Sans essayer d'être exhaustif - qui peut l'être dans ce domaine - permettez-moi de mettre le doigt sur quelques points intéressants du problème.
Premièrement, même s'il est vrai que jamais il n'y eut d'extermination de juifs menée de façon aussi organisée, il y eut cependant de terribles massacres de par le passé qui en nombre de tués, peuvent s'apparenter à la Schoah.
En Egypte, et selon plusieurs Midraschim, rapportés par les commentateurs, 4/5èmes des juifs moururent pendant les 3 jours de ténèbres. Il est vrai qu'il s'agit de la Main de D-ieu qui frappe, mais il s'agit d'un chiffre vertigineux. En effet, 600.000 hommes de 20 à 60 ans, auxquels nous devons ajouter environ 600.000 femmes, plus quelques enfants par famille, plus les vieux, et on arrive sans trop se donner de peine à 4 ou 5 millions. Multipliez par 4, et vous avez un nombre de mort effrayant en très peu de temps.
Les historiens discutent concernant le nombre de morts de la main des romains, lors de la destruction de Jérusalem et du Temple, lors du massacre de Bethar et du mur de cadavre qu'ils ont empêcher d'enterrer pendant très longtemps et du massacre des juifs d'Alexandrie, où sur des kilomètres, la mer était rouge du sang des tués ! Mais pour l'époque, ces chiffres sont peut-être plus terribles encore que ceux de la Schoah.
Les massacres des croisades et ceux de la peste noire, dont on voulait que les juifs en soient la cause, furent effrayants eux aussi, comme plus tard les pogroms d'Ukraine.
La grande différence tient du fait de l'information.
Les moyens modernes ont permis de visualiser l'innomable. Ils ont permis la diffusion de l'information. Malgré la volonté des nazis de cacher ces monstruosités, des études et des recherches ont permis de faire connaître la vérité à tout le monde. Des témoins ont fini par s'exprimer.
Jamais tout cela n'a été possible par le passé.
Mais personne n'ose montrer du doigt la Schoah spirituelle de millions de juifs russes et autre nations sous le régime de l'URSS, pendant quelques 75 ans. Nous sommes sensibles à la perte de la vie matérielle et beaucoup moins de la vie spirituelle.
Nous avons certainement perdu plus de juifs depuis la guerre que pendant la guerre ! Par l'assimilation et les mariages mixtes.
Pour revenir au problème de la Schoah, il est évident que l'épreuve qu'a vécu le peuple juif est une épreuve immense. Cependant, on rencontre de façon identique, des rescapés des camps de la mort, renforcés dans leur foi en D-ieu, ou qui l'y ont trouvée, et d'autres qui l'y ont perdue. Ils deviennent de moins en moins nombreux.
Une personnalité rabbinique très connue dans le monde de la Torah et du Moussar, me rapportait un dialogue avec un autre juif.
"Comment pouvez-vous encore croire, après cette catastrophe ?" disait ce juif. "Vous me voyez" lui répondit-il, "j'étais un gringalet, et dans les camps de travail de Sibérie, par moins 40°, sans habit, sans manger, en travail forcé 12 heures par jour, et après des années je suis toujours vivant ! et vous voudriez que je ne croie pas en D-ieu !"
Pourquoi lui est parti et l'autre est resté vivant ? A cette question nous ne pouvons pas répondre. Comment pouvoir sonder les raisons et les projets divins ?
Et puis nous devons aussi nous poser une autre question.
Pourquoi tel décède trop tôt à nos yeux et tel autre mène sa vie heureuse jusqu'à un âge avancé ?
Peut-être devrait-on raisonner tout autrement.
Ce nourisson qui est décédé en si bas âge, ne devait que vivre ces quelques mois ?
Cet enfant qui est mort si jeune, peut-être ne devait-il venir au monde que pour vivre ces quelques années ?
Cet adulte ravi trop tôt à ses proches, mais peut-être a-t-il rempli en si peu de temps son contrat, et n'est-il venu sur terre que pour cela ?
Tout le problème ne se situe pas au niveau de celui ou celle qui n'est plus. C'est la douleur de ceux qui restent et auxquels D-ieu a pris un être cher, qui est problème. C'est cela qui nous fait mal et nous fait nous interroger.
Nous avons l'impression que la mort est une fin. C'est faux. Elle est un début de vie éternelle ! Avant la mort nous sommes limité par le temps et l'espace. Après la mort, la perte de notre enveloppe charnelle, de cette enveloppe qui nous empêche de voyager dans le temps et d'être partout à la fois, nous ouvre les portes de l'infini et de jouissances incomparables. Evidemment pour ceux qui le méritent.
Il peut y avoir deux sortes de raisons qui nous font aspirer à rester vivant. Ou pour la Torah et les Mitsvoth, car comme le disent nos Sages : "Un instant de Torah et de Mitsvoth dans ce monde-ci vaut plus que tout le monde à venir." Ou par notre attachement à la matière et aux jouissances matérielles de ce monde que nous avons peur de quitter ou de perdre.
Ces raisonnements, nous ne pouvons les faire que pour nous-même.
Quant à l'autre : "Ses besoins matériels doivent être du domaine de notre responsabilité spirituelle".
Permettez-moi d'aborder le sujet d'un autre point de vue.
Nous sommes croyants, nous juifs, descendants de croyants. Nous savons que rien ne peut se faire dans le monde si D-ieu ne le veut pas.
Nous savons que si l'antisémitisme existe c'est que D-ieu veut nous rappeler que nous sommes juifs et que cela implique des responsabilités dont nous voulons nous défaire.
Posons-nous le problème autrement, maintenant.
Nous ne pouvons pas imaginer que nos erreurs ont été si grave au point que D-ieu nous secoue si sérieusement. Peut-être que notre plus grosse erreur a été de ne pas réaliser à quel point le judaïsme a chuté avant la catastrophe.
Depuis la révolution française, et donc à partir du moment où les juifs en Europe ont acquis le droit de citoyenneté, où ils ont été séduits par les "lumières" de la Haskalah, l'assimilation est devenue galopante. Auparavant, le Schabbath, la Kascherouth, Taharath Hamischpa'hah étaient tenus par l'immense majorité des juifs. Pour prendre un exemple en ce qui concerne le judaïsme alsacien : on pouvait manger kascher dans tous les foyers juifs alsaciens avant la guerre de 14-18.
C'est en Allemagne, à Nuremberg, qu'en 1835 le mouvement de la réforme a rejeté le Code des Lois du Schoul'hane Arouch, et c'est un siècle plus dans la même ville qu'ont été édictés les lois de discrimination des nazis contre les juifs, dites Lois de Nuremberg.
La banalisation de l'assimilation, du mariage mixte, du 'Hilloul Schabbath, du non-respect de Taharath Hamischpa'hah est peut-être ce qu'il y a de pire. On s'y fait, on fait avec.
Il y a, D-ieu merci, un réveil dans le peuple juif, et il se doit d'être optimiste pour le futur.