Il arrive qu’un tableau de maître nous apporte des enseignements sur un événement relaté dans la Tora.
On sait que Marc Chagall (1887-1985) a étudié dans son jeune âge dans un ‘hédèr à Vitebsk (Biélorussie), sa ville natale, et que lui sont restés, imprimés dans son œuvre picturale, de nombreux vestiges de ce qu’il y avait appris.
C’est ainsi que l’on trouve, dans le tableau : « Moïse recevant les tables de la Loi », exposé au Musée de Nice [http://www.musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/pages/page_id18009_u1l2.htm], des vestiges de sa culture midrachique.
Par exemple, le tableau représente le moment où les Tables étaient tenues simultanément par les mains divines, si l’on peut dire, et par celles de Moïse. Cette image correspond à ce que nous apprend le Midrach Berèchith rabba (28, 1) : « Rabbi Berakhya a enseigné : Les Tables mesuraient six tefa‘him de long. Deux de ces tefa‘him étaient dans les mains, si l’on peut dire, du Créateur du monde, deux autres étaient dans celles de Moïse, et les deux derniers formaient séparation entre elles. »
En haut à gauche du tableau, Chagall a peint une fiancée, dont la robe de mariage blanche tranche avec un fond plus sombre.
Il est certes fréquent de trouver dans les œuvres de ce peintre des représentations d’une fiancée, mais il se peut qu’il ait fait ici allusion à un commentaire de Rachi à propos des versets : « Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu… » (Chemoth 19, 17) et : « Hachem est venu du Sinaï… » (Devarim 33, 2), indiquant qu’Il est sorti à leur rencontre quand ils venus pour se tenir dans « le dessous de la montagne » (Chemoth 19, 17), tout comme le fiancé sort pour accueillir la fiancée.
On retrouve la même symbolique dans le Midrach Tan‘houma (Ki thissa 16) à propos du verset : « [Hachem] donna à Moïse, lorsqu’Il acheva (ke-khallotho) de parler avec lui dans le mont Sinaï, les deux tables du témoignage… » Le Midrach fait un rapprochement entre ke-khallotho (« lorsqu’Il acheva »), et kallatho (« Sa fiancée »).
On peut deviner dans ce tableau une autre référence midrachique, consciente ou inconsciente, reproduite par le peintre : Les figures représentant la foule de ceux qui ont assisté au don de la Tora ne sont pas exposées comme des figures d’époque, mais comme des Juifs des shtetls d’Europe de l’est.
Or, nous apprenons dans les Pirqei de-rabbi Eliézèr (chapitre 40), en commentaire du verset : « Mais avec ceux qui sont aujourd’hui placés avec nous, en présence de Hachem, notre Dieu, et avec ceux qui ne sont pas ici, à côté de nous, en ce jour » (Devarim 29, 14), que tous les Juifs jusqu’à la fin des temps étaient présents au Sinaï.
Peut-être, comme l’admet le professeur Naftali Deutsch, de l’Université Bar Ilan, qui s’est livré à cette étude, a-t-on faire dire à ce tableau plus que ce que Marc Chagall y a consciemment introduit. Tous ces détails révèlent cependant l’impact de l’esprit des midrachim sur la sensibilité de cet artiste.