Citation:
A l’école on nous apprend que lors de la plaie du sang en Egypte, les juifs et les égyptiens pouvaient boire dans le même verre. Pour l'égyptien c’était du sang et pour le juif c’était de l’eau.
J’ai entendu qu’il y a un rishone qui ne dirait pas cela mais que pour les juifs aussi c’était du sang. Savez-vous si un tel rishone existe nous donner la référence et son explication, merci.
Oui, il existe, c’est le
Ibn Ezra (Shemot 7,24).
Il écrit que 5 des 10 plaies (Dam, Tsfardéa, Kinim, Sh’in et Arbé) ont aussi touché les Hébreux.
A priori, c’est contraire au Midrash dans différents endroits :
Shemot Raba (IX,10), Dvarim Raba (VIII,3), Zohar (II, 28b) et Sho’her Tov (§78).
De fait, le
Radbaz (§813) écrit à propos de ce commentaire du
Ibn Ezra qu’il est péché de croire telle chose (אסור להאמין דבר זה), il ajoute que les versets semblent dire l’inverse et préciser que les plaies n’ont touché que les Egyptiens. Excepté pour Kinim où le verset ne le précise pas mais cela s’impose par la logique, sans quoi, de quelle manière cette plaie aurait été une mise en garde en mesure d’intimider le pharaon (si la plaie touchait indifféremment Egyptiens et Hébreux) ?
Le
Radbaz conclut en écrivant qu’il lui semble superflu d’écrire tout cela (de « déranger la plume pour ce genre de choses »), mais il faut bien clouer le bec aux détracteurs de nos ‘Hakhamim (ולא היה ראוי להטריח הקולמוס בכיוצא בזה אלא שלא ליתן פתחון פה לדוברים עתק על דברי חז"ל).
Le
Avi Ezer (ad Ibn Ezra Shemot 7,24) quant à lui, est convaincu que ce passage dans le commentaire du
Ibn Ezra n’est pas de la main du maître, c’est un jeune écervelé (תלמיד טועה ועני בדעת) qui y aurait inséré ce commentaire erroné.
Néanmoins, le commentaire du
Ibn Ezra un peu plus loin
(8,18) indique implicitement que les 3 premières plaies touchaient les Hébreux aussi et le
Avi Ezer n’a rien trouvé à y redire.
(Quant à décréter que chaque commentaire qui ne nous plairait pas serait un ajout d’un élève ignare, c’est un peu facile. Ce « système » qui consiste à invalider tout ce qui nous
déplait est une
plaie.)
On pourrait imaginer d’autres moyens d’expliquer ce commentaire du
Ibn Ezra. Par exemple, j’ai vu certains A’haronim qui veulent expliquer que ce que ‘Hazal disent que pour les Hébreux c’était de l’eau et pour les Egyptiens du sang, concerne toutes les sources d’eau à l’exception du Nil qui était de sang aussi pour les Hébreux. De telle sorte que la plaie avait effectivement touché tout le monde sans distinction, mais uniquement par rapport au Nil, pour le reste les Hébreux avaient à boire…
Le
Rambam dans son
Piroush Hamishna (Avot V,3) écrit que 9 des 10 plaies se sont abattues exclusivement sur les Egyptiens, seule Makat Kinim a touché les Hébreux aussi, sauf qu’ils n’en ont pas souffert. C’est aussi ce qu’écrivent le
Ritva (Hagada shel Pessa’h) et le
Méiri (Avot V,3).
D’autres
(Rabénou Yona, Mirkevet Hamishné et Abravanel sur Avot V,3) ont écrit que les Kinim ne sont pas venus du tout à Goshen.
Il semblerait que ce qui confirme la position du
Rambam (et
Ritva et
Méiri) dans ‘Hazal, soit le
Midrash (Bereshit Raba 96,5) (Tan’houma Vaye’hi §3) sur la volonté de Yaakov de ne pas être enterré en Egypte car c’est une terre qui sera infestée de Kinim dans le futur. Or, Yaakov aurait pu être enterré à Goshen… Ce qui indique qu’à Goshen aussi les Kinim se sont répandus. C’est la source du
Rambam selon le
Otsar Yad Ha’haim (Lvov 1934, §1292, daf 58a).
[Il y a dans le Midrash une autre explication à la volonté de Yaakov de ne pas se faire enterrer en Egypte, c’est de crainte que son corps (son tombeau) soit idolâtré. Pour ces deux explications, on remarquera que le Midrash ne dit pas avec évidence que c’est « pour être enterré en Erets Israel », contrairement à ce que tout juif français aurait répondu de nos jours…]
On trouve aussi chez les A’haronim, le
Malbim (Shemot 8,18) qui expliquera que les Makot de Dam et Tsfardéa sévissaient aussi en Goshen (territoire des Hébreux) mais seuls les Egyptiens (qui s’y trouvaient) en pâtissaient, et non les Hébreux (pas limpide pour Dam…).
Il y a encore dans la
Hagada Kanfei Nesharim (Lichtenstein) (imprimée dans la Hagada Migdal Eder, Vilna 1892 תרנ"ג, Daf 26a, sv. Arbé) une explication selon laquelle la Makat Arbé (sauterelles) s’est étendue aussi à Goshen, afin que les récoltes des hébreux soient elles aussi décimées et qu’il ne reste rien aux Egyptiens après la fuite des Hébreux.