Citation:
J'ai lu différentes réponses a propos de la raison pour laquelle Yossef n'aurait pas prévenu son père qu'il était vivant (Ramban, Roch, Chla Hakadoch etc..) sans qu'aucune ne m'ait vraiment "soulagé".
Je suis assez embêté par les réponses qui expliquent qu'il voulait faire faire son tikoun aux frères et d'autres réponses qui mettent en avant des raisons qui ne nous apprennent rien une leçon pour notre avodat Hachem.. Le Rabbi de Loubavitch me semble t-il disait qu'il faut que la paracha nous parle ,à nous, ici et maintenant.
Auriez-vous une réponse de votre cru ?
(Exemple de raisonnement sur la vente de Yossef qui met en exergue les forces" psychologiques" et nous enseignent différentes lecons : Les fils de Léa ont vécu et sont nommés sur la souffrance leur mère moins aimée, ils étaient donc sous tension et se sentaient inferieurs a Yossef, si bien que le rêve (!) d'un enfant de 17 ans a suffi à les allumer et a décider de facto que la seule solution était de le tuer. En fait les rêves c'était la goutte d'eau qui venait faire déborder le vase d'une frustration vieille de plusieurs décennies, due au traitement de leur maman. Les fils des servantes, pourtant défendus par Yossef ont aussi participé, car malgré tout ce "Yossef" était plus brillant qu'eux et un homme rabaisse en veut toujours même a ceux qui lui ont parfois fait du bien. Les frères ont en quelque sorte puni Yaakov en fomentant cette histoire, on ne parle pas de leur deuil, ils montrent la tunique (ils auraient pu éviter de montrer le sang d'un fils a son père...), bref tout va dans le sens d'un sentiment d'infériorité d'une partie de la fratrie, issue d'une maman mal aimée qui a provoqué tant de dégâts : voilà cela ça nous enseigne des leçons ! par rapport a d'autres explications...
Avant tout, je rebondis sur un point. Vous déplorez des « réponses qui mettent en avant des raisons qui ne nous apprennent rien une leçon pour notre avodat Hachem ».
Je comprends que vous puissiez trouver plus d’intérêt à des réponses qui nous apportent directement et concrètement un enseignement à mettre en pratique, mais je ne pense pas qu’il soit juste de diriger ainsi notre recherche.
Avant de vouloir trouver une réponse qui puisse nous apporter un ’Hizouk en Avodat Hashem, il nous incombe de rechercher une réponse plausible et qui se rapproche le plus du Emet, même si ce Emet n’est pas porteur (immédiat) de leçon de vie.
Il nous faut rechercher le Emet, peu importe la couleur qu’il aura. Si -ensuite- on peut en apprendre une leçon de Avodat Hashem, hiné ma tov ouma Naïm, c’est très bien.
Mais ça ne doit pas être notre boussole dans la recherche qui vise à expliquer pourquoi Yossef n’a pas cherché à rassurer son père durant toutes ces années.
Même si l’explication que l’on trouve s’avère être (a priori) dénuée d’enseignement pratique, elle sera toujours porteuse d’un message, du Emet, qui contribue à concevoir les choses telles qu’elles ont été, et une morale ou un enseignement en découlera forcément un jour.
Même dans l’explication du
Shla que vous mentionnez on peut trouver des idées hashkafiques à retenir. Il dit que Yossef aurait su par roua’h hakodesh que D.ieu lui demandait de ne pas rassurer son père (car c’était la kapara pour son manque de Kiboud Av Vaem durant 22 ans), ou alors, que D.ieu aurait retiré la Be’hira à Yossef sur ce point, il aurait donc été empêché min hashamayim d’écrire à son père. Pas besoin d’avoir une leçon immédiate à mettre en pratique, ces Hashkafot nous enrichissent aussi.
Toutefois, j’avoue que son explication n’est pas particulièrement convaincante.
Le
Ramban (Bereshit XLII, 9) qui ne vous plait pas, dit grosso modo qu’il fallait que les rêves s’accomplissent et que les frères viennent se prosterner. (voir aussi
Sforno ad loc.). Là encore, tel quel, ça ne parait pas convaincant.
Le
Abrabanel (Bereshit XLI) aussi n’est pas d’accord avec cette idée, tout d’abord car, lorsqu’il est question des frères qui se prosternent, il s’agît d’une prosternation morale, mentale, dans l’esprit, pas par le corps.
De plus, s’ils l’avaient reconnu, ils ne se seraient que plus prosternés.
Et enfin -et je pense que c’est l’argument qui vous a dérangé dans l’explication du Ramban- parce que l’accomplissement des rêves n’incombe pas à Yossef mais à D.ieu, pourquoi Yossef devait-il se soucier d’organiser l’accomplissement de ses rêves ?
C’est aussi l’argument du
Akeidat Its’hak (§29) contre le Ramban, pourquoi Yossef devait-il se soucier de l’accomplissement du rêve ?
C’est encore l’objection qu’y voit le
Rav Shimshon Refael Hirsch (Bereshit XLII, 9).
[D’autant que Yossef ne s’est vraisemblablement pas soucié de l’accomplissement de ses autres rêves ; voyez le commentaire du
Riva (Bereshit XXXVII, 5-8) qui dit au nom de
Rabbbi Elyakim au sujet du passouk ויוסיפו עוד שנוא אותו על חלומותיו que la Torah n’a pas détaillé ces autres rêves qui ont énervé les frères de Yossef, car ils ne se sont finalement pas accomplis…]
Le
Or Ha’haim (Bereshit XLV, 26) explique que Yossef n’a pas prévenu son père, au départ (quand il était esclave) de peur que ses frères le sachent et viennent le tuer, puis, lorsqu’il était vice-roi, de peur de leur faire honte, comme le disent ‘Hazal (
Baba Metsia 59a et Sotah 10b) נוח לו לאדם שיפיל עצמו לכבשן האש ואל ילבין פני חבירו ברבים
C’est fort de café, mais c’est ce qu’il écrit.
Et là, pour le coup, l’enseignement pour nous est très clair.
Rav Moshé Tsuriel-Weiss explique que Yossef n’a pas pris contact avec son père car il voulait d’abord constater que la haine envers les « fils de Ra’hel » avait disparu.
Les frères jalousaient Yossef et souffraient de l’état de leurs mères moins aimées que Ra’hel, Yossef étant fils de la chouchoute était donc mal vu par les autres. Yossef voulait donc organiser l’accusation de vol contre Binyamin (fils de Rah’el) pour voir comment les frères allaient réagir, s’ils allaient l’abandonner à son sort en tant que fils de la chouchoute ou si cette haine fratricide avait disparu depuis et que Yossef en avait été la seule victime.
Si Yossef faisait savoir à son père qu’il était vivant, il ne pouvait plus mettre en place ce « test ». Et vis-à-vis de Yaakov, il y avait aussi le calcul que se dévoiler impliquerait de « dénoncer » les frères, ce qui attristerait Yaakov, un de retrouvé, dix de « perdus ».
Il y a une idée intéressante dans le
Kli Yakar (Bereshit XXVIII, 10) au sujet du reproche fait à Yaakov de ne pas avoir fait Kiboud Av Vaem durant 22 ans. Le Kli Yakar observe que Yaakov était pourtant parti avec l’accord de ses parents [et même si sa mère lui avait parlé d’un temps qui semble plus court -Yamim A’hadim- il n’est toujours pas justifié de le punir sur la totalité des 22 ans].
Le
Kli Yakar répond que son père lui avait dit « Koum Lekh Padéna Aram », il l’a donc autorisé d’y aller dans le sens de « Lekh », une Halikha, mais pas dans celui de « Vayetsé » finalement accompli.
La différence, écrit-il, c’est que la « yetsia » signifie se détacher totalement de l’endroit, même par la pensée (à la différence de la Halikha). Et c’est donc pourquoi il a été puni par la disparition de l’un de ses fils pendant 22 ans lui aussi.
On pourrait se demander de quelle manière le détachement par la pensée peut-il porter à conséquence par rapport à ses parents ?
Je me suis dit que ça se concrétise simplement par le fait de faire passer des nouvelles, d’envoyer une lettre, une carte postale, faire passer le mot par un voyageur pour qu’il informe ses parents que tout va bien, etc.
Yaakov a totalement coupé les ponts avec ses parents et c’est ça qui lui a été reproché, il aurait dû essayer d’envoyer de ses nouvelles, une lettre ou un messager.
Ainsi, on peut mieux comprendre par rapport à Yossef aussi, la punition de Yaakov était en cela que Yossef ne lui ait pas envoyé de nouvelles. Ça ne justifie pas la chose du point de vue de Yossef lui-même (qui n’a pas à jouer au justicier ou à l’envoyé de D.ieu pour punir son père), mais ça explique les choses vis-à-vis de Yaakov en tout cas.
Pour comprendre la démarche de Yossef lui-même, il y a encore une explication originale du
Bekhor Shor (Bereshit XXXVII, 26) qui dit que lorsque les frères ont finalement accepté de ne pas tuer Yossef mais de le vendre, ils auraient mis pour condition que Yossef jure de ne jamais revenir chez leur père, ni de dévoiler sa survie à leur père שכשמכרוהו השביעוהו שלא יבוא עוד אל בית אביו, ולא יגלה עצמו לאביו ולא יודיע לאביו שהוא חי .
Yossef n’ayant pas le choix (sinon il était tué) aurait donc juré et c’est pour cela qu’il n’a jamais pu raconter à son père ce qui s’est passé.
Ça en dit long sur la valeur de la parole, de l’engagement, du serment.
Cette idée se retrouve aussi dans le
Daat Zkénim MiBaalei Hatosfot (Bereshit XLII, 1), ce qui explique aussi pourquoi Yossef a ordonné que tout le monde sorte avant de se dévoiler à ses frères
[ce qui le mettait pourtant en danger, les ‘Hazal dans le Midrash Tan’houma (Vayigash §4) ont expliqué qu’il préférait que ses frères le tuent plutôt que de leur faire honte en public, mais les Tosfot ont expliqué cela car], il avait juré de ne rien dévoiler à personne, il fallait donc que tout le monde sorte.
Les
Tosfot ajoutent encore une idée : Yossef ne voulait pas faire savoir à son père qu’il était vivant pour ne pas lui faire encore de la peine de le savoir esclave
(a priori, mieux vaut esclave vivant que mort ?), puis, lorsqu’il était vice-roi, car il s’est dit que son père n’y croirait pas
(a priori il aurait suffi de faire savoir qu’il était vivant sans préciser qu’il était vice-roi…).
Aussi, il craignait que ses frères l’apprennent et que par crainte de leur père ils fuient et disparaissent, ce qui aurait aussi fait de la peine à son père (=un de retrouvé, dix de perdus), c’est pourquoi il a attendu qu’ils viennent et qu’il puisse leur dire qu’il ne leur en veut pas, et enfin il a demandé qu’on fasse savoir à son père.
Pour expliquer l’idée du
Ramban (car il est évident qu’il ne pensait pas que Yossef était tenu de se soucier de l’accomplissement d’un rêve), je pense qu’il voulait dire que Yossef s’en souciait car il craignait que si ses rêves restaient (tous) lettre morte et ne s’accomplissaient aucunement, ses frères auraient toujours des reproches et griefs à son encontre, le voyant comme un petit prétentieux bien responsable de ce qui lui est arrivé.
Par contre, s’ils voient par eux-mêmes que les rêves se sont finalement accomplis, ils reconnaitront que ce n’était pas par prétention et orgueil qu’il en était venu à rêver de cela, mais qu’il s’agissait bien de rêves prémonitoires.
Il y a une idée voisine dans le commentaire de
Rav Shimshon Refael Hirsch (Bereshit XLII, 9), il dit que Yossef craignait de ne pas être réintégré dans la famille, que les suspicions de ses frères à son égard fussent toujours concrètes et présentes s’il se dévoilait trop vite.
C’est pourquoi, il a voulu leur montrer que bien qu’étant en position de force, il n’a pas cherché à leur nuire.
C’est ainsi que les frères ont compris qu’ils avaient mal analysé sa conduite dans le passé.
Yossef ne voulait donc pas brusquer les choses et n’a pas voulu faire savoir à son père qu’il était vivant, car il lui aurait ainsi rendu un fils mais lui en aurait fait « perdre » dix…
L’idée du
Bekhor Shor me plait bien, avec pour seul bémol l’absence de mention dans le texte, pourquoi la Torah ne précise pas que les frères l’ont fait jurer de ne pas dévoiler ? Mais ça n’est pas insurmontable, bien entendu.