L’endurcissement du cœur de Pharaon a été commenté de manière approfondie par le rabbin Elie Munk (La voix de la Torah, II, page 73) :
« Si Hachem a endurci son cœur, quel était alors son péché et pourquoi fut-il puni ?» Telles sont les « questions que tous se posent », selon l’expression d’Ibn Ezra et de Nahmanide. Nous ne proposerons, parmi les nombreuses solutions qui furent tentées, que les réponses de nos trois plus éminents penseurs. Maïmonide, qui se penche sur la question du libre arbitre et qui étudie à ce propos les versets de la Bible qui semblent le dénier a l’homme, écrit: « Il peut arriver qu’un homme commette un grave péché, ou de nombreux péchés, et que le Juge de Vérité décide de punir ces actes, exécutés de sa propre volonté et en toute connaissance de cause, en l’empêchant de se repentir : La possibilité lui est enlevée de reprendre le bon chemin afin qu’il meure pour le péché qu’il a commis. ... C’est pourquoi il est écrit dans la Tora : J’endurcirai le cœur de Pharaon. Il avait en effet commencé par pécher de son propre chef en martyrisant les Israélites qui habitaient son pays. C’est la raison pour laquelle la route du repentir lui fut barrée jusqu’à la punition finale. Il en fut de même pour Sichone, roi de Hechbone (Devarim 2, 30), des Canaanéens, qui, pour leurs abominations furent empêchés de se repentir (Isaïe 11. 20) et des Juifs eux-mêmes à l’époque d’Elisée (I Rois 18, 37). Il s’ensuit donc que Hachem n’a pas obligé le Pharaon à maltraiter Israël. Il a péché en toute liberté et il a été puni par l’empêchement du repentir » (Hilkhoth techouva 6, 3).
La réponse de Nahmanide se réfère aux réflexions de Rabbi Chim‘on ben Laqich, rapportées par le Midrach Rabba: «Hachem avertit le pécheur une première fois, puis une troisième fois. Il ferme alors son cœur à la repentance afin de punir sa faute. Il en fut ainsi pour l’impie Pharaon: Après lui avoir fait parvenir cinq avertissements sans qu’il en tînt compte, Hachem lui a dit : Puisque tu as raidi ta nuque et appesanti ton cœur (comme il est dit à l’occasion des cinq premières plaies), Je vais ajouter de l’impureté à ton impureté ». Or, puisque Pharaon avait, de sa propre volonté, endurci son cœur à cinq reprises et « qu’il est bien connu à Hachem, selon les termes de Rachi, que les nations n’aspirent point à revenir à Lui tout leur cœur, i1 est bon que son cœur reste endurci, afin que les signes se multiplient et qu’Israël reconnaisse la puissance de Hachem. Tel est en effet le principe de Hachem. Il amène des châtiments sur les nations, afin qu’Israël entende et Le craigne, comme l’a exprimé le prophète Sophonie (3, 6). Cette explication ne nie pas que Hachem exerça une influence directe sur Pharaon en durcissant son cœur après qu’il eut déjà manifesté nettement la persistance de son esprit récalcitrant à Son égard. Mais une intervention de cette nature s’exerce notamment à l’égard d’un roi, comme Nahmanide le souligne, en citant la phrase des Proverbes : « Le cœur d’un roi est comme un ruisseau dans ma main de Hachem ; il le dirige partout où Il veut » (21, 1). Car Hachem demeure le Maître des destinées des nations. Aussi la providence divine tient-elle le cœur des souverains entre ses mains.
Enfin Sforno, de même que Joseph Albo (Ikkarim 5, 25) voient la solution dans certaines considérations d’ordre psychologique : « Il est évident que, sans l’endurcissement de son cœur, Pharaon aurait laissé partir Israël, non pas à la suite d’un sincère repentir et en se soumettant aux ordres de Hachem dont i1 aurait reconnu la force, mais dans l’impossibilité où il était de supporter plus longtemps les plaies. Son accord de laisser partir Israël pour cette raison n’aurait pas été le fait du repentir. Mais si Pharaon avait voulu se soumettre à Hachem et revenir à Lui d’un repentir sincère, rien ne serait venu l’en empêcher. S’il est écrit : J’endurcirai le cœur de Pharaon, cela signifie seulement qu’Il lui a donné le courage de supporter les épreuves pour qu’il ne renvoie pas Israël par crainte des plaies. Le but était de faire connaître la grandeur et la toute-puissance de Hachem par les Egyptiens qui ainsi trouveraient le chemin du vrai repentir. »