Citation:
J'ai une question concernant le courant sioniste qui se base sur des maamaré hazal (que je ne saurais cité par manque de connaissances, désolé).
Est il vrai qu'il y a un Rachi qui dit que toute notre avoda en houts laarets n'est qu'une préparation? Si oui, comment s'arranger avec ces différentes sources qui "tuent" notre avoda?
Ce n’est pas exact.
Le
Rashi dont vous parlez des trouve dans
Dvarim (11,18). Il dit ceci :
Même après votre départ en exil, soyez distingués par les Mitsvot, mettez les Tfilines, faites des Mezouzot, afin que (ces Mitsvot) ne soient pas nouvelles pour vous lorsque vous reviendrez (en Israël).
אף לאחר שתגלו היו מצוינים במצוות, הניחו תפילין, עשו מזוזות, כדי שלא יהיו לכם חדשים כשתחזרו
Ce texte cité par
Rashi est en réalité un texte du
Sifrei (Ekev §7).
Le
Ramban (Vayikra 18,25) le mentionne, dans le cadre de sa Shita très particulière selon laquelle la raison d’être essentielle des Mitsvot est de s’accomplir en Erets Israel.
Le
Ramban est connu pour son opinion qui maintient la Mitsva min hatorah de Yishouv Erets Israel même de nos jours.
Mais lui-même
(le Ramban) se considère en Ma’hloket avec
Rashi sur ce point ;
Le verset
(Bamidbar 33,53) dit והורשתם את הארץ וישבתם בה
(Vous conquerrez ainsi le pays et vous vous y établirez),
Rashi (ad loc) (à l’instar d’
Onkelos) le comprend comme une promesse et non comme un précepte, «
vous conquerrez » dans le sens de «
vous allez conquérir ».
Le
Ramban (Bamidbar 33,53) en déduit que
Rashi considère qu’il n’y a pas de Mitsva de Yishouv Erets Israel
(on pourrait aussi le comprendre de Rashi Brakhot 57a), et s’y oppose.
C’est pourquoi il interprétera le verset dans le sens d’une injonction, c’est un précepte, une Mitsva.
Le
Or Ha’haïm et le
Mizra’hi (ad loc) préfèrent la lecture de
Rashi (et
Onkelos) à celle du
Ramban.
Il y a de longues discussions concernant l’opinion du
Rambam (Maïmonide) sur la question, ce dernier omettant la Mitsva de Yishouv Erets Israel de son code, nombreux sont ceux qui en comprennent qu’il se positionnerait comme
Rashi et non comme le
Ramban.
D’ailleurs, le
Ramban le souligne dans ses remarques/ critiques, les
Hassagot sur le Sefer Hamitsvot du Rambam, lui reprochant d’omettre cette Mitsva qui s’applique
(selon Ramban) de nos jours aussi.
Quoi qu’il en soit, pour le
Ramban, il y a, de nos jours aussi, une Mitsva min hatorah de Yishouv E.I. et, comme on l’a dit, il mentionne ce texte du
Sifrei pour montrer à quel point cette Mitsva serait essentielle.
Il convient de remarquer que le même
Rashi qui considère qu’il n’y a pas de Mitsva de Yishouv E.I.
(du moins selon le Ramban), cite quand même ce texte du
Sifrei.
Il y a effectivement des gens irresponsables et qui comprennent mal la Torah, qui se plaisent à raconter que les Mistvot ne s’appliquent qu’en Israël et que tant que vous êtes en ‘Houts Laarets, les Mitsvot n’existeraient qu’à titre d’entrainement et seraient donc un peu facultatives.
C’est une erreur.
Même le
Ramban qui interprète le
Sifrei dans ce sens (celui de l’entrainement) ne considèrerait pas pour autant que cela puisse amoindrir un tant soit peu le caractère obligatoire des Mistvot en dehors d’Israël.
Le
Maharal le souligne dans
Gour Arié (Dvarim 11,18).
Si l’on imaginait être « non-concernés » par les Mitsvot en étant en ‘Houts Laarets, il en résulterait que le Mitsva de faire la Aliya
(tant soulignée par le Ramban) n’existerait pas, puisqu’en étant en ‘Houts Laarets nous ne serions pas vraiment tenu de respecter les Mitsvot.
L’idée du
Ramban est donc autre.
En parlant d’entrainement (‘Hinoukh) ce qu’il veut dire est que l’accomplissement optimal doit se faire en Israël, mais ça reste un véritable accomplissement des Mitsvot même en ‘Houts Laarets.
Plusieurs auteurs s’opposent au
Ramban en soulignant que les Tfilines
(dont il parle, Tfilines et Mezouzot) sont des Mitsvot liées au corps
(‘Hovat Hagouf), et par conséquent indépendantes de la géographie.
C’est ce que l’on voit dans la Gmara
Kidoushin (37b) qui nous dit que la Mitsva des Tfilines concerne aussi ‘houts laarets. [et voir
Rashi Kidoushin (37a sv. Venohaguin) et
Tosfot (ad loc. sv. Harei), et voir encore
Pnei Yehoshoua (ad loc.) qui propose une autre source à partir de
Bekhorot (4a) -il a été devancé sans le savoir par le
Raavad, rapporté par le fils du
Ritva cité par le
Torah Shleima (III, 12, p.247)].
Voir aussi, de manière plus explicite, le
Yeroushalmi Kidoushin (§1,8).
Mais il me semble évident que le
Ramban n’a jamais eu l’intention de dire que la qualité de « Mitsva » puisse pâtir de la présence de la personne en ‘Houts Laarets, c’est uniquement la « qualité de la Mitsva » qui varierait en fonction du pays, c-à-d sur un plan philosophique, pas sur un plan pratique.
[Le
Ramban lui-même, dans
Kidoushin (daf 37) cite le
Yeroushalmi (op cit) pour justifier le ‘Hiyouv Tfilin en ‘houts laarets.
Et même si certains ont compris de ses mots
(Ramban Vayikra 18,25) que l’obligation ne serait que Miderabanan en ‘houts laarets, c’est une erreur, et son intention est clairement comme ce que j’ai écrit, comme on le voit aussi dans son commentaire de la Torah plus loin
(Ramban Dvarim 11,18).]
De la même manière qu’on pourrait dire qu’entre deux personnes qui mettent les Tfilines, l’une d’elles en sachant ce qui est écrit à l’intérieur des Tfilines et en en connaissant les Halakhot, alors que l’autre ignorerait tout ça, que leur Mitsva n’a pas la même valeur, bien qu’il s’agisse d’un ‘Hiyouv du même niveau.
De nombreux A’haronim, choqués par les propos du
Sifrei qui relèguerait l’accomplissement de Tfilines et Mezouza en ‘Houts Laarets au simple statut d’entrainement, ont proposé une interprétation nouvelle dans cette phrase emblématique du sionisme religieux.
Ils disent que le texte portait :
אף לאחר שתגלו היו מצוינים במצוות, ה"ת ע"מ, כדי שלא יהיו לכם חדשים כשתחזרו
Et ces Rashei Teivot ה"ת ע"מ auraient donné הניחו תפילין, עשו מזוזות alors qu’en réalité cela voulait dire הפרישו תרומות, עשרו מעשרות (prélevez la Trouma et le Maasser), c-à-d que le
Sifrei nous dit de continuer la Mitsva des prélèvements même en dehors d’Israël, pour ne pas que ces Mitsvot se perdent durant la Galout.
Il ne s’agirait donc que de ces Mitsvot liées à la terre qui auraient valeur d’entrainement…
C’est ce qui est rapporté au nom du
Gaon de Vilna par
Rav Moshé Ginzburg (Zikaron Bassefer, Kountras Taout Haolam, p.5 §42). On retrouve cette explication aussi dans
Tel Talpiot (1895 IV, p.104).
Le texte même du
Sifrei ne comporte pas cette précision sur les Mitsvot, il ne parle ni de Tfilines et Mezouza ni de Troumot et Maasrot, il dit :
אע"פ שאני מגלה אתכם מן הארץ לח"ל, היו מצויינים במצות שכשאתם חוזרים לא יהיו לכם חדשים
Le
Netsiv dans son commentaire sur le
Sifrei (Emek Hanetsiv, III, p.69) écrit que cela se rapporte même sur ce dont on est théoriquement dispensé en ‘Houts Laarets, comme les Troumot et Maasrot, puis il indique que
Rashi et
Ramban citent ce texte en mentionnant les exemples de Tfilines et Mezouzot (הניחו תפילין, עשו מזוזות), ce qui m’avait fait penser, à l’époque, en lisant ce
Netsiv, qu’il était possible que la source qui mentionnait תפילין ומזוזה était peut-être rédigée (dans la version d’origine de
Rashi et
Ramban) en Rashei Teivot sous cette forme : תו"מ qui aurait été interprétée (par un des copistes) תפילין ומזוזה , alors que ça voulait dire תרומות ומעשרות.
Puis j’ai lu ce qu’écrit le
Rav Ginzburg au nom du
Gaon, qui reprend les termes mêmes qui sont mentionnés dans
Rashi et
Ramban (הניחו תפילין, עשו מזוזות) pour proposer une autre erreur d’interprétation des Rashei Teivot qui voulaient dire הפרישו תרומות, עשרו מעשרות.
J’ai ensuite vu que j’avais été devancé pour ma proposition (תו"מ) par le
Haktav Vehakabala (Dvarim 11,18), ainsi que par l’excellent
Reb Dovid Kohn dans son livre
Avraham Yaguel Its’hak Yeranen (p.98) et dans son livre
Héakov Lemishor (p.14).
Le regretté
Rav Moshé Tsuriel-Weiss, dans ses annotations sur le
Haktav Vehakabala (II, p.1123) indique que d’autres Sfarim ont proposé cette lecture (תו"מ), et certains l’ont fait au nom du
Gaon de Vilna (alors que Rav Ginzburg rapporte en son nom l’autre proposition).
Je crois me souvenir aussi de la même chose dans le
Mekor Baroukh (mais je ne me souviens plus de la page).
Dans mon Shiour sur ce sujet, j’avais proposé une nouvelle compréhension du
Sifrei, même si l’on s’en tient à la version de
Rashi et
Ramban telle qu’elle nous est parvenue
(c-à-d en parlant de Tfilines et Mezouza). Quand il est dit
אף לאחר שתגלו היו מצוינים במצוות, הניחו תפילין, עשו מזוזות, כדי שלא יהיו לכם חדשים כשתחזרו
l’expression « היו מצוינים במצוות » ne signifie pas « soyez distingués par les Mitsvot » dans le sens de « accomplissez » les Mitsvot
(pour qu’elles ne soient pas nouvelles lorsque vous reviendrez en Israël…), mais cela veut dire accomplissez les Mitsvot de manière à vous distinguer.
Cela vient exclure par exemple de placer sa Mezouza à l’intérieur de l’appartement pour ne pas paraître différent des non-juifs
(je ne parle pas des cas où il y a un danger, mais de ceux qui placent la mezouza à l’intérieur même lorsque tout va bien, dans les pays où tout va bien). Car, dans un souci de discrétion, on pourrait être amené à accomplir les Mitsvot de manière déformée et ainsi, au bout de la Galout, en revenant en Israël, on ne se souviendrait même plus que la place de la Mezouza est à l’extérieur.
(Idem pour la Menorah de ‘Hanouka qui s’allume souvent à l’intérieur en ‘Houts Laarets et ça a été validé par les Poskim, mais il ne faut pas oublier la Halakha d’origine.)
Idem pour toutes les Mitsvot qui ne doivent pas pâtir de notre situation d’exilés TANT QUE CE N’EST PAS NECESSAIRE.
Je veux dire par-là qu’il est important de respecter le pays dans lequel on se trouve et qu’il n’est pas question de chercher à se distinguer des non-juifs AUX YEUX DES NON-JUIFS. L’idée de se distinguer est dite par rapport aux juifs, mais on ne nous demande pas de faire RESSENTIR aux non-juifs que nous sommes différents.
C’est une nécessité (absolue) pour NOUS de le ressentir, mais il n’est aucunement nécessaire de s’investir dans une démarche de publicité extravagante de nos différences, enfreignant en cela le devoir basique de respect et de discrétion dans l’espace public.
Nous nous devons de respecter le pays dans lequel nous sommes
(-non, ça ne veut pas dire qu’il est autorisé d’écrire le shabbat lorsqu’un examen tombe samedi), il faut veiller à ne pas porter atteinte à la culture locale par des manifestations trop vigoureuses de nos coutumes.
Il y aura donc parfois quelques « plus » facultatifs dans la Halakha qu’on ne devra pas mettre en pratique si cela contrevient à l’esprit de respect de la société dans laquelle on se trouve.
Il est difficile d’établir une liste des pratiques licites et illicites, mais pour citer au moins un exemple
(pas forcément représentatif de l’étendue des incidences) je dirais qu’il ne convient pas, en allant à la synagogue le matin, de se promener dans les rues de Paris avec ses Talit et Tfilines portés sur soi, comme on le voit souvent en Israël.
Cette explication de היו מצוינים במצוות permet d’accepter la version de
Rashi telle qu’elle est, et d’exclure malgré tout la compréhension erronée qui effrayait les A’haronim
(comme le Gaon de Vilna et les autres) et qu’affectionnent certains sionistes sans Yirat Shamayim, selon laquelle les Mitsvot en ‘Houts Laarets ne seraient qu’un jeu.
Le
Sifrei ne viendrait pas dire que les Mitsvot seraient facultatives en France, mais qu’il ne faut pas « s’affaiblir » dans leur accomplissement dans une volonté de se fondre dans la masse, le juif doit veiller à préserver sa particularité.
On pourrait contrer cette lecture erronée en citant le
Yalkout Shimoni (Yeshaya §443) où l’on peut lire l’argument suivant :
כיון שהגלתני בין האומות בדין הוא שלא אשמור שבת ואקיים המצות שלך
Or, s’il fallait comprendre du
Sifrei que l’obligation des Mitsvot ne s’appliquait pas vraiment en ‘Houts Laarets, cet argument n’aurait pas manqué d’être mentionné ! (et on n’y trouverait pas les reproches qui sont faits aux pécheurs de ‘Houts Laarets).
En complément, voici le Shiour que j'ai donné (il y a plus de dix ans) sur le sujet:
https://www.centre-alef.fr/4196/
ou
https://chiourim.com/faut-il-habiter-en-israel/
PS: j'ai été long, je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes.