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Je vous écris en ce jour de demi-fête car je suis triste, et embêté, mais encore plus: déçu. Je suis triste et déçu de notre rapport obscurantiste et de notre intérêt intéressé pour le Machia'h. Désolé de l'exprimer ainsi mais: j'en même quelque fois dégoûté.
Je regarde autour de moi et je vois: les gens espèrent et veulent Machia'h. Et je m'interroge:
- pourquoi veulent-ils Machia'h en ce moment? Faudrait-il être condamner à le guetter qu'en temps de crise ? Pourquoi sa venue devrait-elle être le salut d'une situation compromettante et non pas l'aboutissement ultime du "progrès" et de circonstances charmantes - que l'humanité aura déjà eu le soin de préparer par elle-même?
- pourquoi cette dépendance que je ressens chez les gens au Machia'h ? Je m'interroge: et si le Machia'h devait ne pas exister, les gens pratiquerait-ils toujours notre Torah ? Je n'en ai hélas pas l'impression… De plus, je suis peut-être encore bien plus embêté par ma propre réponse à cette théorique question: soit! S'il ne devait pas exister, je ne changerai pas d'un iota mon amour de la Torah, car c'est l'amour de la vérité - et d'elle seule - qui m'anime; peu m'importe qu'elle porte le héraut du salut, si elle me porte un message de vérité. Est c'est là qu'est mon problème: mon judaïsme est certainement imparfait en ce que je pense cela.
- Le Machia'h que tous espèrent n'est-il pas le Machia'h de leur fantasme? Quand j'expliquais encore ce Chabbat à une proche ce qu'était l'opinion du Rambam quant au Machia'h et du Olam Aba, elle en fût surpris et paniquée: elle avouait ne plus être sûr de vouloir Machia'h! En quoi serait-elle intéressée - c'est aussi le cas pour l'écrasante masse des gens - d'étudier à longueur de journée et d'approfondir la quête de la vérité: ils veulent une vie "sans prise de tête" - une vie où ils pourront dormir, manger, faire la sieste, puis remanger, papoter, tuer le temps, redormir…
Qui voudrait de l'exigence de la vérité, de la connaissance de D-ieu ? Qui aspirerait à gouter les délices de la spiritualité, s'il fallait renoncer aux petits plaisirs de la vie physique: la sieste, le "manger", le bavardage..?
Qu'une poignée de personnes, des Yé'hidei Ségoula…
Mais s'il m'est déjà insupportable de laisser les gens dans cette bêtise et cette erreur, je refuse de croire que le Machia'h s'en accommoderait.
[ La réaction n'en fut pas très différente quand je voulus la rassurer en lui exposant l'opinion du Ramban: "quel en serait le bénéfice si mon corps, de toute façon, ne devait plus connaître les gaietés de la vie ?" ]
Je vous tiens en haute estime, cher Rav. C'est purquoi je voulais partager avec vous mon désarroi, et vous demander: pourriez-vous éclairer ma lanterne, sur les trois points que j'exposai. Je me fais du souci pour notre sort, et le sort que nous voulons réserver au Machia'h.
1) le Mashia'h n'est pas à espérer qu'en temps de crise, en effet.
2) Vous estimez votre judaïsme imparfait parce que même s'il n'y avait pas de mashia'h prévu, vous auriez tout de même aimé et pratiqué la Torah. Je ne vois pas le rapport, je ne saisis pas en quoi vous seriez condamnable pour cela? Le judaïsme imparfait est le judaïsme qui se passe du Mashia'h, celui qui considère notre Galout comme une situation aboutie et souhaitable.
Mais si vous adhérez à la croyance en un messie, l'espérez et l'attendez, votre judaïsme va bien.
Le fait de se dire que
"même s'il n'y avait pas de notion de messie, je pratiquerais le judaïsme" n'est pas une réflexion qui invalide votre judaïsme, au contraire.
Rav Ye'hezkel Lewinstein (Or ye'hezkel, Darkei Haavoda, p.251) est allé jusqu'à dire (au nom "d'un Gadol") que
"même si on devait être punis par D.ieu dans le monde futur pour notre accomplissement des Mitsvot ici-bas, il faudrait continuer à les accomplir" !
Il ignorait que ledit Gadol avait été devancé depuis des siècles par
Rabbi Avraham ben Harambam dans son
Sefer Hamaspik (perek Neémanout Hamaassim -dans mon édition de poche, page 20).
3) Pour le Mashia'h fantasmagorique, en effet, la masse de ceux qui "attendent" et espèrent le Mashia'h, ne le fait pas toujours exactement pour les bonnes raisons.
Mais quelle est votre question? Qu'attendez-vous de moi à ce propos?
[Vous devez savoir que l'accès à la résurrection annoncée, n'est pas gagné d'office ni promis à tout le monde.
Certains Rishonim se montrent même très durs et n'accordent ce privilège qu'avec beaucoup de parcimonie à de rares élites.
A partir de là, les plus cyniques diraient que même si ces gens vivent dans l'illusion et l'espoir d'une vie dénuée de spirituel, ça ne change rien, car ils ne sont pas concernés.]