Avant de tenter de répondre, permettez-moi de saluer votre clarté qui, liée à votre précision, vous distingue du commun des questionneurs.
A n’en pas douter, vous devez être un fin connaisseur en Talmud.
Ceci étant dit, je tiens à préciser mon étonnement concernant ce Rashi qui cite le Midrash Shmouel au lieu de citer le Talmud Yeroushalmi (Bikourim III, 3) que je mentionnais plus haut qui est la source de cette notion et où nous trouvons ce mekor à partir d’Essav.
Après tout cela, je tenais encore à vous dire que c’est une très bonne question.
Et maintenant que ceci est dit, je passe à votre question.
Tout d’abord, on pourrait dire que c’est ELLE qui a été pardonnée (et non lui), et nous trouvons, bien sûr, l’idée du pardon pour la Kala comme pour le ‘Hatan dans le Rokéa’h (parshat Nitsavim).
Il serait plus facile d’imaginer un « soubresaut » de tshouva de la part de sa femme que de Essav en personne.
Mais dans les mots de Rashi on comprend qu’il parle du ‘hatan (Essav) et c’est aussi ce qui ressort des mots du Midrash Shmouel, sa source.
Donc cette réponse n’est pas bonne.
J’ai pensé à autre chose ;
Le Talmud (Meguila 17a) se basant sur la précision du verset « la fille de Yishamel, la sœur de Nevayot », explique que c’est Yishmael qui a fiancé sa fille à Essav, mais il est mort et le mariage s’est organisé sous la responsabilité du frère, Nevayot.
Or, nous savons que Yishmael a fait tshouva vers la fin de sa vie (du moins selon une opinion, mais c’est discuté. Voir Tosfot Yeshanim Yoma 38b), donc tout porte à croire qu’en mariant sa fille à Essav, il ne l’entrainait pas dans le péché, donc que Essav connaissait une période de tshouva.
Ceci serait contraire au Midrash (Bereshit Raba à la fin de Toldot) (cité par Rashi Bereshit XXVIII,9) selon lequel Essav n’aurait pas eu de pensée de tshouva à cette période prénuptiale.
Mais ce Midrash correspond à l’autre opinion midrashique selon laquelle Yishmael n’a pas fait Tshouva.
Nous avons donc deux ma’hloktot midrashiques :
1) si Yishmael a fait tshouva et
2) si Essav a fait une tshouva momentanée
(et -soit dit au passage, une troisième : si l’accolade était sincère).
Nous pouvons donc les lier et dire que Essav aurait eu un moment de tshouva avant ce mariage, d’après l’opinion qui pense que Yishmael a fait tshouva avant de mourir.
Un autre élément nous pousserait à croire que cette femme de Essav n’était pas du tout mauvaise (et donc ambiance tshouva etc…), c’est que nous trouvons qu’une des filles du roi Salomon portait le nom de Bosmath (Bassemat) (voir Mela’him I, IV, 15).
Or, il est défendu de nommer un enfant d'un nom porté par un impie (Yoma 38b).
Dès lors, comment imaginer que la fille de Shlomo Amele’h portait le nom de la femme impie de Essav ?
Il semble donc que Shlomo pensait que cette dame n’était pas une mauvaise comme [ce que l’est redevenu] son mari.
L’autre prénom de cette dame, Ma’halat, était porté par la cousine de la Bosmath citée plus haut (fille de Shlomo), c’était aussi une petite fille du roi David. (voir Divrei Ayamim II, XI, 18).
Voici donc une proposition d’interprétation qui donnerait que la source du pardon des fautes du ‘hatan à partir de Essav n’a été donnée que selon l’opinion qui pense que Essav a fait tshouva avant ce mariage.
Je comprends parfaitement que vous puissiez trouver mes « inventions » quelque peu hasardeuses et mes preuves relativement faibles.
Même si je ne partagerais pas cet avis pour ce sujet qui nous occupe, afin d’appuyer ma thèse je vous indique un Midrash qui semble dire ce que je dis :
Rabbi Yeoshoua Ben Levi dit dans le Midrash (Bereshit Raba LXVII, 13) qu’au moment qui précède son mariage avec Ma’halat, Essav était dans une dynamique de tshouva (dans les mots : natan daato léitgayer).
Et précisément après ces mots, le Midrash explique le nom Ma’halat : que D… lui a pardonné ses fautes.
Nous voyons donc du Midrash deux points capitaux :
1) Essav a fait une tshouva momentannée.
2) Il semble clair qu’il y ait un lien entre cette tshouva et le pardon de ses fautes au moment de son mariage avec Ma’halat.
Bien entendu, on pourra trouver des opinions divergentes, et certains expliqueront de manière négative le fait que Essav soit allé chercher une femme chez Yishmael.
C’est d’ailleurs ce qui semble être l’opinion de la gmara (Baba Kama 92b).
Tout ceci est au niveau Drash, mais au niveau Pshat on pourrait imaginer qu’il s’agisse de deux sœurs, toutes deux filles de Yishmael (et il n’y aurait donc plus aucune source pour la notion de pardon au mariage).
Il faut encore savoir que même si Bosmath est nommée fille de Yishmael (Bereshit XXXVI, 3), nous trouvons que Bosmath (toujours la femme de Essav) est nommée fille de Eilon A’hiti (Bereshit XXVI, 34) (et on trouve aussi parmi ses femmes une Ada bat Eilon A’hiti ! (Bereshit XXXVI,2).
On pourrait donc dire que Ada est Bosmath qui est Ma’halat !
L’appellation « bat Yishmael » ne correspondrait donc peut-être pas à une réalité historique mais à une sorte d’adjectif qualificatif (on peut supposer plusieurs choses, par exemple, elle ressemblerait à Ma’halat par ses actions et aurait été surnommée « bat Yishmael »… ).
Ainsi, il en va de même pour le nom Bosmath qui sera alternativement interprété positivement ou négativement par nos Sages.
Mais je crois que la vraie réponse est qu’au niveau pshat, Ma’halat n’est pas Bosmath.
Et elle n’a pas été nommée Ma’halat car elle aurait entrainé le pardon de Essav.
C’est d’ailleurs impensable, sinon, pourquoi seulement cette femme aurait été nommée ainsi ?
Pourtant nous sommes en train de supposer que TOUT mariage procure le pardon des fautes, même sans tshouva…
Essav s’étant marié plusieurs fois, pourquoi ne pas avoir bénéficié d’un pardon marital à chaque fois ?
Je pense que ce Midrash n’est qu’une source « agadique » à cette idée, une sorte de moyen mnémonique que les Sages auraient trouvé en constatant que Bosmath est nommée Ma’halat.
Ils ont donc mentionné cette idée en se rattachant à ce verset, mais l’idée n’est pas « justifiée » par ce passouk.
Le passouk lui sert d’assise seulement.
L’idée se justifie par la svara que l’on trouvera pour l’expliquer, c’est pourquoi j’ai proposé mon explication.
Il se trouve que cette explication se voit confirmée par les décisionnaires ;
le Rama dans le Shoul’han Arou’h (Even Aezer §LXI,1)(-voir encore ora’h ‘haim §573,1) cite la coutume de jeuner le jour du mariage qui est justifiée par les A’haronim (Maaram Mintz §109, Kessef Niv’har ‘hayei Sara XXVI, Beth Shmouel Even Aezer §LXI,6 , Baer Etev even aezer §LXI,5. Voir encore shout Maari Brona §93) par l’idée de pardon des fautes qui s’opère ce jour-là.
Or, si ce pardon n’est pas lié à un sentiment de tshouva, à quoi bon jeuner ? Il suffirait d’attendre que la journée passe !
En espérant que mes réponses vous satisferont, je m’arrête là.
Dernière édition par Rav Binyamin Wattenberg le Mar 28 Février 2023, 13:29; édité 1 fois