Citation:
Dans בירת מגדל עוז et dans מטפחת ספרים le rav Emden écrit que Yael n’était pas israélite. Pourtant il ressort de la sougia de עבירה לשמה et des commentateurs classiques comme Rachi qu’elle était bien israélite (selon Rachi elle était שופטת). Comment expliquer l’avis du rav Emden?
Dans la mesure du possible, je vous saurais gré de bien vouloir indiquer vos références.
Le
Rashi dont vous parlez (n’est pas dans
Massekhet Nazir 23b ou 59a comme je l’imaginais et comme on pourrait le croire en vous lisant, mais) se trouve dans
Shoftim (V, 6) (בימי שמגר בן ענת בימי יעל. מלמד שאף יעל שפטה את ישראל בימיה).
La même idée est reprise par le
Metsoudat David (ad loc), et c’est aussi l’opinion du
Malbim dans
Shoftim (IV, 17) et
Divrei Hayamim (I, II, 55).
Mais il semble que le
Radak (ad loc) ne soit pas d’accord avec
Rashi sur ce point. Et le
Ralbag (Shoftim IV, 11) est clairement en désaccord.
D’un autre côté, sa tribu ou son peuple (אשת חבר הקיני) indique qu’elle était non-juive et descendante du beau-père de Moshé (cf.
Shoftim I, 16 et IV, 11).
Il faut aussi réaliser à quel point il est peu probable que Sisra en fuite, aille s’abriter chez une juive ! à plus forte raison si cette juive est une Shofétet des juifs… C’est pourquoi le
Ralbag (Shoftim IV, 11) explique qu’elle n’était pas juive, mais sa tribu était en bons termes avec les juifs et ils suivaient plusieurs coutumes juives.
Mais comme ils étaient aussi en paix avec Sisra (ils étaient en paix avec tout le monde et ne se mêlaient pas des conflits des nations voisines, c’étaient les Suisses du Moyen-Orient) , ce dernier ne s’est pas méfié.
Le fait qu’ils suivaient plusieurs coutumes juives (להתנהג בדת ישראל) permet de repousser la preuve que certains pensent apporter à partir du
Rashi Nazir (59a) : תלמוד לומר לא יהיה כלי גבר על אשה - וזה שמצינו ביעל אשת חבר הקיני שלא הרגתו לסיסרא בכלי זיין אלא כמו שנאמר ידה ליתד תשלחנה.
Rashi explique que Yael n’a pas voulu utiliser une arme pour tuer Sisra, parce que la Halakha interdit à une femme de porter une arme sur elle, mais cela ne prouverait pas encore que Yael était juive, puisque comme dit, même si elle appartenait à un autre peuple, il se trouve que ce peuple suivait et respectait (plus ou moins) les prescriptions de la religion juive.
Toutefois, le
Rashi dans
Shoftim est explicite.
[Note : ce que dit
Rashi sur le choix de l’arme en fonction du Passouk, se retrouve avant dans les Midrashim, comme le
Midrash Mishlei (§31) et le
Yalkout Shimoni (Shoftim §56). Et c’est aussi ce qu’écrit le
Targoum sur
Shoftim (V, 26).]
Il y a donc une difficulté sur
Rashi, comment nous dit-il qu’elle a été Shofétet, alors qu’a priori elle n’était pas du peuple juif.
Je crois qu’on peut apporter un élément qui résoudrait cela, avec ce qu’écrit le
Yalkout Shimoni (Yehoshoua §9) : «
Il y a des femmes pieuses qui sont des converties : Hagar, Osnat, Tsipora, Shifra, Poua, Bat Paro (=Bitia), Ra’hav, Routh, et Yaël Eshet ‘Haver Hakeini » !
Il est donc à la fois explicite dans ce Midrash (tiré du
Midrash Tedashé) que Yaël n’était pas juive, mais qu’elle s’est convertie.
Le
Maguen Avraham souligne
(Zayit Raanan ad loc) que ce Midrash pense que Yaël était une Guiyoret (ce qui indique que ça n’est pas évident pour tous).
Et comme elle s’est convertie, rien d’étonnant qu’elle respecte la loi de לא יהיה כלי גבר על אשה.
Sauf qu’il semblerait qu’il faille dire que la conversion ne date pas d’avant le meurtre de Sisra, à cette époque elle était encore non-juive, sans quoi, de nouveau, Sisra n’aurait pas été en confiance.
De plus, voyez le
Seder Hadorot (II, Daf 153a, Erekh R. Akiva, 2) qui rapporte le
Rema de Fano (Assara Maamarot, Maamar ‘Hikour Din, V, §10) qui nous dit que Rabbi Akiva était descendant de Sisra et Yaël, or, si c’est le cas, il se trouve que l’opinion de R. Akiva
(lui-même) (Kidoushin 75b) est que l’enfant d’une juive avec un non-juif est Mamzer (ce n’est pas la Halakha, mais c’est son opinion).
Donc d’après lui, il était lui-même Mamzer ! cela semble étrange…
[La réponse qui semble s’imposer c’est que de Sisra à R. Akiva il y a eu plusieurs générations et, a priori, la Mamzérout chez les non-juifs, si elle est héréditaire, ne devrait se transmettre que par la mère, donc il suffit qu’il y ait un homme dans cette lignée (ce qui semble être le cas de l’expression מבני בניו) et le tour est joué.
Et s’il fallait chercher plus compliqué, on pourrait aussi imaginer que sur toutes ces générations, il y aurait eu un processus de purification comme celui de la
Mishna Kidoushin (III, 13) « יכולין ממזרים ליטהר »…].
Ce à quoi le
Seder Hadorot répond qu’il faut dire que Yaël s’est convertie mais pas avant l’épisode avec Sisra, donc à l’époque elle était non-juive elle aussi, et son enfant est non-juif (et le descendant de cet enfant s’est converti, c’est Yossef le père de Rabbi Akiva).
‘Hazal
(Sanhédrin 96b et Guitin 57b) nous disent qu’il y a eu des descendants de Sisra qui ont enseigné la Torah à Yeroushalayim.
Dans les Midrashim, comme le
Tan’houma (Vayakel §8) et Sho’har Tov (Mizmor 1), on nous précise que ces descendants de Sisra sont Shmaya et Avtalion.
Cependant, dans le Shas
(Sanhédrin 96b et Guitin 57b), ces deux sages sont descendants de San’hériv et non de Sisra.
Et les descendants de ce dernier ne sont pas nommés.
C’est le
Rema de Fano qui nous dit que R. Akiva était descendant de Sisra, et nous retrouvons cette information aussi dans le
Menorat Hamaor (Ner 5 Perek 3) et dans le
Sefer You’hassin, cf.
Dikdoukei Sofrim (Sanhédrin 96b §100), et
Maharsha Yevamot (16a).
Voir aussi le
‘Hida dans
Peta’h Enaïm (Sanhedrin 96b) et dans
Marit Haayin (Horayot 10b) et (Guitin 57b) au nom du
Sefer Haguilgoulim (§47) au nom de
Rabbi ‘Haim Vital.
Voir encore le
Ben Ish ‘Haï dans
Ben Yehoyada (Sanhedrin 96b).
Toutefois, le
Maharam Schif (Guitin 57b) cite ce
Rema de Fano et n’est pas d’accord avec lui, car si c’était le cas, la Gmara aurait indiqué que R. Akiva était ce fameux descendant (comme elle l’a fait pour Shmaya et Avtalion).
Cependant, il ignorait que c’est une version ancienne qui se retrouve jusque dans le Shas de
Rav Nissim Gaon qui dans son
commentaire sur Brakhot (27b) cite la Gmara de
Sanhédrin (et de
Guitin) de cette manière : מבני בניו של סיסרא למדו תורה בירושלים ומאן אינון ר' עקיבא.
[On pourrait se demander que Rabbi Akiva était à Bnei Brak
(Sanhédrin 32b) et non à Jérusalem, mais il a vécu longtemps et il se peut qu’il ait enseigné à Jérusalem.]
C’était donc écrit dans la Gmara elle-même à son époque et les Guirsaot des Gueonim sont beaucoup plus fiables que les Guirsaot plus tardives (voyez ce que j’ai écrit ici :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=57140#57140 )
Il reste étrange de dire qu’elle se soit convertie et soit restée mariée à un non-juif (à moins de dire qu’il se soit converti lui aussi ?), mais puisqu’on a dit qu’elle s’est convertie seulement après l’épisode Sisra, il faut savoir que son mari l’a répudiée suite à cette affaire, elle était donc célibataire.
Ce n’est pas chose évidente non plus qu’un converti remplisse le rôle de Shofet, mais comme il n’est pas tout à fait évident non plus qu’une femme le remplisse (comme Dvora), on va laisser ça de côté.
Certains (comme
Dov Kim’hi -alias
Berish Meller) se demandent si le nom Yael qui se trouve dans
Shoftim (V, 6) (בימי יעל) correspond à cette fameuse Yaël dont il est question dans
Shoftim (IV, 17) יעל אשת חבר הקיני.
Kim’hi (Enc. Leïshim Batanakh p.431) pense qu’il s’agit (dans
Shoftim V, 6) d’une autre personne et que c’est un homme prénommé Yael.
(Il s’agirait donc, d’après cela, d’un prénom épicène.)