Citation:
Il ressort de certains passages du Shas que Rabbi Méir était le plus grand Sage de son époque: Irouvin 13 par exemple.
D'autres passages, à l'inverse, indiquent que c'était Rabbi Chimon qui était le plus grand Tanna: Souka 45 par exemple.
L'anecdote du Yérouchalmi, au début de Sanédrin, montre bien cet enjeu, et éventuellement sa résolution.
Pourriez-vous svp effectuer une comparaison qui soit la plus exhaustive possible entre ces deux grands personnages: leur différences de pensées, de "hashkafa", de vision du monde, de la Torah et de la Hala'ha.
NB: Il me semble qu'il y a une certaine opposition entre ces deux Sages, c'est pourquoi j'aimerais connaitre votre point de vue. Je dirai très schématiquement que:
- Rabbi Méir me fait penser à l'école de "Kotsk" ou à R.G.Nadel: liberté de penser et originalité, non-conformisme, recherche de la vérité chez qui la détient etc... et universalisme.
- Rachbi me fait penser aux "kabbalistes" ou à R.N. de Breslav: mystérieux, proximité avec le divin, reclus, taciturne et élitiste.
Il faut rester précis quand on aborde ces sujets ;
Je vous cite :
Citation:
Il ressort de certains passages du Shas que Rabbi Méir était le plus grand Sage de son époque: Irouvin 13 par exemple.
Non, pas le plus grand, le plus intelligent, nuance.
Citation:
D'autres passages, à l'inverse, indiquent que c'était Rabbi Chimon qui était le plus grand Tanna: Souka 45 par exemple.
Là aussi, pas forcément « le plus grand » (qui reste trop large et imprécis), mais il faudrait peut-être parler du plus « vertueux » (et encore), ou plutôt le plus « ben Aliya » -ça oui.
Reste aussi à définir si Rabbi Méir était encore vivant lorsque cette phrase a été prononcée… (s’il ne l’était plus, votre question serait d’une manière ou l’autre répondue).
Citation:
L'anecdote du Yérouchalmi, au début de Sanédrin, montre bien cet enjeu, et éventuellement sa résolution.
Ce que vous entendez par « début » de Sanhédrin, se trouve certainement
daf 6a-b.
Le sujet y est abordé mais la « résolution » est laissée libre à l’interprétation de chacun.
Citation:
Pourriez-vous svp effectuer une comparaison qui soit la plus exhaustive possible entre ces deux grands personnages: leur différences de pensées, de "hashkafa", de vision du monde, de la Torah et de la Hala'ha.
Vous me demandez-là d’écrire un livre, voire deux.
Ça va être difficile pour le moment.
De manière TRÈS succincte, ce qui se dégage du talmud indique que R. Méir était plus intelligent que R. Shimon.
Rien ne force à comprendre ce que lui a dit R. Akiva : « דייך שאני ובוראך מכירין כוחך »
(Yeroushalmi Sanhedrin 6b en haut) comme étant une allusion à une plus grande puissance spirituelle
(bien que ce ne soit pas non plus forcément à exclure), il semble au contraire que R. Akiva lui disait, pour le consoler
(d'avoir été officiellement nommé « inférieur à R. Méir ») qu’il se contente du fait que D.ieu et R. Akiva connaissent sa grandeur qui, bien qu’inférieure à celle de R. Méir, était tout de même importante, alors que les autres ne le sauront pas puisqu’il n’a pas été nommé « en tête », les gens vont donc le considérer comme un p’tit rabbin de seconde division, alors qu’en réalité il avait le niveau de la première division et son déclassement n’est justifié que par rapport à R. Méir qui était spécialement fort.
Autrement dit, dans une autre promotion, tu serais sorti major.
Concrètement, sur le plan des décisions Halakhiques, R. Shimon n’était pas souvent suivi, on lui préférait les autres rabbanim de la génération.
On voit même que la
Gmara (Erouvin 46b) en arrive à établir des règles pour trancher la loi dans les cas de discussions et désaccords rabbiniques, ces règles indiquent qu’en cas de désaccord entre R. Shimon et R. Yehouda, la halakha sera à retenir comme R. Yehouda.
Idem en cas de désaccord entre R. Shimon et R. Yossi, la halakha sera à retenir comme R. Yossi…
Bref, R. Shimon n’a pas la côte.
Citation:
- Rabbi Méir me fait penser à l'école de "Kotsk" ou à R.G.Nadel: liberté de penser et originalité, non-conformisme, recherche de la vérité chez qui la détient etc... et universalisme.
Le parallèle entre R. Méir et
R. Guedalia Nadel se justifie surtout pour ce que dit le Talmud
Erouvin (13b et 53a) que ses contemporains et collègues n’arrivaient pas (toujours) à comprendre son intelligence שלא יכלו חביריו לעמוד על סוף דעתו
D’autres rabbins aussi ont été de grands incompris, mais pas nécessairement en raison de leur intelligence trop puissante.
Par exemple
Rav Kook aussi était en marge de la société des rabbanim en cela qu’il n’était pas (toujours) compris de ses pairs.
Mais pas parce qu’il aurait été « trop » intelligent, c’est plutôt parce qu’il était « trop » idéaliste et rêveur.
(NB : j’utilise le terme « trop » dans le sens que lui donne la langue française, pas dans celui que lui donnent les jeunes de moins de trente ans en France.)
Rav Kook était trop idéaliste, au point de se déconnecter de la réalité.
Le comble c’est que sa motivation était justement au contraire de rattacher la Torah spirituelle à la réalité du monde (voir ce qu’il écrit dans
‘Hadarav -2008 p.126), mais en cela, il semble avoir opéré assez souvent l’inverse.
Ses réflexions et pensées étaient trop « naïvement poétiques » et détachées de la réalité du terrain.
Il en était (relativement) conscient et se justifie en écrivant que des rêveries aussi peuvent apporter du positif -si elles tendent à la Kdousha et au moussar… (cf.
‘Hadarav p.114) même lorsqu’elles sont exprimées de manière poétique avec des exagérations גוזמאות והפלגות (cf.
‘Hadarav p.115).
Ce n’est pas du tout le problème de Rabbi Méir et de
Rabbi Guedalia Nadel qui n’étaient pas poétiques pour un sou, mais le résultat s’en rapproche, les autres Poskim de la génération, tout en les respectant, ne tranche pas la Halakha selon leur opinion.
[Précision pour ceux qui ne savent pas toute mon admiration pour le
Rav Kook: c'était un Gaon extraordinaire, qui avait une compréhension très large et authentique de la Torah et qui arrivait à l'inscrire dans le Olam Hazé.
Le fait que je puisse souligner un point de critique n'en fait pas un "vaurien"
(h"v), d'autant qu'il souligne lui-même ce point en auto-critique.
Il reste à mes yeux un Tsadik hors norme et un Talmid 'Hakham extraordinaire, même si d'autres géants de la Torah se sont opposés à ses Shitot, les désaccords et ma'hlokot ne sont pas nouveaux dans le judaïsme.]
Citation:
- Rachbi me fait penser aux "kabbalistes" ou à R.N. de Breslav ( mystérieux, proximité avec le divin, reclus, taciturne ) et élitiste.
Rashbi donne cette image en raison des très (et même trop) nombreux kabbalistes de notre génération qui l’utilisent à cette fin, mais à partir du Talmud on ne voit pas vraiment un Rashbi si mystique, ni mystérieux, et sa vie ne ressemble pas à celle de
R. Na’hman de Breslev que vous citez en exemple.
Rashbi a été reclus durant 13 ans, malgré lui, car les romains voulaient le tuer.
C’est vrai qu’un « confinement » de 13 ans, ça marque, mais pas forcément pour en faire un taciturne ni un farfelu (oui,
Rabbi Na’hman -tout en étant un grand Tsadik- était un rav farfelu/bizarre et vivait en contradiction avec la majorité des rabbins de son époque. En cela, il serait plus à comparer -au contraire- avec rabbi Méir l’incompris…).
[Là aussi, je précise qu'il s'agit d'un très grand Tsadik, ce n'est pas contradictoire...]
Mais je vous suis pour le dernier mot que vous écrivez : «
élitiste ».
Comme on le voit dans
Brakhot (35b) et dans
Shabbat (33b).
Par contre, l’opposé que vous avez appelé «
universaliste » pour définir R. Méir est plutôt à attribuer à R. Yishmael qui s’oppose en cela à Rashbi
(Brakhot 35b).
L’aspect mystique attribué à Rashbi est surtout souligné dans le Zohar.
Dans le Talmud, on ne le retrouve pas vraiment.
Bref, je ne vois pas vraiment deux opposés très nets.
Ils sont différents mais pas forcément à l’extrême
(et il y a parfois d’autres rabbins du Talmud qui seraient de meilleurs exemples pour représenter l’antithèse de Rashbi).