Lorsque Jacob a béni ses petits-fils Efrayim et Manassé, il a attribué à Efrayim un droit d’aînesse qui aurait dû revenir à Manassé. Malgré les protestations de Joseph, il a persisté dans son attitude (Berèchith 48, 13 et suivants). Que signifie cette obstination ?
Le destin du peuple juif a été parcouru par de multiples dérogations au principe du droit d’aînesse, pourtant inscrit dans la Tora (Devarim 21, 15).
C’est ainsi qu’à Ismaël, l’aîné des enfants d’Abraham, c’est Isaac qui a été préféré. Jacob, le frère puîné d’Esaü, a eu le pas sur ce dernier. Et Joseph a été, de tous les enfants de Jacob, celui qui a été favorisé (Berèchith 37, 3), et ce aux dépens de Reouvèn.
On peut même relever, si l’on remonte le cours de l’histoire, qu’il en a été de même pour Seth, le cadet des enfants d’Adam et Eve, dont descend l’ensemble de l’humanité, et pour Sem, l’ancêtre du peuple juif, que Hachem a préféré à Japhet, pourtant son aîné (voir Berèchith 10, 21 et commentaires).
La réaction de Joseph peut se comprendre aisément : Il a, pendant de longues années – vingt-deux au total – souffert de la jalousie de ses frères à cause de ce privilège que lui avait octroyé son père aux dépens de ceux-ci. Il redoutait, par conséquent, que l’histoire se renouvelle chez ses propres enfants.
Pour comprendre la problématique du droit d’aînesse selon la Tora, il convient de prendre divers points en considération :
1. Ce droit ne doit rien à l’acquis de l’aîné qui serait supérieur à celui du puîné. Nous n’en voulons pour preuve que le verset qui nous apprend qu’Isaac et Esaü « se heurtaient dans le sein » de Rébecca (Berèchith 25, 22), alors qu’ils étaient pourtant jumeaux.
2. Le seul droit que confère la primogéniture, selon la halakha, c’est celui d’hériter d’une part double dans la succession de son père (Choul‘han ‘aroukh ‘Hochèn michpat 277, 1). Elle n’en donne aucun au plan spirituel.
3. Le rabbin Elie MUNK propose dans sa Voix de la Thora (Vol. 1, p. 496), une explication plus profonde, appuyée sur la ‘Aqédath Yits‘haq de rabbi Yits‘haq Arama :
« Aucun privilège de naissance n’était envisagé à l’origine de l’histoire de l’humanité. Des exemples tels que celui de Seth, fils d’Adam, et celui de Sem, fils de Noé, nous montrent le rôle déterminant que jouaient alors les fils cadets. Mais lorsque Abraham, ce bien-aimé de Dieu, se révéla sur la scène de l’Histoire, le Seigneur fit de lui le “père d’une multitude de nations” et Il conclut son alliance éternelle avec lui et ses descendants. C’était le fils aîné qui devait être le dépositaire du message divin. Mais dès la troisième génération, le premier-né, Esaü, ne fut point digne de cette succession. Jacob, son cadet, lui offrit alors un festin, au cours duquel il lui racheta le droit d’aînesse. Désormais. Jacob comprit que ce privilège devait être aboli et qu’il importait de revenir au droit initial qui accordait la prééminence au plus digne et au plus sage d’entre les frères. L’Ecriture nous confirme, elle aussi, que le privilège des premiers-nés n’était en vigueur en Israël que très passagèrement. Ils furent appelés à l’exercice du culte et du service divin lorsque les premiers-nés des Egyptiens moururent à l’occasion de la dixième plaie (Chemoth 13, 15). Mais ils ne se montrèrent pas dignes de cet honneur, puisqu’ils participèrent peu après au péché du veau d’or. Dès lors, ce furent les Lévites qui eurent à remplacer les premiers-nés (Bamidbar 3, 45). Sur le plan de la législation, l’institution du pidyon bekhor semble confirmer que l’Ecriture ne considère point la primogéniture comme un droit absolu. Le rachat de ce droit est expressément prévu par la Loi. »