste après avoir mangé la viande, sans avoir attendu 1 heure ni fait Birkat Hamazon), on ne devra pas l’avaler. Mais tant qu’il y a des avis qui autorisent (comme dans le cas du Rav Elakali où c’était 4 heures après…), on évitera la Brakha Levatala.

Voir aussi Yabia Omer (II, Y’’D §5) et Ye’havé Daat (IV,§41) qui pense qu’on en goûtera le minimum afin de valider la Brakha, mais pas plus.
C’est aussi ce qui ressort du Guinzei Yossef (Schwartz) (§90,2, daf 91b) pour qui on goûtera un peu pour justifier la Brakha mais il sera interdit de continuer à manger l’aliment lacté.
Par contre, il semble penser qu’il soit préférable de goûter un peu, même si on est dans la première heure (-sauf dans le cas où l’on aurait encore un peu de viande dans la bouche).
Voir encore Shout Shevet Halévy (IV,§20).

[Etrangement, le Beèr Moshé (IV, §24) semble autoriser de consommer jusqu’à un Kazayit (ou de boire un Reviit) afin de valider la Brakha rishona et permettre la Brakha A’harona !]


De tous ces Poskim qui parlent de « goûter » un tout petit peu afin d’éviter la Brakha vaine, nous comprenons qu’ils ne partagent pas l’avis du Daat Kdoshim rapporté par le Kaf Ha’haim autorisant à continuer son repas.


Je suis en voyage, sans Yishouv Hadaat et sans Sfarim, mais a priori je dirais pour conclure, dans votre cas, en dépit du Daat Kdoshim et du Kaf Ha’haim, il n’est pas autorisé de continuer à manger, surtout pour un Sfarade, à moins d’être vraiment proche de la fin des 6 heures.