Citation:
Quel est le rapport entre les mots ספק (doute) et סיפוק (satisfaction/ suffisance) étant donné qu’ils partagent la même racine (ספק)?
Je pourrais vous répondre assez facilement par une entourloupe rabbinique du genre :
même celui qui est plein de suffisance et de satisfaction de lui-même, a toujours une petite part de doute au fond de lui et n’est pas totalement persuadé de sa valeur, bien qu’il en donne l’impression.
Mais par souci d’honnêteté et de Emet, je vous demanderais plutôt : qui vous a dit que le fait de partager les mêmes consonnes radicales implique nécessairement un lien ?
Cette même racine indique aussi frapper (comme frapper des mains) (cf.
Bamidbar XXIV, 10, et Yirmiya XXXI, 18).
Ça nous ferait déjà 3 idées à relier…
Et la racine suivante, ספר, correspond aussi à plusieurs idées apparemment non liées : livre, coiffeur, frontière… -même si vous trouverez des explications ‘hassidiques reliant les trois (voir par exp.
‘Hassidout Al Hadaf, shabbat p.33).
Il semble assez logique d’admettre que des mots d’une même langue ayant la même racine devraient se rejoindre d’une manière ou d’une autre, cependant, ce qui fausse cette considération, c’est que la langue hébraïque a connu des évolutions et des absorptions de mots étrangers.
L’hébreu Mishnique en comporte déjà beaucoup. Voyez ce que j’ai écrit à ce propos dans
Safa Leneemanim (p.401, note 258).
Ainsi, parmi les trois idées regroupées par la racine ספר, celle de la frontière est un emprunt du syriaque (cf.
Aroukh Hashalem VI, p.114).
En hébreu (biblique), cette racine ( ספר ) correspond à l’idée d’addition de plusieurs éléments.
D’où Sfira, un décompte, et Sefer car on y inscrit plusieurs lettres/mots que l’on regroupe ensemble (cf.
Rav Shimshon Refael Hirsch sur Bereshit V, 1).
Mais Sapar (le coiffeur) est une importation de langue étrangère et n’apparait pas dans la Bible.
Pour le Sipouk et le Safek, il en va de même, cette racine ספק n’apparait pas dans la Bible dans le sens de doute, c’est un mot utilisé ultérieurement par le Talmud.
D’après
Kohut (Aroukh Hashalem VI, p.107) ça serait un mot d’origine arabe.
Pour parler d’un doute, dans le langage biblique, on dit « Talouy », comme dans Asham talouy. Voyez
Rashi Dvarim (XXVIII, 66).
Par contre, les notions de satisfaction et de frapper des mains, sont toutes deux présentes dans la Bible, il conviendrait donc de leur trouver un sens commun.
Mais il faut remarquer que la notion de suffisance/satisfaction est écrite avec un Sin שפק
(Melakhim I, XX, 10), alors que frapper est avec un Samekh ספק, en cela, ils n’ont déjà plus la même racine.
Il n’est donc pas nécessaire de relier ces idées, bien que
R. Shimshon Refael Hirsch (Bamidbar XXIV, 10) ait cru bon de le faire, et ait tenté -de manière assez hasardeuse à mon sens- de lier ces trois idées entre elles.
Je ne le cite pas et je laisse les lecteurs en juger par eux-mêmes.
Je vous ai répondu selon ce qui me semble évident, mais je précise que je ne suis pas du tout un spécialiste et je n’ai pas non plus vérifié si ce que j’avance ne serait jamais contredit tout au long de la Bible.