Vous semblez croire que le seul rabbin qualifié de saint dans nos sources serait Rabbi Yehouda Hanassi et vous demandez donc si on peut qualifier de nos jours un rabbin de la sorte, même si cela serait à un degré inférieur.
Il faut tout d’abord souligner que Rabbi Yehouda Hanassi n’est pas le seul à être qualifié de « saint », il y en avait avant lui, depuis l’époque des prophètes -par exemple Elisha (Melakhim II, IV, 9 et Brakhot 10b et cf. Moré Nevoukhim III, §8) ou Aharon (Tehilim CVI, 16 et voir Midrash Shemot Raba 38, 8), jusqu’à celle des Tanaïm précédant Rabbi Yehouda Hanassi : on appelle R. Yossi ben Hameshoulam et R. Shimon ben Menassia « la sainte assemblée » (Eda Kdosha) (Yeroushalmi Maasser Shéni II, 4) [et c’est même Rabbi Yehouda Hanassi en personne qui les appelle ainsi dans le Midrash (Kohelet Raba IX, 9)], ou « Kahala Kadisha Dibeyeroushalayim » (Betsa 14b et 27a, Rosh Hashana 19b, Yoma 69a, Tamid 27b, Brakhot 9b).
Il y a aussi R. Mena’hem Ben Simaei qu’on appelle « Bnan Shel Kdoshim » (Avoda Zara 50a) (Psa’him 104a).
Et puis tout Nazir se voit décerné ce titre par la Torah elle-même (Bemidbar VI, 5).
La sainteté est donc attribuée, même chez les juifs, à d’autres rabbins que Rabbi Yehouda Hanassi, vous remarquerez aussi qu’à son décès, on a déploré la disparition de la Anava et de la Yirat ‘Het (Sotah 49a), mais pas celle de la Kdousha, ce qui indique que d’autres rabbins (même parmi les plus jeunes) pouvaient prétendre à cette caractéristique.
Tout ceci constitue un étonnement sur ce qui est écrit dans les Toldot Rabénou Hakadosh imprimées en début de Shas Mishna (daf 12a) qui écrit qu’aucun autre rabbin du Talmud n’est qualifié de saint.
[Cette biographie de Rabbi est tirée d’un livre, Beit Rabbi, dont l’auteur est -il me semble- R. Moshé Konitz (l’auteur du Ben Yo’haï qui vient défendre le Zohar des attaques du Yaabets). C’est peut-être pour cela qu’elle a été censurée par le nouveau Shas Mishna Zekher ‘Hanokh. Et c’est dommage.]
Quant à savoir si « de nos jours » encore on peut imaginer qu’il y ait une personne apte à cette définition, j’ose espérer que oui car nous le proclamons quotidiennement, au moins trois fois par jour, dans la Amida : Oukedoshim bekhol Yom Yehaleloukha Sélah
וקדושים בכל יום יהללוך סלה
C’est donc qu’il y a des Kedoshim de nos jours aussi -CQFD.
Vous devez savoir aussi que certains rabbins sont généralement appelés « hakadosh » bien qu’ils soient tardifs, comme le Or Ha’haim Hakadosh et le Shla Hakadosh.
Mais il m’est avis que cet adjectif ne se rapporte pas au Rav, seulement à son ouvrage.
C’est le livre qu’on qualifie de saint, à l’instar d’un troisième livre : le Zohar Hakadosh.
Par contre on dit aussi Hayehoudi Hakadosh (=R. Yaakov Its’hak Rabinovicz) (et là c’est sur l’homme et non sur un livre), le Ari Hakadosh (Arizal), et pareil pour quelques Rabbis ‘hassidiques.
Et chez les sfaradim, Rabbi Yaakov Abi’hsera (/Abou’hatsira) est surnommé dans un Piyout très marocain ( אערוך מהלל ניבי) « le saint » (Likhvod Hakadosh Ribi).
Idem pour Rashbi dans le Piyut Vamartem Ko Le’haï.
Certains disent « Habaal Shem Tov hakadosh », mais ce n’est pas l’usage, si ce n’est chez une minorité qu’on pourrait ranger avec les quelques insolites étudiants disant « Rashi Hakadosh », « Ramban Hakadosh », etc.
Une dose de naïveté mixée avec une pincée de bigoterie pousse certains à attribuer systématiquement le titre de kadosh à tout rabbin respectable, mais il n’est pas bon de déroger des habitudes de nos ancêtres.
Que Rashi fût Kadosh, je n’en doute pas, mais il n’est pas nécessaire pour autant de s’interdire de le mentionner sans l’affubler de cette épithète.
Si Reb Boroukh Ber Leibovicz (hakadosh !) se l’imposait, il reste en cela marginal et moins que minoritaire parmi les Tsadikim.
Toutefois, il semble évident qu’il y ait différents niveaux de sainteté et que les « saints » dont nous parlons dans la Amida ne sauraient tous se mesurer à Rabbi Yehouda Hanassi ou au prophète Elisha.
La raison pour laquelle Rabbi (=Rabbi Yehouda Hanassi) est appelé « saint » est expliquée dans la gmara Shabbat (118a) et dans le Yeroushalmi Sanhedrin (X, 5) [voir aussi Yeroushalmi Avoda Zara (III, 1) et Meguila (I, 11)] et c’est une raison similaire que nous trouvons au sujet d’Elisha (Yeroushalmi Yevamot II, 4 et Moré Nevoukhim III, §8) : l’éloignement des Arayot.
(et voir Rashi Vayikra XIX, 2 pour le lien entre les deux notions et Midrash Vayikra Raba XXIV, 6. Voir aussi Dvarim XXIII, 15).
Ça n’est pas le seul point amenant au titre de Kadosh, puisque d’autres sont appelés Kedoshim pour d’autres raisons comme R. Mena’hem ben Simaei pour son rapport à l’argent (Avoda Zara 50a) et R. Yossi ben Hameshoulam et R. Shimon ben Menassia pour leur emploi du temps (Kohelet Raba IX, 9) (c’est peut-être aussi un rapport à l’argent qui y est pointé).
Rabbi Elazar dit dans Taanit (11a) que celui qui s’impose un jeûne est appelé Kadosh.
C’est encore une fois un rapport distant avec la Gashmiout qui est souligné et Rava présente une idée comparable dans Yevamot (20a) קדש עצמך במותר לך.
Je souligne aussi au passage que Rabénou Avraham ben Harambam écrit dans son Maamar Al Hadrashot (éd. Margulies, p.88) que Rabbi est appelé Kadosh car il savait reconnaitre ses erreurs et changer d’avis lorsqu’il s’était trompé.
[Ce qui ne semble pas correspondre à ce que dit la Gmara (à moins d’en tordre les mots et le sens, et « Milah » prendrait le sens de « mot »…).]
Il y a aussi dans le Toldot Tanaïm Veamoraïm (II, p.575) une justification de cette appellation par l’ascendance prestigieuse de Rabbi qui faisait de lui un « Kadosh Miré’hem ».
Une autre explication au surnom de Kadosh de Rabbi, se trouve dans Toldot Rabénou Hakadosh (op cit) au nom du Yeroushalmi qui dirait que c’est parce que son père l’a circoncis en dépit de l’interdit promulgué par les romains. (cf. Tosfot Avoda Zara 10b s.v. Amar)
De plus, nous appelons kadosh toute personne tuée Al Kidoush Hashem, ou pour son appartenance au judaïsme (ce qui élève le nombre de Kedoshim à des millions malheureusement) et Abayé (Yevamot 20a) va jusqu’à décerner cette appellation à toute personne qui accomplit les paroles des ‘Hakhamim.
Bref, l’appellation Kadosh (-à la différence du bordeaux) n’est pas une appellation contrôlée, mais elle est tout de même distribuée avec parcimonie.
Vue l'heure tardive, je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes, merci.