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Il y a un engouement particulier ces derniers temps à aller pélériner sur le kever du Rav de Michelstadt. Faut-il y aller à tout prix?
Les Guedolim récents y allaient-ils, ou encourageaient-ils à y aller ?
Si oui, pourquoi ne pas privilégier des Tossafistes et Richonim français/européens plutôt que des rabbanim plus récents du XVIIIème siècle ?
Enfin, plus généralement, y a-t-il une mitsva et/ou une yechoua dans le fait d'aller prier sur le kever de tsadikim comme le font les Hassidim et les marocains ?
Beaucoup attestent que leur pèlerinage a été suivi de nissim par le srout du Rav péleriné !
Non, il n’y a aucune espèce d’obligation d’y aller et certainement pas « à tout prix ».
Les Gdolim n’encourageaient pas à y aller et n’y allaient pas eux-mêmes.
Ni le
Brisker Rov, ni
Rav Shakh, ni
Rav Elyashiv, ni
Rav Ovadia Yossef, ne faisaient ce type de voyage.
Le
Baal Shem de Michelstadt était un grand Tsadik, mais il y en a bien entendu eu beaucoup d’autres.
Il est vrai que c’était un Tsadik assez unique en son genre, mais ça aussi, il y en a eu beaucoup d’autres, chacun unique en son genre.
Le fait même de voyager pour aller prier sur un Kever d’un Tsadik était, jusqu’à récemment, l’apanage exclusif de quelques communautés, notamment les marocains et certains ‘hassidim.
Les autres juifs n’organisaient pas de visites des kivrei tsadikim avec autant d’engagement.
Il faut savoir que les penchants taphophiles de nos rabanim (du XXIème siècle) sont très récents.
L'engouement pour le voyage sur le kever du
Baal Shem de Michelstadt à tsom Guedalia avait déjà commencé il y a (au moins 10 ou) 15 ans, je me souviens de précoces fidèles qui s'y astreignaient gaillardement chaque année. Mais au XXème siècle on n’en entendait pas parler. Ces dernières années ça a gagné en ampleur.
C'est comme pour le Kever de
R. Na'hman de Breslev, celui du
Pélé Yoets (qui furent eux aussi de grands tsadikim), et les futurs kvarim que l'on va découvrir et mettre "à la mode" dans les années qui viennent.
Ça fait marcher le tourisme, le commerce, les trains et avions, les autoroutes, ça occupe les gens de manière spirituelle, bref, tout le monde y trouve son compte.
[Quand on pense que des israéliens font le voyage jusqu'en Europe pour aller sur le kever du Pélé Yoets, alors qu'ils ont pléthore de tsadikim à portée sur place en erets qu'ils ignorent et snobent royalement... Sans parler de l'aspect halakhique qui est loin d'être évident, sortir d'Erets Israël pour aller prier sur un Kever n'est pas moutar d'après tout le monde.]
Et même si on apprécie ces voyages, on ne peut pas s’imposer d’aller à chaque RDV annuel de ce type, car il y a des Tsadikim décédés à toutes les dates de l’année. Le temps consacré à ces voyages pourrait être investi dans le limoud hatorah.
Si l'on a le choix entre apprendre des halakhot, un sefer Moussar, etc. ou aller à Michelstadt, il est évident que le
Baal Shem de Michelstadt lui-même nous indiquerait de rester chez nous durant ces 15 heures consacrées et d'étudier du moussar (ou halakha) léilouy nishmato (du Baal Shem).
Et si l’on tient absolument à dépenser de l'argent, au lieu de le dépenser en frais de voyage en avion ou train ou autoroutes et essence, il y a de bien meilleures choses à faire avec. Comme acheter à manger pour des gens qui ont faim, acheter des habits chauds pour l'hiver à ceux qui ont froid, et encore des tas de bonnes choses.
Il s'agit d'un effet de mode; jusqu’à la fin du XXème siècle, personne ne voyageait pour aller sur le kever du
Baal Shem de Michelstadt chaque année.
Quelques rabanim ont lancé la mode et ça devient une habitude au point de se demander s’il convient d’y aller à tout prix.
Ce qui est étonnant, c’est que la majeure partie des rabanim qui encouragent tout le monde à faire ce voyage et prier sur la tombe du
Baal Shem de Michelstadt pour voir de grandes Yeshouot, n’ont même pas lu les écrits du
Baal Shem de Michelstadt et ne savent pas grand-chose de sa Torah.
J’en veux pour preuve que s’ils avaient lu son
Kountras Hayediot et s’étaient un peu renseignés sur les Shitot et Hashkafot de
Reb Seckel Wormser (le Baal Shem de Michelstadt), ils auraient peut-être une opinion diamétralement opposée de ce grand Rav...
De nos jours, plusieurs Gdolim s’opposent à l’insertion de l’étude du ‘Hol au sein d’une yeshiva, et mènent la guerre contre les Rabanim qui créent de telles yeshivot (qui entrainent un affaiblissement des yeshivot classiques).
C’est une grande divergence d’opinion entre les rabanim dans laquelle je n’entrerai pas ici, mais le
Baal Shem de Michelstadt avait créé une yeshiva avec du ‘Hol (à une époque où ça ne se faisait pas vraiment), c-à-d qu’on y étudiait, aux côtés de la Gmara, l'allemand, les maths et la philosophie !
Le
Baal Shem lui-même était très versé en sciences séculières, en maths et même en philosophie, il lisait les maskilim comme
Mendelssohn et
Zunz ( !) ainsi que le fameux «
Talmoud Leshon Ivri »
(interdit par tant de rabanim), et même les philosophes goyim de l'époque, dont
Leibniz,
Kant et
Schelling.
A son enterrement, parmi les éloges funèbres, il y a eu 2 des Hespédim prononcés par des prêtres (כומרים) !
[Il était aussi cabaliste et végétarien (voire végétalien) et ne mangeait pas de viande ni de poisson même à shabbat.]
Si le
Baal Shem vivait aujourd'hui, certains des rabanim encourageant à aller prier sur son kever pour bénéficier de ses mérites, refuseraient de lui adresser la parole, le traiterait comme un Rasha, le mettrait en 'hérem ou au moins le mépriserait et se méfierait de lui comme du choléra.
Mais comme il est mort (en 1847) et que
"ça fait bien" d'aller sur son kever et raconter les Moftim et Yeshouot dont on a été gratifié grâce aux tfilot sur son kever, on n'a pas peur de se contredire totalement...
Les mêmes rabanim existaient aussi à l'époque, ils s'opposaient au
Baal Shem, ils le méprisaient, le déconsidéraient
(il a même été emprisonné).
Les yeshivot avec 'hol étaient assez rares et s'apparentaient plutôt au courant des maskilim et ce Baal Shem cabaliste et végétarien qui n'avait pas les hashkafot mainstream et BCBG, n'était pas en odeur de sainteté auprès des "Kanaïm".
Voilà en quoi je vois un aspect un peu hypocrite lorsque ces mêmes rabanim chantent un péan de louanges en l'honneur d'un rav qu'ils auraient volontiers excommunié et mis en 'hérem.
Ça manque en cohérence et en authenticité, et cela indique le peu de profondeur de la réflexion autour de certaines décisions et positions hashkafiques, proclamées avec emphase, mais prises essentiellement dans un esprit de "business/politique" mainstream.
Et d'un autre côté, ces mêmes rabanim ne jureront que par le
Brisker Rov, ou le
‘Hazon Ish, ou
Rav Shakh (ou
Rav Elyashiv ou
Rav Ovadia Yossef...) et ces gdolim n'auraient jamais consacré 12 ou 15h pour aller prier sur le Kever du
Baal Shem de Michelstadt.
Ce qui signifie donc qu'on va nous rabattre les oreilles avec
Rav Shakh et le
Brisker Rov qui étaient opposés au Limoudei 'Hol et s'en écartaient, mais en occultant le fait qu'ils s'écartaient aussi de ces voyages sur les kvarim, et en occultant surtout qu'il s'agit d'aller sur le kever de celui qu'on nous apprend à mépriser (au nom de ces mêmes gdolim) car il y avait du 'hol dans sa yeshiva (et c'est en priant sur son kever qu'on verrait les plus grandes yeshouot!...)
Comprenez-moi bien, ce n'est pas une critique des rabanim de nos jours, je ne me le permettrais pas et encore moins pendant asséret yemei tshouva.
C'est une critique globale du mouvement, pas de ces rabanim en particulier qui ne font que suivre le "mouvement" qui marche bien en ce moment et la hashkafa qui est en vogue à notre époque.
Rabanim qui de toute façon, si ça se trouve, ignorent à peu près tout du Baal Shem en question, de sa vie et de ses shitot, et n'ont probablement pas lu son "
kountras hayediot" comme dit plus haut.
Il n'y a donc pas d'hypocrisie dans leur démarche personnelle et individuelle, c'est la démarche générale qui est en contradiction avec elle-même et qui est hypocrite, mais eux n'en sont (probablement) simplement pas conscients.
Je dénonce une incohérence dans ces mouvements juifs du XXIème siècle, mais chaque individu pris séparément est certainement bien intentionné.
Il ne faut pas pour autant mépriser/dénigrer les juifs qui en ont besoin et qui consacrent force et argent pour faire ce voyage sacro-saint sur le kever d'un rabbin qu'ils auraient méprisé s'il était vivant.
Ils ont un besoin spirituel qui correspond à leurs aspirations spirituelles et à leur attachement à D.ieu.
Ce qui est bon pour certains peut ne pas l’être pour d’autres.
Si vous n’avez pas l’impression que votre Avodat Hashem passe par Michelstadt, n’y allez pas, mais étudiez de la Gmara, de la Halakha ou du Moussar Léilouy Nishmat
Rabbi Its’hak Arié ben Matityahou et personne ne vous en voudra.
Si, au contraire, vous faites partie de ceux qui sont Mit’hazkim par ce genre de voyages, allez-y.
Chacun doit rechercher le meilleur moyen de se rapprocher de D.ieu, pour l’un c’est l’étude, pour l’autre c’est la taphophilie
(dont il ne faudra néanmoins pas abuser, ce n’est pas une mitsva, à la différence du Limoud Hatorah).
Ce qui est certain, c'est que les Gdolim n'encourageaient pas à voyager sur le kever du
Baal Shem de Michelstadt, mais lorsque ça peut faire du bien à un individu, pourquoi pas? qu'il y aille si ça lui apporte du ‘Hizouk, et même si ça représente un Bitoul Torah certain, פעמים שביטולה של תורה זהו יסודה
(Mena’hot 99a-b).
Citation:
Beaucoup attestent que leur pèlerinage a été suivi de nissim par le srout du Rav péleriné!
Ce n’est pas étonnant,
Reb Seckel Leib Wormser était un grand Tsadik. Mais cela n’indique pas qu’il faille transformer notre Avodat Hashem en visites des cimetières. Si c’était le cas, il y aurait au moins un voyage à faire chaque jour.
La meilleure des Segoulot c’est l’étude de la Torah Lishma et je suis convaincu que celui qui consacrera le même nombre d’heures à étudier LISHMA léilouy nishmat le
Baal Shem de Michelstadt, bénéficiera des mêmes yeshouot que s’il avait fait le voyage.