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Croiser les doigts de la main

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Yoav Chetrit
Messages: 61
Bonjour rav
J'ai entendu d'un ami qu'il y aurait un problème halahique de se croiser les doigts de la main. Il m'a aussi dit que la raison est que lorsque les deux mains sont associées, les rides de la paume de la main forment le mot מות.
Est-ce véridique ? Existe-t-il une source pour cela ?

Merci beaucoup.
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6640
Citation:
J'ai entendu d'un ami qu'il y aurait un problème halahique de se croiser les doigts de la main. Il m'a aussi dit que la raison est que lorsque les deux mains sont associées, les rides de la paume de la main forment le mot מות.
Est-ce véridique ? Existe-t-il une source pour cela ?


Votre ami s’est peut-être un peu trop laissé porter par son enthousiasme, il n’y a aucun problème "halakhique" à cela. C’est uniquement une notion de kabbalistes, mais dans le Talmud il n’y aucune mention d’un souci lié au fait de croiser ses mains.

Quant à la lecture imaginaire et fantaisiste qu’il a évoquée, que les plis de la flexion palmaire de chaque main, une fois combinés à l’horizontale, donneraient le mot Mavet (mort) [je pense qu’il voulait orthographier מוות avec deux Vavin -ce qui est en soit un élément supplémentaire qui affaiblit cette thèse complotiste, car ce mot ne prend qu’un Vav dans la Torah], il n’y a aucune source à cela dans le Talmud ni dans le Shoul’han Aroukh.

Il se peut qu’un des innombrables livres des innombrables kabbalistes ait mentionné cette idée saugrenue, peut-être dans un traité de chiromancie, mais ça ne lui donne pas de valeur pour autant.

Vous devez aussi savoir que ces plis diffèrent d’une personne à l’autre et il doit être assez rare que le Mem et le Tav soient bien formés.

L’idée kabbalistique n’a rien à voir avec la prétendue apparition du mot Mavet, c’est plutôt une notion de mélange du Din (main gauche) et des Ra’hamim (ou plutôt du ‘Hessed) (main droite) qu’il serait souhaitable d’éviter car cela entrainerait un « jugement » de la personne dans le Ciel.
Cf. Shaar Hamitsvot (début de parshat Ekev),
Shaar Roua’h hakodesh (12b),
Shaar Haguilgoulim (Hakdama 39),
Midrash Talpiot (Anaf Din),
Or Ha’hama (III, daf 15d),
Yeshouot ‘Hokhma (fin de §33),
Yessod Veshoresh Haavoda (Shaar Hakolel §19),
‘Hessed Leavraham (Tubiana) (4b),
Sefer Zekhira (daf 19b),
Maavar Yabok (Siftei Tsedek §14).


Il y a des communautés chez les Sfaradim qui font attention à cela, il y en a aussi chez les ‘Hassidim, mais pas tous. Chez les Loubavitch c’est pris très au sérieux. Cf. Shoul’han Aroukh Harav (§91, 6).

Pour les Sfaradim, les sources sont :
Ben Ish ‘Haï (II, Pin’has §18),
Kaf Ha’haim (§91, sk.28),
Moed Lekhol ‘Haï (§XV, 31),
Nefesh Kol ‘Haï (Alef §38),
Sia’h Its’hak (Mani) (7b en bas).


Il y a mention de l’idée chez les Poskim et commentateurs « classiques », comme le Baer Heitev et le Taz (§95, sk.3),
le Ateret Zkénim (o’’h §46, 2),
Aroukh Hashoul’han (o’’h §91, 7),
Az Nidberou (XII, §25
, dans la longue note de bas de page),
Rivevot Ephraïm (II, §197, 26) (III, §473, 24),
Shraga Haméir (III, §71),
Imrei Shamay (II, p.180)
(qui explique un passage de Rabénou Be’hayei (Dvarim XXX, 7) en ce sens),
Ayelet Hasha’har (Bereshit 42, 6).


Pourtant, Rav Elyashiv ne s’en souciait guère (mais le Steipler si), et il y a plusieurs photos de grands rabbanim qui en font/faisaient autant sans se soucier des dires du Arizal et des kabbalistes, et je crois même avoir vu une photo d’un rabbi de Gour (probablement le Beit Israel) croisant ses doigts.

Néanmoins, il est possible de dire qu’ils interprétaient ce texte du Zohar (III, 24a) comme ne parlant uniquement du cas où l’on croise les 10 doigts (comme les mots du Zohar l’indiquent) (et non seulement 8 doigts), ce qui revient à « fermer » les mains/rapprocher les paumes. Ce qu’ils ne faisaient pas (sur les photos).

C’est aussi ce qui ressort très clairement des mots du Shoul’han Aroukh Harav (§91, 6) qui est pourtant pris comme une source pour interdire ce dont vous parlez.

Idem pour le Taz et le Baer Heitev (o’’h §95, sk.3) qui parlent aussi de coller les paumes, mais pas du croisement des doigts de manière décontractée (où les pouces sont distants ou se touchent mais ne sont pas entremêlés) comme on le voit chez ces rabbanim photographiés.

La position des doigts décriée par les kabbalistes n’est donc pas celle-ci, mais celle qui consiste à rapprocher les paumes et qui symbolise généralement la demande de pitié.

Il se trouve que cette position des mains est prônée pour la prière par Rava dans le Talmud (Shabbat 10a -et voir Rashi ad loc. ד"ה ופכר ידיה) !

Il faudra dire que ces kabbalistes n’acceptaient pas l’explication de Rashi et interprétaient la Gmara autrement, par exemple comme le Rambam (Hil. Tfila V, 4), ce qui devrait répondre à l’étonnement sous-entendu de Rav Reouven Margulies dans son Shaarei Zohar (sur Shabbat 10a). (voir aussi sur Brakhot 19a.)

Ainsi, l’interprétation de votre ami voyant le mot Mavet n’étant compréhensible qu’en considérant l’entremêlement des phalanges sans rejoindre les paumes, semble totalement exclue puisque le texte d’origine du Zohar (III, 24a) parle bien d’entremêler les DIX doigts (idem dans plusieurs sources anciennes comme le Sefer Ha’hezyonot de Rabbi ‘Haim Vital -éd. Mossad Harav Kook 1954, p.224 et le Shaar Roua’h Hakodesh daf 12b en haut), ce qui inclut les pouces et il s’agit donc de rapprocher les paumes -position dans laquelle cette lecture néfaste n’apparait pas.

De plus, nous trouvons plusieurs auteurs qui mentionnent un éventuel autre problème à joindre les mains de la sorte, il pourrait y avoir un ‘hashash de ‘Houkot Hagoy, étant donné que les chrétiens affectionnent cette position des mains lors de leurs prières.
Or, nous savons bien que les chrétiens ne croisent pas les doigts en ayant les pouces distants (ou qui se touchent à peine), mais en entremêlant leurs dix doigts et en rapprochant les paumes.

En résumé :
1) Il n’y a pas d’interdit halakhique, il ne s’agit que d’une notion kabbalistique qui n’engage que celui qui veut bien y souscrire.
Certaines communautés s’inscrivent dans cette habitude, mais on ne peut pas parler de Halakha contraignante pour tous les juifs.

2) Même pour ce qui est de la notion kabbalistique, il ne s’agirait peut-être pas du croisement de doigts auquel vous pensiez, mais de joindre les mains en prière comme les chrétiens.

3) L’histoire du mot Mavet (qui se lit sur les deux paumes grâce aux plis laissés par la flexion palmaire), semble être le produit d’une imagination un peu trop fertile.

PS: je n'ai hélas pas le temps de me relire, veuillez pardonner les fautes.
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