La fête de Roch hachana est également appelée « jour du souvenir » (« Yom ha-zikaron »), raison pour laquelle on lit dans la Tora le passage qui nous apprend que Hachem s’est souvenu de Sara et lui a fait donner naissance à Isaac (Berèchith 21, 1 et suivants).
De la même manière, la haftara du premier jour de cette fête est empruntée au début du premier livre de Samuel, où il est écrit, presque dans les mêmes termes que pour Sara, que « Hachem s’est souvenu de ‘Hanna » (2, 21).
‘Hanna, qui partage avec Sara le privilège de compter parmi les sept prophétesses énumérées dans la Guemara (Meguila 14a), présente la particularité unique d’avoir été à la fois femme et mère de prophète. Son mari, Elqana, était en effet lui-même prophète (Rachi, ‘Erouvin 18b, s.v. Elqana) et c’est lui qui, en tant qu’“homme de Hachem” (I Samuel 2, 27) est venu annoncer au kohen gadol ‘Eli la destitution de sa famille de ses fonctions sacerdotales (Radaq ad loc.). Quant à son fils Samuel, il fait partie des quarante-huit prophètes répertoriés par la tradition (Rachi, Meguila 14a). La prophétie de ‘Hanna s’exprime, avec une émotion touchante, dans les prières qu’elle a adressées à Hachem avant comme après la naissance de son fils tant désiré (I Samuel 1, 11 et 2, 1 à 10).
Ces prières, avec l’ambiance qui les a entourées, ont servi de paradigmes pour toutes celles qu’un Juif est appelé à prononcer, ainsi que pour certains comportements qui lui sont recommandés.
C’est ainsi que la Guemara (Berakhoth 31b) extrapole à partir des mots : « Et ‘Hanna parlait dans son cœur ; ses lèvres seulement remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix » (1, 13) : Cela veut dire qu’il faut, lorsqu’on prie, engager son cœur.
« Seules ses lèvres bougeaient » (Ibid.) : On doit énoncer ses prières avec ses lèvres.
« Et l’on n’entendait pas sa voix » (Ibid.) : On ne doit pas élever la voix lorsqu’on prie.
« [Eli] la prit pour une ivrognesse » (Ibid.) : D’où il résulte qu’il est interdit de prier à celui qui est en état d’ébriété.
« Eli lui dit : Jusques à quand t’enivreras-tu ? » (1, 14) : On a le devoir, si l’on voit chez quelqu’un un aspect malséant, de l’en avertir.
« ‘Hanna répondit et dit : Non, mon Seigneur ; je suis une femme qui a l’esprit accablé ; je n’ai bu ni vin ni boisson forte. » (1, 15). On en déduit que celui qui est soupçonné à tort a le devoir de le faire savoir.
« Ne prends pas ta servante pour une femme dépravée. » (1, 16). Cela signifie que quiconque prie en état d’ivresse est semblable à un idolâtre.
« Elle fit un vœu, et dit : Hachem des armées ! Si Tu vois (littéralement : “Si voir Tu verras”) l’affliction de Ta servante, et si Tu Te souviens de moi et n’oublies pas Ta servante, et que Tu donnes à Ta servante un enfant mâle, je le donnerai à Hachem [pour] tous les jours de sa vie ; et le rasoir ne passera pas sur sa tête » (1, 11).
La Guemara se livre ici à une exégèse à partir du doublement des mots : « voir Tu verras » :
« Voici ce que ‘Hanna a déclaré au Saint béni soit-Il : « Maître de l’univers ! Si “Tu vois”, ce sera bien. Et sinon, “Tu verras” : Je vais éveiller les soupçons d’Elqana, mon mari, et celui-ci me soumettra à l’ordalie de la femme sota. Or, Ta Tora, qui n’est que vérité, promet à celle qui triomphe de cette épreuve d’avoir une descendance.
La suite de cette Guemara limite, il est vrai, la portée de cette promesse divine, certains de nos Maîtres la restreignant à un engagement de faciliter les accouchements de la femme soupçonnée à tort, ou à celui de lui faire donner naissance à des garçons, etc. Il n’en demeure pas moins que ‘Hanna a ainsi cherché à détourner cette promesse à son profit.
Un autre développement que réalise la Guemara à partir de la prière de ‘Hanna porte sur le verset : « C’est pour cet enfant-ci que j’ai prié, et Hachem m’a exaucé la demande que je Lui ai faite » (1, 27).
Rabbi El‘azar feint ici d’adresser un grave reproche à Samuel et de faire intervenir sa mère pour prendre sa défense :
Il est écrit : « Ils égorgèrent le taureau, et ils amenèrent le jeune garçon [Samuel] à Eli » (1, 25).
Et la Guemara de se demander le rapport entre la première partie de ce verset (« Ils égorgèrent le taureau ») et la seconde (« Ils amenèrent le jeune garçon à Eli »).
Et d’expliquer : Eli a demandé que l’on appelle un kohen pour procéder à l’égorgement de l’animal. Sur quoi le jeune Samuel a fait observer qu’il était inutile d’appeler pour cela un kohen, puisqu’un non-kohen a le droit de procéder à cet acte.
Eli lui déclara : « Ce que tu as dit est exact. Tu viens cependant de trancher un point de halakha en présence de ton maître, et quiconque tranche un point de halakha en présence de son maître est passible de mort (Voir Rambam, Hilkhoth talmud Tora 5, 2).
C’est alors que se présenta ‘Hanna qui déclara à Eli : « Je suis la femme qui se tenait ici près de toi pour prier Hachem » (1, 26).
« Je vais le punir, lui répondit Eli, et je prierai pour que tu donnes naissance à un autre fils, plus grand que celui-ci. »
Sur quoi ‘Hanna le supplia en ces termes : « C’est pour cet enfant-ci, [et pas pour un autre], que j’ai prié ! » (1, 27).
Les commentateurs se refusent en général à tenir pour vraies ces anecdotes.
C’est ainsi que le Penei Yehochou‘a (Rav Ya’aqov Yehochou‘a Falk [1680-1756]), rappelant que la procédure appliquée à la sota impliquait la rédaction d’un document contenant le Nom divin, ensuite effacé, ne peut accepter qu’une femme de la dimension de ‘Hanna ait pu envisager une destruction inutile de ce Nom. Aussi envisage-t-il son discours comme purement rhétorique.
De la même manière, lorsque ‘Hanna s’exclame : « C’est pour cet enfant-ci que j’ai prié ! », elle ne fait que mettre en valeur une règle générale : La prière que l’on prononce pour soi est plus efficace que celle que l’on fait prononcer par un autre (Maharcha [Rav Samuel Edels (1555–1631)]).